Eglises d'Asie

« 37 million de diyas » : la grande campagne de l’Eglise en faveur des femmes

Publié le 30/01/2013




« 37 million de diyas » : c’est le nom de la campagne en faveur des femmes qui a été lancée dimanche 27 janvier par l’archidiocèse catholique de Bombay. C’est aussi le nombre des femmes « manquant à l’appel » en Inde aujourd’hui, du fait des avortements, infanticides, violences et manque de soins qui sont le lot de la condition féminine dans un pays où le développement économique et social masque l’immobilisme des mentalités.

L’archidiocèse de Bombay (Mumbai) a lancé officiellement sa campagne « 37 million de diyas (‘lumières’) », dimanche 27 janvier à la cathédrale Holy Name. A l’appel du cardinal Oswald Gracias, toutes les paroisses de l’archidiocèse ont allumé des milliers de bougies et de lampes à huile dimanche soir entre 19 h et 20 h, lors de célébrations de prière à la mémoire des 37 millions de victimes ‘sacrifiées’ en Inde « uniquement parce qu’elles étaient des femmes ».

Si cette campagne n’est certes pas la première tentative pour « réveiller les consciences » dans un pays où les Eglises, les ONG et les autorités elles-mêmes multiplient les initiatives (1), il s’agit probablement de l’une des communications médiatiques les plus percutantes faites par l’Eglise de l’Inde, pourtant très investie dans la protection des femmes et la réhabilitation de leurs droits.

Accompagnée d’un vidéo-clip de près de qutre minutes, la campagne de sensibilisation mise en place par la Commission pour les femmes de l’archidiocèse, sous la tutelle de Mgr Gracias et de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), dénonce les violences ordinaires qui constituent le sort des femmes en Inde.

« Ces 37 millions de ‘diyas’ qui brûlent dans la nuit symbolisent toutes les femmes victimes de ce véritable génocide qui est la honte de l’Inde », déclare l’archevêque de Bombay, cité par l’hebdomadaire de l’archidiocèse The Examiner. « Mais ces diyas symbolisent également la Lumière divine qui disperse les ténèbres et offre l’espoir d’une nouvelle vie apportée par Jésus à travers son Eglise », poursuit le cardinal.

La campagne de l’Eglise catholique de Bombay fait suite à la vague d’émotion sans précédent qui a submergé l’ensemble du pays –  pourtant coutumier des violences exercées contre les femmes dans l’indifférence générale -, par la mort d’une jeune étudiante en décembre dernier, décédée des conséquences d’un viol collectif particulièrement barbare. L’extrême cruauté de l’acte a fait l’effet d’un électro-choc au sein de la société indienne, qui s’est mobilisée en masse pour dénoncer la condition féminine en Inde.

Le jour de la fête nationale le 25 janvier, la CBCI a publié une déclaration affirmant que « la violence faite aux femmes et aux enfants, qu’il s’agisse d’infanticide, d’avortement, de harcèlement, de viol, de ‘crime d’honneur’ ou de ‘meurtre pour dot’ et autres violences et maltraitances, sapaient les fondements de la société et de la nation, minant la paix et la prospérité ».

Bien que l’Inde soit signataire de différentes chartes internationales contre la violation des droits de l’homme, des droits de l’enfant et de la discrimination envers les femmes, l’application des  celles-ci se heurte aux comportements et traditions ancrés dans les mentalités, la naissance et l’existence d’une fille étant perçue comme une malédiction.

Le chiffre de 37 millions choisi par la campagne représente le nombre des femmes estimées « manquantes » pour la seule dernière décennie, selon le dernier recensement de 2011. L’Inde connaît l’un des ratio hommes /femmes les plus déséquilibrés au monde et occupe la quatrième place des pays où la condition féminine est considérée comme la plus méprisée.

Le phénomène, qui a toujours existé en Inde et est dénoncé de façon récurrente par les ONG ainsi que les Eglises, s’est accentué ces dix dernières années, le développement social et économique du pays n’ayant pas joué le rôle de ralentisseur, bien au contraire. L’avortement après un diagnostic prénatal pour connaître le sexe de l’enfant a naître a augmenté à mesure de la généralisation de l’échographie, et ce en dépit d’une loi de 1994 interdisant les avortements sélectifs.

Le facteur économique, longtemps évoqué comme raison principale du « génocide des femmes », en raison des difficultés financières qui accompagnent le fait d’élever une fille (comme la pratique de la dot), est considéré aujourd’hui comme un élément mineur. Ce sont dans les régions les plus riches de l’Inde, notamment au Pendjab que les infanticides féminins sont les plus importants.

Des études ont révélé que l’élimination des filles était davantage pratiquée au sein des classes moyennes « émergentes » que dans les populations rurales les plus pauvres, probablement parce que le diagnostic prénatal n’est possible que moyennant finances dans des cliniques privées, inaccessibles aux classes plus déshéritées (2). Selon Pascoal Carvalho, médecin à Bombay et membre de l’Académie pontificale pour la vie, « l’infanticide des filles est la pire forme de violence exercée contre les femmes car il leur refuse le droit le plus fondamental  qui est le droit à la vie ».

La campagne de l’Eglise de Bombay vise donc à informer et à sensibiliser un large public sur les dures réalités de la condition féminine en Inde : avortement, infanticide, meurtre pour dot (« dowry deathes » (3)), harcèlement sexuel, viol (4), kidnapping, violences domestiques. Il faudrait y ajouter encore les unions forcées et la pratique du mariage des enfants (5), la prostitution et le travail des fillettes, sans compter le taux exceptionnellement élevé de la mortalité des filles en dessous de 5 ans pour manque de soins.

De nombreuses manifestations dans le cadre de la campagne sont d’ores et déjà programmées dans les paroisses et les écoles catholiques de l’archidiocèse : processions aux flambeaux, rassemblements de prière, théâtre de rue, conférences, films, chaînes humaines et autres événements divers.

Mais, ajoute le cardinal Gracias, qui est également président de la CBCI, « c’est le manque de considération et le mépris de la société indienne pour les femmes qui sont à l’origine du génocide féminin ». Au lendemain du tragique fait divers de l’étudiante violée à New Delhi, la Conférence des évêques catholiques de l’Inde faisait déjà part de la nécessité de « mieux éduquer les jeunes à la sexualité », notamment au sein des écoles. L’archevêque de Bombay rappelle aujourd’hui que le processus de changement des mentalités à l’égard des femmes ne pourra se faire que par l’éducation et « doit commencer au sein des familles ».

A la suite du cardinal, qui a déclaré dans une circulaire envoyée à toutes les paroisses que « le fait d’éloigner Dieu de notre vie a provoqué un affaiblissement des valeurs spirituelles et morales qui a entraîné un manque de respect de la personne », la CBCI a rappelé l’importance d’une « formation holistique de la personne, qui pourrait soutenir les parents, enseignants, leaders spirituels et responsables à tous les niveaux (…) et transformer le désir de vengeance en pardon », afin qu’émerge la prise de conscience du fait que « la vie de l’homme est un don de Dieu précieux, que nul n’a le droit de prendre ».

La campagne « 37 millions de diyas » se poursuivra « tant qu’il y aura en Inde des femmes victimes de meutrre, de violence ou de discrimination », ont déclaré les organisateurs, tandis que l’archevêque de Bombay appelait tous les fidèles à « garder leur lampe allumée à l’aube d’une ère nouvelle ».