Eglises d'Asie

Orissa : des ONG chrétiennes dénoncent l’augmentation des violences contre les femmes

Publié le 03/03/2013




Une commission formée de différentes organisations chrétiennes vient de rendre un rapport accablant sur la situation d’insécurité et de violence sexuelle que subissent les femmes en Orissa, en particulier dans le district du Kandhamal, épicentre des pogroms antichrétiens de 2008. Les résultats de cette enquête paraissent en pleine polémique sur un projet de loi qui va être proposé au vote du Parlement en réponse à la vague d’indignation sans précédent qui a soulevé l’Inde après le viol et la mort d’une jeune étudiante à Delhi en décembre dernier.

La délégation œcuménique All India Fact Finding on Gender Violence, comprenant neuf représentants d’organisations chrétiennes (1), s’est rendue au Kandhamal du 23 au 26 février dernier. Elle s’est entretenue avec les autorités mais aussi avec les victimes « survivantes », ainsi qu’avec les proches des jeunes filles et fillettes récemment violées et assassinées (dont une petite fille de 6 ans et des adolescentes de 13 et 14 ans). A l’issue de son enquête, le groupe a publié une déclaration qui a été rendue publique lors d’une conférence de presse à Bhubaneshwar le 26 février. Le rapport a également été envoyé au gouvernement central et aux différentes commissions pour les droits de la femme et de l’enfant.

En préambule, le communiqué souligne son inquiétude face à l’augmentation des violences envers les femmes et en particulier les très jeunes filles, ainsi que la « totale impunité accordée aux agresseurs ». Il poursuit en demandant que « le gouvernement de l’Orissa prenne des mesures urgentes pour appliquer « la tolérance 0 » concernant les viols dans l’Etat, spécialement dans les districts les plus vulnérables comme celui du Kandhamal où la population est essentiellement constituées de dalits et de ‘tribals’ (aborigènes) ».

Les autres conclusions de l’enquête sont aussi sévères : aucune des victimes de viol n’a jamais reçu d’indemnités et le fait que les autorités n’aient pas protégé les victimes mais les agresseurs doit faire l’objet de sanctions pénales. La délégation a expliqué que les forces de police refusaient d’enregistrer les plaintes et que les conseils de village en accord avec les forces de l’ordre obligeaient les victimes à se taire (2). « Ces gens ne semblent pas craindre la justice et les lois », peut-on lire dans le communiqué, où il est aussi expliqué que « le très grand nombre d’acquittements » dans les procès sur les violences antichrétiennes au Kandhamal avait renforcé la peur et le manque de confiance des populations envers les autorités. Dans la majorité des cas, précise John Dayal, l’un des membres de la délégation et secrétaire général du All India Christian Council (AICC), les femmes ayant subi des violences ne se voient même pas accordé le statut de victimes. 

Selon la police du district, le nombre de cas de viols est en diminution : pour 32 cas enregistrés en 2011, il y aurait eu 21 viols « seulement » en 2012. Des chiffres contestés par les ONG locales qui déclarent avoir enregistré au moins une dizaine de viols les trois derniers mois (de novembre 2012 à janvier 2013), et expliquent que la police refuse de prendre des « centaines de plaintes », mais aussi que la majorité des victimes n’osent rien dire « par crainte de représailles ».

La délégation a donc recommandé la formation des personnels administratifs et des forces de police, ainsi que la mise en place de campagnes de sensibilisation dans les écoles, les municipalités et les conseils de village. Selon le groupe chrétien, le plus important est de s’attaquer aux mentalités qui sont à l’origine de la persistance des discriminations sexuelles et du mépris concernant les femmes.

Le communiqué de presse souligne également l’urgence de fournir aux victimes des services de consultation spécifiques, avec des médecins de sexe féminin formés à cette traumatologie, comme cela a été mis en place dans presque toute l’Inde. « L’absence de laboratoires et de médecins formés à la médecine légale dans le district du Kandhamal, l’absence de personnel féminin dans la plupart des commissariats, le fait qu’il n’y ait aucune unité spéciale de police consacrée aux mineurs, et enfin l’inexistence de centres ou de services dédiés à l’aide et au soin des femmes victimes, aggrave encore la situation déjà très vulnérables des femmes », a commenté Sr Mary Scaria, avocate et membre de la délégation, qui préconise également l’installation d’une hotline d’urgence.

Le groupe s’est dit également frappé par le nombre de femmes abandonnées par leur mari et laissées sans ressources, ainsi que par le manque de surveillance des écoles et des foyers gérés par le gouvernement où 10 000 jeunes filles dalits et adivasis sont hébergées pour leurs études. De nombreuses étudiantes sont ainsi enlevées et disparaissent sans que nulle enquête ne soit menée. Le groupe aborde alors la question du « trafic des êtres humains à grande échelle » en augmentation dans le Kandhamal, et souligne que le gouvernement n’a mis en place aucun moyen de lutte contre ce fléau.

La publication de ce rapport survient alors que le projet d’amendement du Code pénal sur les violences sexuelles fait l’objet d’un débat national en Inde, les attentes étant fortes après le dramatique viol et la mort de l’étudiante de Delhi. A la suite des nombreuses manifestations demandant la révision d’urgence de la législation indienne, le gouvernement fédéral avait chargé une commission, menée par l’ancien président de la Cour suprême J. S. Verma, de proposer des réformes pour lutter contre les viols. Le 23 janvier dernier, la Commission Verma rendait son rapport au ministre de l’Intérieur et, le 3 février, le président indien Pranab Mukherjee signait une ordonnance de modification du Code pénal.

Mais, selon différentes ONG, dont Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) qui ont publié un communiqué de presse commun le 12 février, ce nouveau texte de loi – lequel doit être voté lors de la prochaine session parlementaire – n’atteindra pas son but, bien au contraire. Contrairement à l’engagement pris par le gouvernement, il n’a intégré aucune des recommandations de la Commission Verma, et il ne respecte pas non plus les normes internationales concernant les droits de l’homme.

« La nouvelle ordonnance vient enfin réformer les lois post-coloniales de l’Inde sur les violences sexuelles, mais n’offre pas aux victimes les garanties essentielles relatives aux droits humains ni en matière de réparation », a notamment expliqué Meenakshi Ganguly, responsable pour l’Asie du Sud à HRW. Quant à G. Ananthapadmanabhan, directeur général pour l’Inde d’Amnesty International, il a souligné que le texte de loi, loin de pénaliser la totalité des violences sexuelles, les définissait en des termes discriminatoires desservant les victimes.

Dans son rapport, la Commission Verma avait voulu dépasser le problème des viols urbains et s’était attaquée aux sources du problème, c’est-à-dire le changement des mentalités et les attitudes discriminatoires envers les femmes en Inde. « L’égalité des femmes étant intégrée à la Constitution, son déni actuel est un sacrilège et une violation constitutionnelle. Et la répétition de cette violation montre que le gouvernement ne respecte plus la Constitution », avait expliqué le juge Verma.

La commission avait ainsi dénoncé le tabou des viols conjugaux, demandé que les mariages soient tous enregistrés légalement afin de protéger les épouses et que soient sanctionnés les comités de villages pratiquant les mariages forcés. Enfin, de manière inédite pour un organe gouvernemental, la commission avait demandé la poursuite judiciaire devant les cours civiles des militaires et des policiers accusés de viol, et la définition de la violence sexuelle en tant que violation du droit des femmes à l’intégrité physique. Aucune de ces préconisations n’a été retenue dans l’ordonnance qui va être présenté pour validation au Parlement indien (3).