Eglises d'Asie

Entre euphorie et incertitude, Mindanao veut croire à la paix

Publié le 16/10/2012




Lundi 15 octobre, un accord de paix qualifié d’historique par les parties prenantes a été signé entre la rébellion moro et le gouvernement philippin. Mais les évêques de Mindanao et une partie de la population, s’ils se réjouissent de « ce grand pas vers la paix », restent toutefois mesurés quant à l’application effective du traité.

« Aujourd’hui, je tends la main de l’amitié au peuple philippin (…) Aujourd’hui, nous mettons fin aux affrontements entre les Moros et les Philippins », a déclaré le 15 octobre à Manille Al Haj Murad Ebrahim, chef du principal groupe armé indépendantiste, le Front moro de libération islamique (MILF), lors de la conférence de presse où il est apparu aux côtés du président philippin Noynoy Aquino, lequel a ajouté que « cet accord allait enfin apporter la paix définitive à Mindanao ».

La signature officielle de l’accord-cadre pour la paix à Mindanao par le président des Philippines et le chef du MILF, en présence des responsables des plus importantes factions armées de la rébellion musulmane, laisse entrevoir la fin de la guerre larvée (1) qui sévit depuis quarante ans la partie sud de l’archipel où vivent 4 à 6 millions de musulmans (sur les 20 millions d’habitants que compte Mindanao). Un traité préliminaire avait déjà été conclu dimanche 7 octobre dernier entre le négociateur du gouvernement Marvic Leonen et son homologue moro Mohagher Iqbal, à l’issue de longues négociations menées à Kuala Lumpur, la Malaisie agissant comme médiateur. La nouvelle de l’aboutissement des pourparlers et de l’établissement de ce traité-cadre avait été saluée tant par la communauté internationale que par les différents responsables politiques et religieux de l’archipel philippin (2).

L’accord-cadre établit la feuille de route des différentes étapes qui conduiront à la création à Mindanao d’une zone semi-autonome administrée par la communauté musulmane, le Bangsamoro (« terre des Moros »). Il fixe également le calendrier et les modalités d’application du processus qui devra être achevé en 2016 (coïncidant ainsi avec la fin du mandat de Benigno Aquino).

En 1996, Manille et le Front moro de libération nationale (MNLF), le mouvement séparatiste le plus important à l’époque, avaient signé un accord de paix qui avait abouti à la création de l’Autonomous Region in Muslim Mindanao (ARMM). Mais ce dispositif, bien qu’il soit toujours en vigueur, est aujourd’hui considéré comme un échec par les deux parties. Quinze années de négociations, entrecoupées de cessez-le-feu et de reprises des violences, ont donc été nécessaires pour établir ce 15 octobre 2012 un accord-cadre avec le MILF, mouvement dissident du MNLF, devenu à son tour le groupe rebelle le plus puissant de l’île.

Si les principes généraux instituant la nouvelle entité politique sont présentés dans le traité, bon nombre d’imprécisions demeurent, concernant notamment les limites et les attributions du territoire du Bangsamoro, ce qui augure de prévisibles difficultés à venir.

La première étape de l’accord prévoit, outre le cessez-le-feu, le désarmement progressif des armées rebelles, avec la possibilité que les anciens combattants soient intégrés dans l’armée ou la police nationales. Parallèlement, un comité provisoire devra gérer la phase de transition et gouverner cinq provinces, trois villes et six communes (dont le nombre pourrait augmenter suite aux élections locales prévues en 2013). Une commission d’une quinzaine de membres sera chargée d’établir le nouveau cadre constitutionnel (« loi fondamentale ») du Bangsamoro, qui devra être voté par le Parlement d’ici 2015 et ratifié par référendum par la population philippine.

Le territoire devrait bénéficier d’une plus grande autonomie dans les domaines politiques et économiques, pour la gestion des richesses naturelles de la région, mais les pouvoirs régaliens (défense, sécurité, citoyenneté, politiques étrangères et monétaires) resteront sous le contrôle de Manille.

L’application de la charia – l’une des principales revendications de la guérilla moro – sera effective sur toute la région mais ne concernera que les seuls musulmans (et ne sera appliquée qu’au civil et non au pénal).

Malgré les mesures d’encadrement prévues, les catholiques, qui sont majoritaires dans l’île de Mindanao, ne cachent pas leur inquiétude et craignent que la situation ne se retourne contre eux. Après le rejet en 2008 d’un précédent accord de paix par la Cour suprême qui l’avait déclaré anti-constitutionnel, des communautés chrétiennes avaient été attaquées par des membres de la guérilla moro. Suite à la réponse militaire de Manille, 400 personnes avaient trouvé la mort et 750 000 autres avaient été déplacées.

Les évêques catholiques de Mindanao, s’ils se sont réjouis publiquement de la signature d’un traité qui « marque une étape importante vers la paix », ont cependant tous tenu à souligner qu’il « en fallait beaucoup plus pour parler de paix achevée ». Dans une déclaration publiée le 15 octobre par la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), onze d’entre eux ont expliqué que « [cet accord] n’était pas la fin d’un processus de paix mais seulement le commencement d’un travail beaucoup plus long et difficile […] qui devra se faire au sein de toutes les communautés de Mindanao ». Parmi ces prélats, qui tous travaillent depuis des années sur l’île à la réconciliation interreligieuse, Mgr Martin Jumoad, évêque de Basilan, a lancé un appel à la prudence : « Nous devons être vigilants (…). Ce sera un vrai travail d’éducation de la population, et il faut espérer que le respect de l’autre et la tolérance religieuse existeront dans ce nouveau Bangsamoro. »

Quant à Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato, il a fait part de son regret que les représentants religieux n’aient pas été impliqués dans l’établissement de l’accord-cadre, au sujet duquel de nombreuses incertitudes persistent.

Ces points faibles de l’accord n’ont pas manqué non plus d’être soulignés par les médias, tels le Manila Times qui, dans son édition du 15 octobre, énumère les écueils sur lesquels risque d’« échouer le processus de paix ». En première lieu figurent les dissensions entre les groupes de la rébellion moro, dont certains ont déjà commencé à manifester leur rejet de l’accord de paix. Le MNLF, qui a vu ces dernières années son influence diminuer au profit du MILF, a menacé Manille de reprendre le combat tout en accusant les membres du MILF de « traîtrise » pour avoir renoncé à toute velléité indépendantiste. D’autres groupuscules ont également fait part de leur refus de rendre les armes mais aussi d’observer le cessez-le-feu. Le 14 octobre, trois soldats philippins ont été abattus par le groupe Abu Sayyaf (3).

Le mouvement interreligieux Moro-Christian People’s Alliance (MCPA) a lui aussi accueilli avec réserve les annonces triomphalistes qui ont suivi l’accord : « Ces déclarations tentent de créer l’illusion qu’un conflit de plusieurs siècles vient d’être résolu subitement ; cela ne fait que donner de faux espoirs aux gens, la paix est longue à construire. »