Eglises d'Asie

A Zamboanga, deux prêtres catholiques se trouvent parmi les civils retenus comme « boucliers humains » par les hommes du MNLF

Publié le 11/09/2013




Selon l’administrateur diocésain de l’archidiocèse de Zamboanga, deux prêtres catholiques se trouvent parmi la centaine de civils retenus comme « boucliers humains » par les hommes du MNLF (Front moro de libération nationale) qui tiennent sous leur contrôle plusieurs quartiers de la ville de Zamboanga.

L’information est donnée par une dépêche datée du 10 septembre de l’agence Ucanews, laquelle cite Monseigneur Chris Manongas, administrateur du diocèse (dont le siège est vacant depuis février 2012). Selon ce dernier, l’un des deux prêtres en question, le P. Michael Ufana, se trouvait chez ses parents lorsque les hommes en armes du MNLF ont fait irruption et ont emmené l’ensemble des occupants de la maison. L’information a été confirmée par la police ainsi que par le Mindanao Human Rights Action Center. L’identité du deuxième prêtre n’a pas été rendue publique pour des raisons de sécurité, mais il a pu être joint au téléphone par Mgr Manongas ; il a dit se trouver dans une église catholique en compagnie d’autres réfugiés et que l’eau et la nourriture venaient à manquer. Le quartier où se trouve cette église ayant été bouclé par l’armée et des combats se déroulant autour, il n’a pas été possible de les ravitailler, a ajouté l’administrateur diocésain (1).

Au-delà du cas de ces deux prêtres catholiques, ce sont entre 70 et 250 civils (les chiffres varient selon les sources) qui sont désormais retenus par les quelque deux à trois cents combattants du MNLF qui tiennent militairement plusieurs quartiers de la périphérie de Zamboanga. Leur action a débuté le 9 septembre. Arrivés semble-t-il par voie de mer, ils ont d’abord cherché à gagner l’hôtel de ville pour en prendre le contrôle et y hisser le drapeau de leur mouvement, mais, arrêtés en chemin par des forces de police, ils se sont retranchés dans plusieurs quartiers de la périphérie de cette ville de l’extrême sud-ouest de Mindanao. Retenant désormais des civils en guise de « boucliers humains », ils tenteraient de négocier leur départ avec les autorités philippines. Manille a très rapidement déployé d’importantes forces militaires, qui encerclent les insurgés mais n’ont pas reçu l’ordre de lancer l’assaut. A ce jour, les coups de feu échangés ont fait une dizaine de victimes et plusieurs dizaines de blessés. Plusieurs milliers d’habitants ont fuit les quartiers où se situent les affrontements pour trouver refuge dans des stades, des écoles, des églises ou des mosquées. La ville de Zamboanga compte 800 000 habitants, dont les trois quarts sont catholiques et le dernier quart en grande partie musulmans.

Face à ce regain des tensions armées, Monseigneur Manongas lance un appel au calme et au retour à la table des négociations. Membre d’un diocèse qui, au fil des décennies passées, n’a pas ménagé ses efforts pour favoriser le dialogue entre chrétiens et musulmans, il se dit « ulcéré » par le présent « incident ». « Nous appelons la direction du MNLF à ne pas impliquer les civils dans leur lutte politique. Négocier les armes à la main ne résoudra rien », a déclaré l’administrateur diocésain dès le début de ce nouvel épisode de violence, le 9 septembre. Les églises sont ouvertes à tous ceux, chrétiens comme musulmans, qui sont affectés par les troubles, a-t-il ajouté, précisant que « tous, dans le diocèse, au sein de ses instances sociales et caritatives notamment, sont mobilisés pour accueillir les personnes » qui fuient les troubles. « Ce qui se passe n’a rien d’un conflit religieux. C’est un conflit politique. Il n’y a pas d’animosité ici entre les chrétiens et les musulmans et nous entretenons de bonnes relations avec les responsables religieux musulmans de Zamboanga », a-t-il conclu.

Dans le long conflit qui oppose musulmans et chrétiens à Mindanao (120 000 morts ces quarante dernières années), il semble que ce soient les dissensions entre les deux principaux mouvements musulmans revendiquant l’indépendance, du moins l’autonomie, d’une large fraction du territoire de Mindanao qui expliquent l’actuel accès de fièvre à Zamboanga. Acteur historique du conflit, fondé en 1969, le Front moro de libération nationale (MNLF), dirigé par Nur Misuari, a signé avec Manille un accord de paix en 1996, renonçant à la proclamation de l’indépendance en échange de la création d’une Région autonome musulmane de Mindanao (ARMM). Toutefois, depuis la signature l’an dernier d’un accord entre Manille et le Front moro de libération islamique (MILF), l’autre grand mouvement indépendantiste de la région, Nur Misuari et ses hommes s’estiment lésés. Après plusieurs mois de négociations sous l’égide de la Malaisie, le MILF et le gouvernement philippin ont en effet signé, ce 14 juillet 2013, un accord sur le partage des richesses de la future région semi-autonome musulmane de Mindanao (à mettre en place d’ici à 2016). Le gouvernement voulait un partage à 50/50, mais le MILF a obtenu 75 % des futurs revenus générés par les taxes et les ressources minières, qui sont abondantes dans le sud philippin. Selon les observateurs, cet accord du 14 juillet ouvrait la voie à la signature d’un accord de paix global avant la fin de l’année, la question du désarmement des rebelles restant toutefois à régler. Mais c’était sans compter sur le MNLF et le fait que ses dirigeants se sont sentis marginalisés et lésés par l’accord entre Manille et le MILF. Signe de ce mécontentement, Nur Misuari, qui reste caché à l’heure actuelle mais dont l’action militaire à Zamboanga est commandée par l’un de ses plus proches bras droits, a, le mois dernier, déclaré unilatéralement « l’indépendance » du sud philippin. C’est le drapeau de ce Mindanao indépendant que ses hommes devaient faire flotter sur l’hôtel de ville de Zamboanga.

En 2001, Nur Misuari, alors âgé de 60 ans, s’était déjà trouvé en position délicate, marginalisé au sein de son propre mouvement, le MNLF. Une action militaire d’une poignée de ses fidèles avait alors été lancée. Elle avait consisté en l’assaut d’un quartier de Zamboanga, les rebelles prenant des civils en otages pour protéger leur fuite. Assiégés par l’armée, ces hommes avaient négocié leur liberté contre celle des otages, tout en obtenant de conserver leurs armes. Vingt-sept personnes avaient toutefois trouvé la mort du fait de cet incident, mais celui-ci avait permis de remettre en selle Nur Misuari, chef charismatique de ses troupes dans les années 1980 et 1990 mais piètre administrateur de l’ARMM une fois la paix conclue avec Manille.