Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Les points de vue de l’Eglise catholique et de l’Etat se sont-ils rapprochés à l’occasion des fêtes d’ouverture de l’année sainte ?

Publié le 25/03/2010




Les préparatifs des fêtes d’ouverture de l’année sainte ont été accompagnés de nombreux commentaires dans les médias en vietnamien, officiels ou non, classiques ou électroniques. Nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur la nature des relations entre l’Eglise catholique au Vietnam et l’Etat vietnamien, et plus précisément sur l’évolution récente de ces relations.

Dans le texte ci-dessous, la rédaction d’Eglises d’Asie apporte sa contribution à cette réflexion.

 

Les cérémonies d’ouverture de l’année sainte, qui se sont déroulées dans la province du Ha Nam, à So Kiên, le 23 et le 24 novembre 2009, ont-elles marqué une évolution dans les relations de l’Eglise et de l’État au Vietnam ? C’est une question qui a été soulevée dans la plupart des commentaires relatifs à ce vaste rassemblement de plus de 100 000 chrétiens venus commémorer ensemble leur histoire commune. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que ce rassemblement de l’année sainte faisait suite à deux années émaillées de conflits concernant des propriétés d’Eglise confisquées par l’Etat. Après les affaires de la Délégation apostolique et de la paroisse rédemptoriste de Thai Ha, qui ont éclaté à Hanoi dès le mois de décembre 2007, plusieurs autres ont ensuite défrayé la chronique aussi bien dans le centre du pays, à Tam Toa, à Loan Ly, que dans le sud, chez les sœurs de Saint Paul de Chartres à Vinh Long, pour ne parler que des plus connues.

Des réponses directes ou indirectes ont été données à cette interrogation, aussi bien dans la presse officielle, directement placée sous le patronage de l’Etat que dans ce qui est devenu pratiquement aujourd’hui l’organe d’expression officiel de l’Eglise catholique au Vietnam, à savoir le site Internet de la Conférence épiscopale. Mais au-delà des réactions des instances responsables de l’Etat et de l’Eglise, la question de savoir s’il existait une volonté de rapprochement du côté gouvernemental ou du côté ecclésial a reçu divers types de réponses, quelquefois contradictoires, que ce soit dans les différents organes d’expression de la diaspora vietnamienne – sites Internet, blogs, revues écrites – ou encore dans les quelques agences de presse ou grands journaux internationaux s’intéressant à l’actualité religieuse du Vietnam.

Tout en soulignant le rôle de l’Etat, les autorités et les médias officiels se sont efforcés de garder une certaine objectivité dans leurs commentaires sur l’événement du 24 novembre dernier. Trois jours avant la fête d’ouverture de l’année sainte, le 20 novembre, un responsable des Affaires religieuses, Nguyên Tân Xuân, l’avait annoncée au cours d’une conférence de presse et avait présenté succinctement la signification et les objectifs de l’année sainte pour les catholiques (1). Une dépêche de l’Agence vietnamienne d’information (AVI) avait insisté sur l’intervention de Ha Van Nui, présenté comme le « représentant de l’État, du parti et du Front patriotique » (2). Celui-ci s’était exprimé avant la messe du 24 novembre. On peut conclure de ses déclarations qu’il n’y a pas eu de rapprochement entre l’État et le catholicisme à l’occasion de l’ouverture de l’année sainte, puisque, selon l’expression utilisée dans les communiqués sur la question religieuse (Truoc sau nhu môt…), la politique de l’État ne change jamais en ce domaine. L’État a toujours préconisé et développé une politique de liberté religieuse, a dit le représentant de l’État… Dans l’article publié le 25 novembre 2009 dans le Nhân Dân, organe du parti communiste vietnamien, l’auteur ne se contente pas de déclarations théoriques sur la liberté religieuse, mais passe en revue les contributions concrètes des autorités à la réussite du rassemblement des 23 et 24 novembre. L’article énumère les aides apportées à la communauté catholique par les services municipaux : électricité, santé, hygiène et secours d’urgence, contrôle de la circulation, etc. « L’ensemble des aides apportées, peut-on lire dans l’article, visent à renforcer la solidarité et à témoigner de l’attention que le parti et l’État portent à leurs compatriotes catholiques… » (3). Cependant, l’État n’a pas changé d’attitude à l’occasion de l’année sainte. Même s’ils rendent compte dans le détail, de l’assistance que les autorités locales ont apportée à la réussite de la fête de l’inauguration, les médias officiels soulignent que l’État ne n’accorde pas une faveur particulière au catholicisme. Il ne fait qu’appliquer une politique valable pour toutes les religions…

Pour l’Eglise, y a-t-il eu une volonté de rapprochement avec l’Etat ? En fait, l’initiative de l’année sainte a été dictée à la hiérarchie vietnamienne davantage par le calendrier, à savoir la coïncidence du 350ème anniversaire de la création des vicariats apostoliques et du 50ème anniversaire de l’établissement de la hiérarchie catholique au Vietnam. II s’agit avant tout d’un temps de prière plus intense pour l’Eglise. S’il fallait trouver une autre motivation, il faudrait peut-être invoquer le désir de permettre au peuple de Dieu, à travers ce pèlerinage dans le passé, d’acquérir une conscience plus claire de sa propre identité spirituelle, du rôle qu’il peut et doit jouer dans la nation et, sans doute aussi, de sa force. Une telle prise de conscience est devenue possible et nécessaire après la période très difficile que vient de traverser l’Eglise au Vietnam. Les déclarations de la Conférence épiscopale montrent que son intention est de faire de cette année sainte un temps de formation et d’études pour l’ensemble du peuple de Dieu au Vietnam. L’étendue du programme de travail et la densité des documents d’études publiés par le comité d’organisation témoignent éloquemment de cette ambition. Il est donc peu probable que cette volonté de rapprochement soit pour beaucoup dans la proclamation d’une année sainte. La preuve en est encore que le président de la Conférence épiscopale, au lendemain du grand rassemblement, n’a pas hésité à élever la voix pour protester contre les travaux entrepris sur la propriété de l’Institut pontifical Saint Pie X à Dalat et à réclamer leur arrêt immédiat (4). Il faut dire que les autorités de la province de Lâm Dông n’avaient pas hésité à entamer ces travaux en pleine préparation de l’année sainte.

Il faut noter cependant que l’un des objectifs visés à travers l’année sainte est, non pas un rapprochement à n’importe quel prix, mais la mise en place d’un type de relation proprement évangélique avec la nation vietnamienne, sa société comme son Etat. A plusieurs reprises, avant et après les fêtes d’ouverture, les évêques ont déclaré que le dialogue était l’instrument privilégié des rapports de l’Eglise et de la nation. Le 28 juin dernier, s’adressant aux évêques du Vietnam venus à Rome en visite ad limina, le pape Benoît XVI avait ainsi défini le rôle de l’Eglise : « Elle n’entend nullement se substituer aux responsables gouvernementaux, souhaitant seulement pouvoir, dans un esprit de dialogue et de collaboration respectueuse, prendre une juste part à la vie de la nation, au service de tout le peuple » (5). Les évêques ont retenu ces deux volets de la contribution de l’Eglise au développement du pays : « dialogue et collaboration ». Ils leur ont même donné une ampleur qu’ils n’avaient pas précédemment. « Dialogue et collaboration » sont, pour eux, les vrais canaux des relations entre la communauté catholique et son pays.

Quelques jours avant l’ouverture de l’année sainte, le président de la Conférence des évêques du Vietnam, Mgr Pierre Nguyên Van Nhon, s’était exprimé sur ce sujet dans une interview. Ce dialogue auquel est appelé l’ensemble du peuple de Dieu a pour partenaire la société tout entière et non seulement les autorités. Par ailleurs l’évêque a souligné que ce dialogue est obligatoirement accompagné par le respect mutuel et la collaboration. Si l’un des partenaires n’est pas respecté et reconnu dans les valeurs qu’il défend et dans le rôle qu’il tient, le dialogue se transformera en « monologue » stérile (6). Il importe aussi que dans ce dialogue, les propos d’un partenaire soient communiqués à l’autre sans être tronqués ni déformés.

Tout récemment encore, Mgr Paul Bui Van Doc est revenu sur ce mode privilégié des relations des catholiques avec leur pays, à savoir le dialogue, dans une conférence prononcée au club Nguyên Van Binh à Saigon (7). Avec le pape Benoît XVI, L’évêque replace le dialogue et la collaboration dans leur contexte, à savoir « le service du développement intégral de l’homme et de la société ». Il s’applique ensuite à montrer la profonde concordance existant entre le dialogue et les valeurs évangéliques. En dépit du pessimisme ambiant, Mgr Doc affiche un grand optimisme et croit à la possibilité de faire exister un tel dialogue et une telle collaboration.

On ne peut nier en effet que le dialogue et la collaboration soient les moyens les plus évangéliques pour entrer en rapport avec la nation et son Etat. Mais l’observateur de l’histoire religieuse récente du Vietnam doit avouer que ce type de relations reste en grande partie, aujourd’hui, un projet qui jusqu’à présent n’a été efficient que dans un certain nombre de situations. Lors des conflits portant sur les terrains, on peut citer, entre autres, les solutions heureuses données au problème du Centre de pèlerinage marial de La Vang ou encore à celui de l’ancien petit séminaire de Saigon, devenu un Centre pastoral. En beaucoup d’autres cas, et en particulier dans les affaires récentes, le dialogue a été carrément refusé par les autorités locales qui ont tranché le débat en imposant des solutions arbitraires.

L’ouverture de l’année sainte au Vietnam n’a sans doute pas été dictée par une volonté délibérée de rapprochement avec l’État. Mais il est certain qu’à travers elle, l’Eglise catholique au Vietnam tient à se présenter à l’État comme le partenaire d’un possible dialogue, dans le respect mutuel et la vérité, au service du développement du pays.