Eglises d'Asie – Inde
Pour la première fois, un catholique siège au politburo du Parti communiste d’Inde (CPI-M)
Publié le 12/04/2012
… responsables à faire leur entrée au politburo du CPI-M figure un catholique, Mariam Alexander Baby, personnalité politique du Kerala.
Agé de 58 ans, M.A. Baby était il y a un an encore ministre de l’Education dans l’Etat du Kerala. Poste où il a tenté – et en partie réussi – de réformer le système éducatif local, non sans croiser le fer avec l’Eglise catholique, très présente dans ce secteur dans un Etat où les chrétiens comptent pour 23,3 % de la population. Toutefois, à la faveur des élections législatives de l’an dernier, les communistes, au pouvoir depuis 2006, ont été défaits et ont rejoint les rangs de l’opposition (ainsi qu’ils le font régulièrement depuis 1957 dans un jeu d’alternance bien rodé entre une coalition de gauche emmenée par eux et une coalition de droite emmenée par le Parti du Congrès).
M.A. Baby ne fait pas mystère de son appartenance à la religion catholique. Baptisé dans le rite latin, il explique qu’il a rejoint les rangs des communistes à l’âge de 12 ans « afin de lutter contre les oppresseurs ». « Si l’Eglise avait combattu pour les pauvres, j’aurais adhéré à un mouvement d’Eglise », explique-t-il, mais, dans son village natal du district de Kollam, seuls les communistes et les syndicalistes se battaient pour les pauvres, ajoute-t-il en précisant que son engagement auprès des communistes l’a amené « au point où, s’[il] ne connaît pas le mystère divin, [il] sait où se trouve la misère humaine ».
M.A. Baby explique encore que son attachement au Christ est « idéologique », voyant dans la personne de Jésus un grand révolutionnaire qui a combattu toutes les formes d’injustices, tout en se tenant à l’écart des riches et des puissants, oppresseurs des pauvres. « Je n’ai aucune pratique religieuse. Je suis un marxiste qui croit en l’égalitarisme », valeur défendue par le Christ « avec une grande passion », précise-t-il encore, non sans appeler l’Eglise à jouer un plus grand rôle social en collaboration avec les communistes afin de venir en aide aux pauvres. « Si les responsables de l’Eglise pratiquaient ce que Jésus a enseigné, nous n’aurions pas de problème. Nous nous opposons à ceux qui utilisent la religion à des fins politiques ou personnelles », conclut-il.
Membre du Comité central du CPI-M, A. Vijayaraghavan explique pour sa part que si son parti a choisi de faire entrer M.A. Baby au politburo, c’est parce que les communistes ont besoin au plan national de son expérience et de son leadership. Conscient de son affaiblissement graduel (en même temps que le CPI-M perdait le pouvoir en 2011 au Kerala, il le perdait aussi au Bengale-Occidental après un règne ininterrompu de trente-quatre ans), le parti cherche le moyen de réagir à la montée en puissance, au plan national comme au plan régional, de partis de basses castes qui monopolisent le vote des exclus du « miracle » économique indien.
A. Vijayaraghavan ne fait ainsi pas mystère de la volonté de son parti d’élargir sa base électorale. « Notre objectif est d’élargir notre présence parmi les dalits et les minorités religieuses qui ont besoin de protection », déclare-t-il, ajoutant que le CPI-M s’est toujours battu contre les discriminations liées à l’appartenance religieuse ou de caste en Inde. « Partout où les chrétiens et les musulmans sont poursuivis, nous nous battons pour eux », affirme-t-il.
Après la perte du Kerala et du Bengale-Occidental lors des élections de 2011 (seul le petit Etat de Tripura, dans le Nord-Est, restant entre les mains des communistes), le CPI-M ne compte plus au Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement fédéral, que 16 députés (sur 543 sièges). Le parti estime pourtant qu’il peut rassembler de 5 à 6 % de l’électorat indien. Avec une base revendiquée d’un million de membres, le CPI-M souhaite désormais étendre son électorat parmi les minorités chrétienne (2,3 % des Indiens) et musulmane (14 % des Indiens). A ce jour, il estime que seulement 7 % de ses membres sont soit chrétiens soit musulmans. Dans cette perspective, le Kerala, avec 34 millions d’habitants dont 24 % sont musulmans et 22 % sont chrétiens, constitue une cible de choix.
Dans l’immédiat, il n’est pas évident que le calcul des dirigeants du CPI-M se concrétise par des succès. La presse indienne a été prompte à qualifier la montée de M.A. Baby au politburo du parti de « tentative désespérée » de séduire les chrétiens kéralais. Ce à quoi l’intéressé a répondu en reprochant à « des médias partisans » d’inventer une lutte entre l’Eglise et les communistes au Kerala. « Si j’ai été élu (au bureau politique du CPI-M), je ne le dois qu’à mon travail pour le parti et nullement à ma religion », a-t-il déclaré.
Du côté de l’Eglise catholique, aucun commentaire n’a été fait après l’élection de M.A. Baby au politburo du CPI-M. Certains rappellent seulement que l’Eglise a eu à se plaindre d’une exposition organisée par le parti à Triruvananthapuram dans le cadre de son XXe congrès. Intitulée Marx Alone Is Right, l’exposition comprenait une section placée sous le titre : « Le martyre, du Christ au Che [Guevara] ». L’évêque du lieu, Mgr Maria Calist Soosapakiam, archevêque de Trivandrum et président du Conseil épiscopal latin du Kerala, a dénoncé « les arrière-pensées cachées » derrière une telle exposition. « Les communistes ont toujours montré du dédain pour l’enseignement de Jésus et tenté d’humilier les responsables de l’Eglise (…). Nous espérons qu’ils corrigeront leurs erreurs et veilleront à ne pas heurter les sentiments religieux des authentiques croyants en Jésus-Christ », a-t-il déclaré par voie de communiqué. Le P. Paul Thelakat, porte-parole de l’Eglise syro-malabar, a pour sa part ajouté : « Ils (les communistes) ont perdu toutes leurs figures iconiques. Ils cherchent à quoi se raccrocher. Mais les gens feront la part des choses dans leurs noirs desseins », a-t-il affirmé, confiant dans le fait que, si les communistes étaient à la recherche d’une nouvelle identité, l’Eglise catholique au Kerala avait toujours su s’accommoder de leur présence, y compris lorsqu’ils étaient au pouvoir.