Eglises d'Asie

Zamboanga : après les combats, des pluies diluviennes viennent aggraver le sort des populations déplacées

Publié le 11/10/2013




Si les armes se sont tues à Zamboanga, la situation des dizaines de milliers de personnes déplacées par les combats ne s’améliore pas. Des pluies diluviennes, qui ont affecté diverses régions de l’archipel philippin ces jours derniers, sont tombées sur la ville et ses alentours, rendant très problématique le retour de ces personnes dans leurs foyers.

Selon la branche de l’administration philippine chargée de gérer les conséquences des catastrophes naturelles, le National Disaster Risk Reduction and Management Council, la pluie qui tombe depuis le 4 octobre sur les Visayas (centre des Philippines) et sur Mindanao (sud des Philippines) a chassé de chez elles près de 95 000 personnes et causé la mort de onze d’entre elles. Si des tels événements climatiques sont fréquents dans l’archipel, les pluies de ces jours-ci interviennent dans un contexte particulièrement critique à Zamboanga.

En effet, entre le 9 septembre et les premiers jours de ce mois d’octobre, une opération commando d’une faction issue du Front moro de libération nationale (MNLF) avait fait, dans cette ville d’un million d’habitants située au bout de la péninsule de Zamboanga, à l’extrême sud-ouest de Mindanao, de nombreux morts. Les forces armées philippines sont certes venues à bout de cet acte de rébellion, mais au prix de combats de rue meurtriers (plus de 200 morts) et très destructeurs (une dizaine de milliers d’habitations détruites, selon les chiffres du gouvernement). Quelque 150 000 habitants de la ville, issus surtout des quartiers situés en bordure de mer de la ville, là où les combats ont été les plus durs, avaient dû trouver refuge dans des stades, des bâtiments publics, des églises chrétiennes ou des mosquées, les autorités locales, la Croix-Rouge et les instances religieuses leur apportant une aide humanitaire d’urgence.

Pour la maire de la ville, Isabelle Climaco-Salazar, les intempéries de ces jours-ci arrivent au plus mauvais moment. « Peu à peu, la vie revenait à la normale à Zamboanga City, mais les pluies incessantes ont provoqué l’inondation des quartiers peu élevés et elles entraînent des évacuations supplémentaires [de population] », expliquait-elle le 8 octobre, en précisant que, face à la montée des eaux, plusieurs centres accueillant des déplacés avaient dû être évacués en urgence. Des axes de circulation ont aussi été coupés par l’eau et même l’aéroport a dû fermer durant plusieurs jours, inondé lui aussi.

Au point de vue sécuritaire, les combats ont certes cessé mais la présence de l’armée reste très forte dans la ville. Plusieurs milliers d’hommes y sont déployés et continuent de « nettoyer » les quartiers où les combats ont eu lieu. Le ministre de la Défense Voltaire Gazmin a déclaré que cette dernière phase ne serait pas achevée avant le 20 octobre.

Ces opérations de « nettoyage » ont été la cause d’une polémique. Des pompiers de la ville ont en effet témoigné du fait que l’armée détruisait méthodiquement par le feu des quartiers entiers pour s’assurer qu’aucun rebelle ou dépôt d’armes n’y subsistait. Dans le Philippine Daily Inquirer, un fonctionnaire municipal de Zamboanga a ainsi expliqué qu’il pensait initialement que les destructions étaient le fait des hommes du MNLF, mais, dans le quartier de Talon-Talon, « toutes les maisons appartenant aux musulmans, qu’ils soient Tausug ou Samal Badjao (1), ont été incendiées (…) et ce sont les Marines [des Forces armées philippines] qui y ont mis le feu ». Selon une autre habitante, les « opérations de nettoyage » ne signifient « rien d’autre que mettre le feu à nos maisons ». De fait, le commando du MNLF s’étant replié dans les quartiers côtiers de la ville, majoritairement habités par des musulmans, ce sont ces quartiers qui ont été le plus détruits par les incendies de « nettoyage ».

Quant aux projets de relogement des personnes déplacées et de reconstruction des quartiers détruits, ils suscitent eux aussi des inquiétudes. Dans ces quartiers, l’habitat était principalement informel, construit sans autorisation, au fur et à mesure de l’arrivée de populations venant se fixer en ville. Aujourd’hui, à la faveur de la reconstruction, les autorités souhaiteraient mener des opérations d’urbanisme mieux conduites. Elles se veulent rassurantes. Le sous-secrétaire d’Etat à l’Action sociale, Camilo Gudmalin, a ainsi déclaré que « les occupants qui n’ont pas de titre de propriété et qui n’ont pas les moyens de reconstruire recevront une aide [de l’Etat] ». Que ce soit sur place, dans les quartiers détruits ou ailleurs, sur « les sites de relogement », les aides à la reconstruction se monteront à 100 000 pesos (1 700 euros) par famille, a précisé le sous-secrétaire d’Etat. Les intéressés se montrent toutefois méfiants et dubitatifs face aux promesses de l’Etat. Habitante de Rio Hondo, un quartier en bordure de mer, Abdua Nurilla, confie que sa famille vit là depuis deux générations et qu’elle et ses proches « ne survivront pas » s’ils sont « transférés sur des terres hautes ». « Vivre sur l’eau, c’est notre culture », a-t-elle confié au Philippine Daily Inquirer.

Sur l’avenir du processus de paix dans le sud philippin, les journaux de Manille soulignent que si le président Aquino a « gagné la bataille de Zamboanga », la perspective d’une paix durable s’est éloignée. Sur la sellette à Manille sur les questions de lutte contre la corruption, le président comptait sur l’accord de paix passé en octobre 2012 avec le MILF (Front moro de libération islamique) pour conforter sa popularité. L’opération commando d’une faction du MNLF fidèle à Nur Misuari, la figure historique de l’insurrection des musulmans de Mindanao, est venue compromettre le règlement d’un conflit vieux de quarante ans. Le 10 octobre, l’ambassade des Etats-Unis à Manille a mis en garde ses ressortissants face à « une série de menaces crédibles » visant plusieurs provinces de Mindanao. « Des extrémistes pourraient recourir à des armes conventionnelles ou non conventionnelles pour s’attaquer à des intérêts tant privés que publics », peut-on lire sur l’avis émis par l’ambassade.

(eda/ra)