Eglises d'Asie – Philippines
A la veille d’une manifestation géante contre la corruption, l’épiscopat catholique appelle à la fin du système du ‘pork barrel’
Publié le 03/10/2013
… à l’appel populaire et engager une réelle politique de lutte contre la corruption.
Les organisateurs de la Million March People se disent certains de réitérer en plus grand demain vendredi 4 octobre la manifestation organisée au Luneta Park de Manille le 26 août dernier. Cette première marche contre la corruption avait alors surpris par son ampleur et la diversité de ses participants, mobilisés notamment par une intense utilisation des réseaux sociaux. La police avait annoncé 100 000 manifestants.
Cette fois-ci, rapporte au Philippine Daily Inquirer, Patricia Tan, porte-parole du mouvement, la Million March People version 2 promet d’être « encore plus grande ». Que ce soit à Makati, le district financier de la capitale philippine où deux artères seront fermées à la circulation pour laisser place aux manifestants, ou ailleurs dans le pays et à l’étranger, « tous les Philippins sont invités à faire du vacarme en tapant sur des casseroles pour faire savoir au gouvernement que le peuple demande que ceux qui se sont rendus coupables de détournement de fonds soient punis », explique la porte-parole de Scrap Pork Network, le collectif mis en place pour la manifestation. Il est prévu qu’à 19h, sur l’avenue Ayala, à Makati, les manifestants, éclairés à la bougie, battent la cadence à l’unisson en un gigantesque mouvement « Ingay ng Liwanag » (‘bruit et lumière’).
L’objet de la manifestation portera sur l’abolition du « pork barrel » et la mise en place d’une réelle politique de lutte contre la corruption, du sommet de l’Etat au plus bas niveau de l’administration. Sous le sobriquet de « pork barrel » se cache un système, le Priority Development Assistance Fund (PDAF), dénoncé depuis des années mais à nouveau mis en évidence à l’occasion de la publication d’un audit gouvernemental en août dernier. Sorte de réserve parlementaire mise à la disposition des élus de la nation, le PDAF consiste en une somme allouée de manière discrétionnaire aux élus du Congrès pour leur permettre de financer des « projets de développement » dans leurs circonscriptions. Les montants sont importants : 200 millions de pesos (4,5 millions de dollars) pour chacun des 24 sénateurs et 70 millions de pesos pour chacun des 294 élus de la Chambre basse du Congrès. L’audit publié en août dernier a montré que six milliards de pesos avaient été détournés entre 2007 et 2009 à des fins électoralistes, personnelles, voire mafieuses. Douze sénateurs et 180 représentants sont directement concernés ; il leur est reproché d’avoir mis en place tout un ensemble d’ONG fictives pour détourner ces fonds publics. Une femme d’affaires, Janette Napoles, aurait ainsi réussi à recueillir 2,1 milliards de pesos, à travers une dizaine d’ONG, pour les redistribuer ensuite à des élus peu scrupuleux.
Après le succès de la manifestation du 26 août, les membres du collectif Scrap Pork Network estiment que le mécontentement populaire à l’endroit de la classe politique va croissant. Contrairement à ce qui avait été fait le 26 août, où les organisateurs avaient banni tout déploiement de banderoles ou de pancartes à tonalité politique, cette fois-ci, les manifestants seront libres de faire connaître les messages de leur choix.
A en croire les responsables du Scrap Pork Barrel, le mécontentement populaire se cristallise aujourd’hui sur la personne du président de la République, Benigno Aquino, élu il y a trois ans sur un programme de lutte anti-corruption mais à qui il est vivement reproché de ne diligenter d’enquêtes judiciaires que sur les élus qui lui sont opposés. « Il n’est plus possible qu’Aquino rejette toutes les fautes sur Gloria Macapagal-Arroyo (son prédécesseur à la tête de l’Etat, actuellement sous le coup d’une enquête pour détournement de fonds) et continue d’affirmer que son propre usage du ‘pork barrel’ est irréprochable », affirme Renato Reyes Jr., secrétaire général de BAYAN, une des associations du collectif.
A la veille de la manifestation du 4 octobre, les plus hautes autorités de l’Eglise catholique des Philippines ont fait entendre leur voix pour appuyer ce mouvement de lutte contre la corruption. Tenant une conférence de presse ce 3 octobre, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Jose Palma, archevêque de Cebu, a expliqué que « le peuple s’était exprimé » et qu’il fallait en finir avec le système du PDAF. « Le sentiment majoritaire est qu’il faut mettre fin [au système du ‘pork barrel’], y compris celui qui est alloué au président. Ce système avait été conçu pour permettre de faire le bien, mais il a été utilisé de manière mauvaise », a affirmé le prélat.
Le cardinal-archevêque de Manille, Mgr Luis Antonio Tagle, a quant à lui appelé le personnel politique à changer d’attitude et à « se convertir » car « la corruption est partout ». Il a invité les membres du gouvernement impliqués dans « un inextricable réseau » de corruption à visiter les pauvres et à se rendre dans les bidonvilles pour réaliser à quoi pourrait être affectés de manière efficace les fonds du « pork barrel ». « Nous ne manquons pas seulement d’amour les uns pour les autres, mais nous faisons aussi preuve d’une réelle absence de sens de la justice », a-t-il affirmé.
Sur les ondes de Radio Veritas, le directeur de la Caritas pour Manille, le P. Anton C. T. Pascual, a estimé que le scandale autour du « pork barrel » avait « le mérite de réveiller nos consciences » mais « ne devait pas s’arrêter là ». « Nous avons à poursuivre notre croisade pour obtenir des résultats et de nouvelles lois qui empêcheront la répétition d’une telle corruption à l’avenir, a-t-il plaidé. Il nous faut des lois et une structure de gouvernement qui fassent que les fonds disponibles aillent vraiment à ceux qui sont dans le besoin. »
(eda/ra)