Eglises d'Asie

Gujarat : les conversions en masse de dalits au bouddhisme inquiètent les autorités

Publié le 19/10/2013




Le gouvernement du Gujarat a décidé d’ouvrir une enquête après la conversion de milliers de dalits (ex-intouchables) au bouddhisme lors d’une cérémonie collective le 13 octobre dernier à Dungarpur, petite ville située dans le district de Junagadh.La célébration était organisée par la Buddha Diksha Mahotsav Samiti, qui commémore tous les ans …

… la conversion au bouddhisme de son maître spirituel, Babasaheb Ambedkar (1), homme politique et leader des intouchables, décédé en 1956.

Le 14 octobre 1956, Ambedkar et des milliers de ses disciples se convertissaient au bouddhisme à Nagpur, dans le Maharashtra, sur une esplanade appelée depuis DeekshaBhoomi. Tous les ans, à la même date, ils sont des milliers de dalits à se rassembler sur le même lieu, pour la Diksha Samiti en souvenir de Babasaheb, lors du Dhammachakra Pravartan Din, dernier jour de la Durga Puja, choisi symboliquement pour « rejeter le culte des idoles  hindoues ».

Cette année, le rassemblement commémoratif, qui s’accompagne toujours de milliers de conversions de dalits, était organisé à Dungarpur, ville du Gujarat choisie pour son « héritage bouddhique » datant de l’époque de la conversion au bouddhisme de l’empereur Ashoka.

Selon le Times of India du 12 octobre, les organisateurs avaient promis « la plus grande assemblée depuis que les Diksha Samiti existent » et annoncé près de 100 000 participants. « Des moines sont venus de tout le pays et du monde entier pour la cérémonie de la Diksha. Cétait le couronnement de nos efforts de ces vingt dernières années », avait déclaré Devendra Vanvi, principal organisateur du rassemblement. Parmi les invités prestigieux se trouvait le célèbre prêcheur Jaydev Bapa, très révéré par les dalits du Gujarat, qui s’est converti publiquement entouré de ses disciples lors de la célébration collective du 13 octobre.

Au lendemain de l’événement, l’estimation chiffrée de la foule variait considérablement selon les sources : l’Indian Express évoquait 5 000 à 15 000 personnes dans son édition du 16 octobre, alors que le Daily Bhaskar rapportait pour le même jour que la Diksha Samiti de Junagadh avait rassemblé près de 60 000 participants.

Quoi qu’il en soit, les autorités du Gujarat ont annoncé qu’elles allaient ouvrir une enquête sur cette « cérémonie de conversion collective » afin de déterminer si elle constituait une violation du Gujarat Freedom of Religion Act (GFRA) loi anti-conversion en vigueur dans l’Etat depuis 2008.

Selon cette loi, les personnes désirant changer de religion doivent auparavant en obtenir la permission auprès des autorités du district. Toute infraction envers le GFRA entraîne des poursuites judiciaires à l’encontre du nouveau converti ,ainsi que de « quiconque se trouve impliqué dans le processus de conversion ». Le Bharatya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), au pouvoir dans le Gujarat depuis 2001, est régulièrement fustigé pour son utilisation de cette loi anti-conversion (2) contre les minorités religieuses de l’Etat, musulmanes, chrétiennes et bouddhistes.

Les autorités du district de Junagadh, qui ont été sommées de répondre de ces conversions de masse, ont opposé qu’elles n’avaient pas été sollicitées, et que la célébration « s’était tenue sans autorisation préalable ». Ce que nie formellement la Buddha Diksha Mahotsav Samiti (BDMS) qui affirme que « le panchayat du village, tout comme les différents responsables du district » avaient tous donné leur accord, et même fourni les moyens logistiques pour la manifestation (service d’ordre, sonorisation, équipes de soins de premier secours, etc.)

Selon Devedra Vanvi, « plus de 30 000 familles ont rempli les formulaires d’inscription et signé les papiers administratifs nécessaires ». Le leader bouddhiste, qui précise que d’autres rassemblement sde conversions collectives sont prévus dans les prochains jours, accuse le gouvernement BJP de vouloir « exercer des pressions sur les nouveaux convertis » et « empêcher la tenue des futures cérémonies ».

Kirit Rathod, un autre militant du BDMS, a déclaré au Times of India que les autorités du Gujarat « essayaient depuis longtemps de contenir les conversions au bouddhisme », conscientes que cela risquait d’« affaiblir leur emprise politique » sur le Gujarat.

L’enjeu est d’autant plus important que le ministre-président de l’Etat, Narendra Modi, est candidat au poste de Premier ministre de l’Union indienne pour les prochaines élections nationales qui se tiendront dans quelques mois (3). Depuis des semaines l’équipe électorale de Narendra Modi présente l’Etat du Gujarat comme l’exemple de « l’excellence du gouvernement » du ministre-président BJP, tentant de faire oublier les pogroms anti-musulmans (2 000 morts et 150 000 personnes déplacées suite aux attaques hindouistes de 2002) et les persécutions anti-chrétiennes qui ont émaillé ses mandats successifs.

Dans cet Etat très majoritairement hindou (80 % de la population) mais également l’un des plus pauvres de l’Inde, les dalits sont de plus en plus nombreux à vouloir échapper au système des castes en choisissant une « religion qui ne pratique par les discriminations oppressives de l’hindouisme». Ce système « fait des dalits des esclaves », explique encore l’un des organisateurs du rassemblement, Parikshit Rathod. Mais désormais, ajoute-t-il, les dalits ont réalisé ce qu’ils subissaient et ils veulent s’en libérer grâce à l’enseignement d’Ambedkar.

« Avant Babasaheb, nous étions traités comme des animaux. Lui, il nous a donné une identité et il nous a montré la vraie foi en nous apprenant à nous battre pour nos droits », résume auprès du quotidien The Hindu, Waman Kamble, âgée de 64 ans, ancienne dalit récemment convertie au bouddhisme.

Selon le dernier recensement (2001), l’Inde ne compte qu’une faible proportion de bouddhistes (8 millions de personnes, soit moins de 1 % de la population), la plupart d’entre eux (73 %) résidant au Maharashtra, Etat voisin du Gujarat. Les conversions de dalits au bouddhisme à la suite d’Ambedkar marquent depuis les années 1960 le retour de la religion du Bouddha sur sa terre natale d’où elle avait pratiquement disparu au XIIe siècle.

(eda/msb)