Eglises d'Asie

Orissa : Dans une interview à Eglises d’Asie, Mgr Cheenath dénonce le climat de peur régnant encore dans le district du Kandhamal

Publié le 25/03/2010




Sept mois après la dernière vague de violences antichrétiennes qui a endeuillé le district du Kandhamal, dans l’Etat de l’Orissa, pas un seul auteur de ces actions violentes n’a été jugé et condamné ; certains extrémistes hindous ont bien été arrêtés mais ils ont été rapidement remis en liberté sous caution et continuent de faire régner un climat de peur dans la région.

De passage à Paris (1), dans un entretien exclusif à Eglises d’Asie, Mgr Raphael Cheenath, archevêque du diocèse catholique de Cuttack-Bhubaneswar, dénonce cette situation mais veut croire que les élections générales, qui débutent le 16 avril prochain (2), sont susceptibles d’apporter des changements à même de « redonner espoir aux communautés chrétiennes » dont il a la charge.

Dans le district du Kandhamal, épicentre des violences antichrétiennes qui ont fait une centaine de morts et des milliers de déplacés après l’assassinat, le 23 août dernier, d’un religieux hindou radical, le swami Laxamananda Saraswati (3), la situation est aujourd’hui redevenue calme. Mais, dénonce Mgr Cheenath, ce sont là des apparences trompeuses : « [Les chrétiens] ont peur de revenir chez eux car ils ne veulent pas être soumis au chantage des hindouistes, qui leur promettent de ne restituer leurs biens que s’ils se convertissent à l’hindouisme. » Dans les camps de personnes déplacées, mis en place par le gouvernement de l’Etat de l’Orissa, les chrétiens ne sont pas plus rassurés. D’une part, les autorités souhaitent désormais fermer ces camps et, pour cela, exercent de fortes pressions sur les réfugiés pour qu’ils repartent chez eux ; et, d’autre part, aucun coupable n’ayant été déféré devant la justice, les chrétiens ont peur de se retrouver vivre aux côtés de ceux-là même qui les ont persécutés.

« Aujourd’hui, les chrétiens [au Kandhamal] n’ont rien à espérer du point de vue matériel. Certains ont perdu des êtres qui leur étaient chers. Ils ont vu leurs maisons incendiées, leurs biens pillés, détruits ou volés et leurs terres sont désormais accaparées par d’autres », explique Mgr Cheenath, qui voit là, ironiquement, un démenti des thèses hindouistes selon lesquelles les Indiens qui se convertissent au christianisme le font car ils y trouvent un avantage matériel. « Ces chrétiens ont tout perdu et, s’ils acceptent de ‘se convertir’ à l’hindouisme, les hindouistes leur promettent qu’ils retrouveront leurs biens, leurs terres et qu’ils ne seront plus harcelés. Or, les chrétiens refusent ce marché-là, ils restent fidèles à leur foi chrétienne. C’est bien la preuve qu’ils ne sont pas devenus chrétiens par souci de voir leur condition matérielle s’améliorer », poursuit l’évêque, qui ajoute être certain que 99 % des chrétiens qui ont accepté d’« être convertis » à l’hindouisme reviendront à la foi chrétienne dès que cesseront les pressions auxquelles ils sont soumis.

Interrogé sur les conditions qui permettraient un retour à la normale au Kandhamal, Mgr Cheenath résume ainsi son propos : « If the governments are weak, the future is bleak. » (‘Lorsque le gouvernement faiblit, l’avenir s’obscurcit’). Les persécutions contre les minorités religieuses en Inde, que ce soient la minorité chrétienne ou la minorité musulmane, répondent aux mots d’ordre et au programme politique du Sangh Parivar, l’organisation qui est au cœur de la mouvance hindouiste. Dès lors que le gouvernement fédéral, à Delhi, et le gouvernement local, dans tel ou tel Etat, se montrent faibles, les hindouistes passent à l’action, explique encore Mgr Cheenath. A cet égard, l’évêque salue la déclaration, le 20 mars dernier, du ministre fédéral de l’Intérieur, Palaniappan Chidambaram, qui, de passage à Bhubaneswar, capitale de l’Orissa, a déclaré qu’il était « de la responsabilité (de l’Etat de l’Orissa) de s’assurer que la paix est maintenue dans le district du Kandhamal », mais Mgr Cheenath souligne aussi que l’impunité dont continuent de bénéficier, à ce jour, les auteurs des attaques antichrétiennes est révélatrice d’une certaine faiblesse des pouvoirs publics.

Au sujet des élections à venir, Mgr Cheenath veut croire qu’elles peuvent apporter une amélioration. Tout en refusant de se prononcer sur le résultat des urnes au niveau national, l’évêque rappelle que, lors de récentes élections partielles ou municipales dans l’Etat de l’Orissa, le BJP (Bhartiya Janta Party), vitrine politique des nationalistes hindous, a essuyé de sérieuses défaites. A chaque fois, ce sont des partis laïques (secular) qui ont gagné. Aujourd’hui, la coalition BJP et BJD (Biju Janata Dal), un parti régional d’inspiration laïque, qui soutenait le gouvernement au pouvoir en Orissa, a volé en éclats et on peut s’attendre à ce que le BJD sorte renforcé des urnes et s’allie à divers petits partis laïques pour former un nouveau gouvernement, plus soucieux de la justice et du respect des minorités, explique Mgr Cheenath.

A propos de l’activité des maoïstes en Orissa – qui ont revendiqué l’assassinat du swami Laxamananda Saraswati, l’évêque tient à rappeler que les catholiques n’entretiennent aucun lien avec ce mouvement rebelle. Les maoïstes ont placardé une liste de quatorze personnes qu’ils tiennent pour responsables des attaques antichrétiennes de ces derniers mois et qu’ils ont promis d’abattre. Déjà deux d’entre elles ont été assassinées – dont une le 19 mars par un commando maoïste d’une quinzaine de membres. Mgr Cheenath condamne de telles actions et souligne qu’elles sont le fait d’un gouvernement et d’une justice faibles : Prabhat Panigrahi, qui est tombé sous les balles des maoïstes ce 19 mars, avait certes été arrêté pour sa responsabilité dans des attaques antichrétiennes mais il avait été remis en liberté le 14 mars, sans avoir été jugé.

En conclusion, Mgr Cheenath se dit heureux que les fêtes de Noël dernier se soient déroulées dans le calme, mais il déplore que les personnes victimes des attaques antichrétiennes manquent toujours de tout. A cet égard, il souligne qu’il est plus facile de trouver un soutien en Occident, auprès des grands organismes caritatifs, pour des catastrophes naturelles, telles le cyclone qui avait ravagé l’Orissa en octobre 1999, que pour des violences liées à des persécutions religieuses. Mgr Cheenath se dit inquiet pour la fête de Pâques, célébrée, cette année, le 12 avril, soit quatre jours avant le début des opérations électorales (qui se dérouleront en Inde sur près d’un mois), et qui pourrait servir de prétexte à un coup de force des groupes hindouistes.