Eglises d'Asie

A Florès, une religieuse catholique plaide la cause des femmes battues et abusées

Publié le 04/11/2013




L’île indonésienne de Florès, dans l’archipel des petites îles de la Sonde, fait exception dans le paysage religieux national par la très forte proportion de sa population adhérant à la foi catholique. Dans un pays dont 85 % des habitants sont musulmans, les catholiques représentent plus de 90 % des près de deux millions de Florésiens. Pour Soeur Eustochia Monika Nata, 70 ans, …

… religieuse de la congrégation des Servantes du Saint Esprit, il est toutefois un autre domaine où les habitants de Florès ne font pas exception à la règle, c’est celui des abus perpétrés contre les femmes.

Dans une dépêche diffusée ce 4 novembre par l’agence Ucanews, Sœur Eustochia rapporte qu’il y a quelques années de cela, elle avait demandé à une assemblée formée d’une cinquantaine de Florésiennes si elles avaient jamais été battues par leurs maris. « Seules deux épouses ont répondu que jamais leur mari n’avait levé la main sur elle », témoigne la religieuse.

Engagée de longue date dans l’action sociale, la religieuse a été parmi les membres fondateurs de TRUK-F (Tim Relawan Untuk Kemanusiaan di Flores – Corps des volontaires humanistes de Florès), dont elle a longtemps dirigé la branche féminine. Cette organisation, apparue en février 1999, avait notamment été fondée afin d’organiser l’aide aux nombreux Est-Timorais qui avaient afflué dans l’île de Florès au moment de l’accession chaotique du Timor-Oriental à l’indépendance.

Avant même cette date, la religieuse avait commencé à s’intéresser au problème des femmes battues et abusées. En 1997, se rappelle-t-elle, alors que sa congrégation lui avait demandé de prendre en considération cette question, il n’existait aucun chiffre ou aucune statistique permettant de cerner l’ampleur du phénomène. Elle avait bien été touchée par le cas de plusieurs victimes de ces violences venues chercher aide et conseil auprès de sa communauté religieuse mais c’était tout.

En 1998, un incident l’aida à prendre conscience de la gravité de la situation. Un prêtre avait amené à la maison des religieuses une enfant qui avait été violée par son père. « J’ai essayé de protéger cette jeune fille, mais la famille est intervenue et a dit que j’avais kidnappé l’enfant, j’ai été menacée », raconte Sœur Eustochia.

Après l’indépendance du Timor-Oriental et l’afflux de quelque 250 000 Est-Timorais au Timor occidental, l’île de Florès, étant voisine de celle de Timor, reçut elle aussi son lot de réfugiés. « J’ai vu la souffrance qui était celle des femmes qui avaient été violées ; souvent j’ai pleuré …, en demandant pourquoi tant violence », témoigne-t-elle encore, expliquant que « cela [l]’avait encouragée à [se] pencher sérieusement sur le sort de ces victimes ».

Plus de treize ans plus tard, les améliorations apportées à la condition féminine à Florès sont inégales. Des ONG sont engagé sur le terrain du conseil aux victimes d’abus domestiques, que ces abus soient sexuels ou autres. Mais les financements demeurent incertains et pour Sœur Eustochia, il est nécessaire d’aller plus loin.

Il y a deux ans, la religieuse a mené une étude auprès de 652 lycéennes de cinq établissements scolaires de Maumere, principale ville de Florès. Quasiment toutes ont répondu souffrir ou avoir souffert d’une forme d’abus de la part de leurs parents, qu’il soit verbal, physique, voire même qu’il s’agisse d’un viol. Les résultats de cette étude ont été communiqués à la Commission nationale sur les violences faites aux femmes, organisme officiel et indépendant du gouvernement, dont TRUK-F est un partenaire. Des délégués de la commission sont venus sur place et, à la grande surprise de Sœur Eustochia, ont déclaré que c’était la première fois qu’à Florès, de telles violences leur étaient rapportées.

« C’était un début. [Dans le cadre de l’autonomie régionale mise en place en Indonésie à partir de 1999], j’ai incité les législateurs locaux à voter des décrets pour protéger les femmes et les enfants des violences exercées contre eux », explique encore la religieuse. Après bien des démarches, des décrets ont été rédigés en juillet 2012 et voté le 31 décembre suivant. Ils faisaient obligation aux autorités locales de prendre en compte ces violences et d’apporter leur concours aux ONG qui œuvraient dans ce domaine. Mais les financements ne suivent pas, déplore Sœur Eustochia.

De son côté, Yoseph Ansar Rera, récemment installé à la tête du district de Maumere, souligne l’importance de ces décrets en affirmant qu’ils sont les premiers du genre, ajoutant être « encore en train de les mettre en place, en lien avec les ONG. »

Pour Sœur Eustochia, de tels délais pour édicter et faire appliquer ces décrets témoignent de la difficulté à changer les mentalités et la domination patriarcale qui caractérise la société florésienne, laquelle se traduit notamment par l’importance de la coutume de la dot, qui parfois ramène la femme à marier au statut de marchandise.

Agée de 70 ans, la religieuse, à qui les médecins ont diagnostiqué il y a cinq ans un cancer, garde cependant toute sa combativité dès lors qu’il s’agit d’aller convaincre les autorités politiques locales que les choses doivent changer, notamment pour protéger les femmes du trafic d’êtres humains.

« Pour moi, les victimes de la violence sont les différentes facettes du visage de Jésus. Il est de mon devoir de les contempler et de les aider, quel que soit le moment où elles viennent me voir. Même lorsque je suis malade et qu’il est temps que Jésus vienne me rendre visite », conclut-elle.

(eda/ra)