Eglises d'Asie – Inde
Gujarat : le BJP hindouiste élève la plus haute statue du monde à la gloire de Sardar Patel
Publié le 07/11/2013
Prévue pour atteindre la hauteur de182 mètres – soit deux fois celle de la statue de la Liberté et quatre fois celle de la statue du Christ rédempteur de Rio –, la statue géante de Patel, qui sera constituée de métaux et d’équipements agricoles fondus, s’élèvera à Kevada, sur l’île de Sadhu Bet, située à quelques kilomètres du barrage de Sardar Sarovar.
C’est le gouvernement du Gujarat, présidé par Narendra Modi, membre du parti nationaliste hindou Bharatya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien) qui a lancé ce projet hautement symbolique consistant à ériger un monument grandiose à la mémoire de « l’enfant du pays », considéré avec Nehru et Gandhi comme l’une des figures fondatrices de l’Inde moderne.
Malgré les critiques qui s’élèvent contre le coût d’un tel projet dans un pays où plus d’un tiers des habitants vit sous le seuil de pauvreté, le ministre-président du Gujarat, qui ne ménage pas ses efforts pour être élu au poste de Premier ministre indien aux élections prochaines, n’a pas hésité à engager des sommes colossales dans ce projet pharaonique (dont l’estimation totale atteint 25 milliards de roupies, soit plus de 250 millions d’euros) qui sera financé sur fonds publics et par des dons privés.
Ce 31 octobre 2013, date de la commémoration du 123ème anniversaire de la naissance de Patel, Narendra Modi a posé la première pierre du socle de la future statue, qui fera à lui seul 56 mètres de haut. Le projet prévoit un ensemble recouvert de bronze à partir d’une armature d’acier renforcée avec du béton ; il sera réalisé par le groupe Turner Construction, qui a travaillé à l’élévation du plus haut gratte-ciel du monde, le Burj Khalifa de Dubai.
Narendra Modi a demandé aux agriculteurs de faire don d’une pièce de métal pour la statue de Patel qui recevra le nom de « Statue de l’Unité ». « Nous ne voulons pas n’importe quel morceau de métal, nous voulons des pièces venant d’outils utilisés par des paysans dans leur travail », a-t-il déclaré. Des fonctionnaires de l’Etat ont déjà commencé la collecte des pièces dans les villages.
Outre la statue géante, le ministre-président du Gujarat prévoit également de faire édifier sur l’île un mémorial, un hôtel, un palais des congrès, des parcs d’attraction et plusieurs instituts de recherche.
En Inde, la popularité de Sardar Vallabhbhai Patel est considérable. Surnommé « l’homme de fer », Sardar Patel (1875-1950) était originaire du Gujarat, tout comme Gandhi son contemporain, dont il avait rejoint dans les années 1920 le mouvement pour la désobéissance civile. Il devient en 1931 le président du Parti du Congrès, qui remporta 100 % des votes aux élections décisives de 1937.
Emprisonné de nombreuses fois par les Britanniques pour son opposition au colonialisme, Sardar Patel est pressenti pour la fonction de Premier ministre lors de l’indépendance de l’Inde, mais se laisse persuader par Gandhi de laisser la place à Jawaharlal Nehru. Devenu ministre de l’Intérieur, ministre des Etats et Premier Ministre adjoint (1947-1950) dans le gouvernement de ce dernier, il travaille sans relâche pour la promotion de la laïcité et l’union des différentes régions de l’Inde, sous la bannière du Congrès et de la tolérance envers toutes les religions et les classes sociales.
Malgré l’opposition patente entre les idées défendues par Sardar Patel et l’idéologie du BJP qui prône l’hindouisme et le système des castes comme fondements de l’identité indienne, l’opinion publique au Gujarat reste largement persuadée que le BJP est aujourd’hui le véritable dépositaire de l’héritage politique de ce Père de la nation. Selon certains historiens appartenant à la mouvance de l’hindutva (1), Sardar Patel aurait été plus proche de « la cause hindoue » que Nehru ou Gandhi, ce qui lui aurait valu d’avoir sa mémoire négligée par le Parti du Congrès.
Parmi les médias qui diffusent largement cette théorie au Gujarat, la télévision d’Etat passe en boucle depuis des semaines des slogans proclamant :que « Sardar a unifié le pays et [que c’est ] le Gujarat qui le glorifiera pour cela ».
Les motivations politiques de cette construction géante ont été clairement dévoilées lorsque Narendra Modi a lancé officiellement le projet en juin dernier. Déclarant que Sardar Patel aurait fait un meilleur Premier ministre que Jawaharlal Nehru, le chef du gouvernement du Gujarat a critiqué directement la dynastie Nehru-Gandhi qui continue de diriger le Parti du Congrès, s’attirant les foudres du Premier ministre indien Manmohan Singh.
Depuis cette tirade, la presse indienne a abondamment repris les nombreuses passes d’armes qui ont été échangées entre les membres du Congrès et le BJP, en particulier depuis le lancement des travaux le 31 octobre. La polémique sur la « récupération politique » de Sardar Patel est montée d’un cran le 4 novembre dernier lorsque le ministre fédéral de l’Information et de l’Audiovisuel, Manish Tewari, a traité Narendra Modi de « menteur mégalomane et psychopathe » réécrivant l’histoire à sa manière afin de faire croire à un prétendu « rejet de Patel par le Parti du Congrès ».
« Voilà des mois, a-t-il déclaré, que le BJP essaye d’usurper l’héritage de Sardar Patel. L’Histoire est témoin du fait que ceux qui n’ont aucune légitimité essayent toujours de s’approprier celle des autres. »
Rappelant la responsabilité du ministre-président du Gujarat dans les pogroms antimusulmans de 2002 et les violences antichrétiennes de ces dernières années, le ministre a souligné l’incongruité d’une récupération politique du Père de la Nation par des extrémistes dont « l’idéologie avait motivé l’assassinat de Gandhi ».
Plusieurs médias nationaux ont fait remarquer à leur tour que Narendra Modi érigeait une statue à celui qui, en 1948, avait fait interdire le Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS), fondateur idéologique du BJP, l’accusant de distiller dans la société indienne un « poison communautariste ».
(eda/msb)