Eglises d'Asie

Les prises de position d’un prêtre catholique entraînent une virulente réponse de la présidente Park

Publié le 28/11/2013




L’homélie prononcée le 22 novembre dernier par un prêtre catholique, vétéran des luttes pour la démocratisation des institutions politiques de son pays, menace de dégénérer en crise politique. La présidente Park Geun-hye, élue en décembre dernier, accuse le P. Park Chang-shin d’avoir tenu des propos favorables à la Corée du Nord – un acte …

… qui tombe sous le coup de la loi – tandis que divers groupes religieux dénoncent l’attitude du chef de l’Etat et se mobilisent contre le retour à des pratiques « indignes d’un régime démocratique ».

Vendredi 22 novembre était la veille du troisième anniversaire du jour où l’artillerie nord-coréenne avait ouvert le feu sur l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, tuant quatre personnes et ouvrant une crise majeure entre les deux Corées. Ce jour-là, le P. Park Chang-shin, prêtre du diocèse de Jeonju et membre de l’Association des prêtres catholiques pour la justice, association de prêtres nettement marquée à gauche (1), a prononcé une homélie dans la cathédrale Susongdong de son diocèse devant de nombreux prêtres et quelque 400 fidèles.

Dans son prêche, il a notamment insisté sur une question non résolue à ce jour et qui occupe l’arrière-plan de la scène politique depuis les dernières élections présidentielles, à savoir le soupçon qui pèse sur les services secrets sud-coréens d’avoir tenté d’influencer le scrutin en faveur de Mme Park (2). Le prêtre a clairement évoqué le fait que les tensions intercoréennes étaient instrumentalisées par la droite conservatrice – dont est issue l’actuelle présidente – pour fédérer les électeurs sud-coréens autour d’un ennemi tout désigné et il a ajouté que la présidente Park « devait assumer » les manœuvres auxquelles se sont, selon lui, livrés les services secrets. Il a conclu en déclarant qu’à ses yeux Mme Park « n’était pas vraiment la présidente » du pays, l’appelant à mot à peine couvert à démissionner.

La réaction de la présidence a été immédiate. Le 25 novembre, à l’issue d’une réunion spéciale de son cabinet, Mme Park a réaffirmé sa résolution à « répliquer de manière immédiate et ferme » à toute « provocation inattendue » de la Corée du Nord, précisant qu’elle ne tolérerait « aucun comportement qui viendrait diviser le peuple et amoindrir la confiance de l’opinion [sud-coréenne] ». Son Premier ministre Chung Hong-won a été plus direct, qualifiant les remarques du P. Park de « destructrices pour le pays et favorables à l’ennemi ». « Park Chang-shin peut bien être prêtre, il n’en est pas moins d’abord un citoyen de ce pays. Non seulement il fait écho aux arguments de la Corée du Nord en se permettant des déclarations qui sont contraires aux devoirs de base d’un citoyen, mais il minimise les actes provocateurs de la Corée du Nord. Nous ne pouvons ignorer cela et il doit être tenu pour responsable de ses actes », a-t-il ajouté.

Dans la soirée du 25 novembre, un groupe de jeunes conservateurs, la Young’s Liberty Union, a déposé une demande devant le procureur de la République afin que soit ouverte une enquête contre le P. Park, les propos du prêtre pouvant être considérés comme tombant sous le coup de l’article 7 de la Loi sur la sécurité nationale, très restrictif en matière de liberté d’expression pour ce qui touche à « la sécurité de l’Etat ». Des manifestations d’anciens combattants, accompagnés des familles des victimes de l’attaque de Yeonpyeong et de militants proches du Saenuri, le parti de la présidente, ont eu lieu devant plusieurs cathédrales catholiques à travers le pays. La cathédrale Myeongdong de Séoul et l’archevêché tout proche ont dû même être évacués après une alerte à la bombe, tandis que des policiers anti-émeute en assuraient la protection.

Le camp conservateur s’est toutefois heurté à de vives résistances. Le 27 novembre, une instance fédérant 29 organisations protestantes a tenu une conférence de presse pour dénoncer les attaques dirigées contre le P. Park. « Des comportements de cette nature nous renvoient aux années de la répression, sous la dictature militaire », a déclaré le porte-parole de cette instance qui plaide par ailleurs pour que la lumière soit faite au sujet des agissements des services secrets durant la campagne présidentielle. Un appel à la démission de la présidente a là aussi été lancé.

Ce 28 novembre, un millier de moines de l’Ordre Jogye, la plus importante dénomination bouddhique du pays, ont à leur tour tenu un meeting au siège de leur ordre à Séoul, pour demander à l’administration Park de « cesser d’enfreindre les lois de la démocratie ».

Dans la presse, les commentaires vont bon train. Certains s’interrogeaient sur un éventuel « conflit entre l’Etat et l’Eglise » dans le pays, tel le Korea Herald du 27 novembre. Tout en rappelant le rôle actif joué par les organisations religieuses, notamment catholiques et presbytériennes, lors de la transition de la dictature militaire à la démocratie, l’éditorialiste de ce quotidien conseillait aux organisations religieuses de « rester à l’écart de la politique ». Il écrivait aussi que Park Geun-hye devait comprendre le message envoyé par ces organisations religieuses et permettre une enquête sur l’implication éventuelle des services secrets lors de la campagne présidentielle. Dans le Hankyoreh, classé à gauche, on se montrait plus circonspect, estimant que les attaques sur la personne du P. Park étaient destinées « à faire diversion », pour détourner l’attention de l’opinion sur les appels à la démission de Mme Park.

Du côté de l’Eglise catholique, Mgr Yeom Soo-jung, archevêque de Séoul, a rappelé par voie de communiqué le 27 novembre, que si « les chrétiens avaient l’obligation de s’engager en politique », il n’appartenait pas « aux pasteurs de l’Eglise d’intervenir directement dans l’action politique et dans l’organisation de la vie sociale ». L’archevêque réitérait là la position classique de l’Eglise sur ces questions mais, souligne une source anonyme de l’archevêché de Séoul cité par le Hankyoreh, le P. Park n’est pas isolé au sein de l’Eglise catholique de Corée, laquelle rassemble un peu plus de 10 % des habitants du pays. Certes, l’Association des prêtres catholiques pour la justice est clairement marquée à gauche, mais cela fait des mois que l’impatience monte dans les rangs du clergé catholique à propos de cette affaire de manipulation des élections présidentielles de décembre dernier.

Cette source anonyme explique encore que les canaux de communication entre la présidente et l’Eglise semblent avoir été coupés. En octobre dernier, un déjeuner était prévu à la Maison Bleue, siège de la présidence, entre Mme Park et sept évêques ; cette rencontre a été annulée à la dernière minute, la présidente prétextant un agenda trop chargé. Il se peut, explique la même source, que la présidente ait ainsi manifesté sa mauvaise humeur face à la mobilisation de l’Eglise catholique pour obtenir la vérité au sujet des élections. En juillet dernier, des prêtres issus de tous les diocèses du pays avaient demandé une réponse du pouvoir politique ; en septembre, le diocèse de Busan avait célébré une messe dans la cathédrale Seomyeon puis une autre le 4 novembre, affirmant que le pouvoir devait « saisir cette dernière chance de choisir la vérité ».

(eda/ra)