Eglises d'Asie

LES RELATIONS ENTRE CHRETIENS ET MUSULMANS

Publié le 18/03/2010




Résumé: L’auteur souhaite montrer les aspects positifs et négatifs de la rencontre entre musulmans et chrétiens aux Philippines. Après une brève présentation de la période pré-coloniale et de l’impact de l’arrivée des premiers Espagnols, puis des Américains, et après avoir examiné les événements des trente dernières années : l’émergence du Front de libération nationale moro (MLNF), les efforts des gouvernements successifs pour surmonter la crise qui aboutit à l’accord de Tripoli, et enfin à la création d’une région autonome bien délimitée, l’auteur se penche sur la réponse spécifiquement chrétienne en mettant l’accent sur le rôle d’orientation de Vatican II et du Conseil oecuménique des Eglises. L’auteur donne un résumé des efforts de dialogue au niveau local, régional, national. La conclusion souligne combien il est important d’écouter la population à la base. Si un dialogue est institué à ce niveau, il y aura plus de chances de progresser et d’influencer tous les aspects de la vie quotidienne.

Introduction

La première “rencontre” historique entre musulmans et chrétiens aux Philippines remonte au XVIe siècle quand les colonisateurs arrivèrent dans l’archipel, qu’ils appelèrent plus tard les Philippines, en l’honneur du roi Philippe II d’Espagne. Une “rencontre” réelle et positive entre musulmans et chrétiens dans ce pays reste encore du domaine de l’espoir, et ce terme a souvent eu une connotation négative jusqu’à maintenant.

“Moro” était le nom donné par les colonisateurs espagnols aux musulmans. Ce terme exprime la haine et le mépris des Espagnols envers le peuple “moro” et sa religion qui avaient dominé l’Espagne chrétienne pendant des siècles. Le même terme “moro”, d’abord utilisé au sens péjoratif pour désigner les musulmans de l’archipel, devient maintenant un signe d’identité pour ceux-ci lorsqu’ils expriment leurs aspirations face aux réalités présentes.

Pendant presque trois siècles, les musulmans ont été le groupe religieux dominant aux Philippines. L’islamisation y avait commencé, d’après les principales sources historiques, en 1380, quand le sage missionnaire soufi Karim AlMakhdum arriva à Bwansa (Jolo) et construisit une mosquée sur l’île de Simunul, Tawi Tawi (1). Il est assez exceptionnel dans l’histoire de l’islam de voir un groupe majoritairement musulman devenir une minorité, quels que soient le pays ou la situation. Nous savons que la majorité des 65 millions de Philippins aujourd’hui est chrétienne (83%). Les musulmans sont presque 5%, essentiellement dans le sud du pays, les populations aborigènes 5%, et les protestants et autres 5%. L’étude des relations entre musulmans et chrétiens aux Philippines nous offre une histoire intéressante et colorée des différentes tribus qui se convertirent à l’islam et au christianisme, chacune avec ses particularités. Lorsque nous parlons de chrétiens, nous pensons en général à ceux qui ont été colonisés par les Espagnols. Les musulmans ou “Moros” aux Philippines sont divisés en treize groupes : Maranao, Maguindanao, Tausug, Samal, Yakan, Sangil, Badjao, Jama Mapun, Kalibugan, Molbos, Palawani, Iranun et Kalagan (4). Les quatre premiers groupes représentent 94% du total de la population musulmane du pays. Ce sont les groupes les mieux connus par leur histoire, leur art, leur littérature, et par leur résistance aux envahisseurs étrangers. Ils sont également réputés pour leurs actions militaires contre les Espagnols et les Américains, ainsi que pour leur résistance efficace. La lutte du peuple “moro” dans l’archipel, depuis les débuts de la colonisation espagnole (1565), a toujours tendu vers l’auto-détermination, et, jusqu’à ce jour, ceux qui continuent la lutte se considèrent comme un peuple insoumis, malgré les efforts croissants du gouvernement actuel pour unifier les peuples de différentes cultures et religions du pays. Ceci affecte fortement le développement des relations entre chrétiens et musulmans aux Philippines. On remarque que les musulmans ont tendance à nouer des liens étroits avec les autres pays musulmans, se sentant partie prenante de la Communauté musulmane universelle (Umma), et ils s’intéressent plus aux événements et évolutions majeures du monde musulman qu’à ceux de leur propre pays. Et de leur côté, les chrétiens et le gouvernement sont très à l’aise avec les Etats-Unis et leurs alliés, ce qui se comprend à la lumière de “l’héritage du passé colonial

Rappel historique

On peut décrire les Philippins comme “un peuple aux racines asiatiques, au coeur espagnol et à l’esprit américainchaque caractéristique reflète une étape historique ainsi que nous allons le voir rapidement pour comprendre les relations entre chrétiens et musulmans dans le pays.

On admet actuellement la théorie qui veut que la majorité du peuple philippin de l’époque préhistorique soit venue de Malaisie et que, jusqu’à l’arrivée de l’islam dans l’archipel, la population était organisée en tribus sous l’autorité d’anciens avec différentes formes de gouvernements locaux. Une de ces structures tribales était les “banua” : des petites communautés proches des actuelles “barangay“, dirigées par un “datu“(ou rajah). beaucoup d’entre elles avaient pu établir de bons contacts commerciaux avec Bornéo, Malacca, la Chine et l’Inde. Le commerce était aussi un excellent moyen de communication, et l’influence des différentes formes de religiosité venait s’ajouter à l’animisme des premiers habitants sans changer beaucoup leur style de vie tribale jusqu’à l’arrivée de l’islam qui fut la première grande religion de l’archipel.

L’arrivée de l’islam aux Philippines peut être considérée comme faisant partie de l’islamisation du sud-est asiatique au 13e siècle. Les principales raisons de la venue de l’islam furent la volonté d’islamiser l’archipel, les intérêts commerciaux, les opportunités économiques, la prospective religieuse et l’union des autochtones contre la colonisation et la religion occidentales. Toutes ces causes sont peutêtre inséparables (5). Avant l’arrivée des Espagnols, les musulmans s’organisaient en sultanats. L’un à Sulu, situé au Sud de l’archipel et composé d’environ cinq cents îles. Un autre à Mindanao, deuxième île de l’archipel par la superficie. Les sultanats contrôlaient la majorité des “datus“. Ceux-ci formaient une élite dirigeante très semblable à celle du système féodal en Occident. Le sultanat de Sulu fut créé le premier vers l’an 1450. Il établit rapidement des relations diplomatiques et commerciales avec les sultanats voisins et étendit sa présence et son pouvoir jusqu’au nord de l’archipel avec une présence importante à Manille. Officiellement, les colonisateurs européens arrivèrent dans l’archipel en 1521 avec Ferdinand Magellan, mais la colonisation débuta réellement en 1565 avec Miguel Lopez Legazpi. Les principaux buts de cette colonisation espagnole étaient les suivants : trouver une voie de communication vers l’Orient controlé alors par les Portugais; avoir un nouveau point d’approche missionnaire vers la Chine et le Japon; convertir les tribus de l’archipel au christianisme (6).

En 1571, les musulmans firent l’expérience d’un premier accrochage sanglant avec les colonisateurs espagnols; leurs espoirs d’expansion furent anéantis. En fait, Manille fut le point le plus avancé de la présence musulmane en Extrême-Orient. En 1578, en envoyant son commandant en chef à Mindanao-Sulu, Francisco De Sande, gouverneur général des colonies espagnoles, lui donna des instructions claires pour détruire tout signe de l’islam et de sa culture (7).

Ce fut le début de trois siècles de guerres. Voici la liste des principales campagnes espagnoles contre les musulmans dans le sud des Philippines:

La tentative pour faire obstacle au commerce des musulmans et à leurs relations entre Sulu et Mindanao, Bornéo Ternate en 1578.

Les expéditions Figueroa-Ronquillo en 1596 pour annexer les sultanats de Mindanao-Sulu aux entités politiques coloniales des Philippines. De 1599 à 1637 des campagnes pour mettre fin aux attaques des pirates “moro” contre les colonies chrétiennes établies aux Visayas, qui eurent pour résultat la création de Fort Pilar dans la ville de Zamboanga.

La reconquète de Mindanao-Sulu, de 1635 à 1663, et les fortifications espagnoles érigées dans différentes régions musulmanes, y compris à Cotabato et à Sulu(8).

Les Américains apparurent dans le tableau de la colonisation aux Philippines à la fin du siècle dernier (1898) et commencèrent bientôt une “politique d’amitié” envers les musulmans. La première étape importante fut le traité entre le général Bates et le sultan de Sulu, Jamilum Kiram, le 20 août 1899. Ce traité et le contrôle du pays “moro”, occupé par les Américains, fut la porte ouverte à la formation de la République des Philippines qui fut accélérée par les efforts des Américains pour donner des terres aux populations du Nord. En fait, ils firent venir ces populations dans le Sud, en promettant des terres à ceux qui n’en avaient pas, de nouvelles opportunités pour les pauvres à Mindanao, la “terre promise des Philippines“. C’est seulement après quelques années que les musulmans du Sud commencèrent à réaliser que ce plan visait à les contrôler et à les dépouiller de leurs terres. Malgré cette manoeuvre, les Américains, avec l’aide des chefs musulmans traditionnels, purent contrôler la situation et créer le 4 juillet 1946 la nouvelle République des Philippines. Tous les chefs musulmans traditionnels furent intégrés dans le corps politique. La population musulmane comprit qu’elle avait été trompée non seulement par les Américains mais aussi par beaucoup de ses chefs.

Une Commission nationale d’intégration fut créée par le gouvernement philippin en 1957 (9), dans le même esprit que l’avait été le “Bureau des peuples non chrétiens” en 1917. Sa politique était notamment de nourrir, accélérer et accomplir de façon systématique complète et adéquate le progrès moral, matériel, économique, social et politique des Philippins non chrétiens, afin de faire de l’intégration de toutes les minorités culturelles du pays une réalité permanente et totale.

Nouvelles “rencontres”

Durant les trente dernières années, les relations entre les musulmans et les chrétiens ont été davantage influencées par les évènements mondiaux dans les domaines politiques, sociaux et religieux. Parmi d’autres, nous pouvons rappeler ici le nouvel esprit de dialogue de Vatican II pour les chrétiens, et le besoin accru de collaboration internationale au sein de la Umma musulmane à des fins de coopération politique, sociale et religieuse. Cette situation, après des siècles d’histoire conflictuelle entre chrétiens et musulmans, peut être considérée comme le début d’une ère nouvelle de “rencontres“, le terme étant considéré aux Philippines à la fois dans un sens négatif et dans un sens positif. C’est pourquoi je vais donner ici un bref résumé des événements négatifs et positifs des trente dernières années en insistant sur les “rencontres” qui ont affecté les relations entre chrétiens et musulmans depuis les années 80 jusqu’à nos jours (10).

La lutte “moro”

L’histoire de la lutte des musulmans dans le passé est à l’origine d’une nouvelle étape dans le conflit du peuple “moro” ces trente dernières années. La première action révolutionnaire ouverte se produisit en 1968 à Mindanao quand l’ex-gouverneur de la province de Cotabato, Datu Uatog Matalam, déclara publiquement la création d’un Mouvement musulman pour l’indépendance (MIM), afin “d’établir un Etat islamique qui incarnerait les idées et aspirations des musulmans, préserverait et développerait leur patrimoine, leur héritage culturel, avec la bénédiction de la fraternité musulmane universelleLes territoires mentionnés dans la déclaration étaient les quatre provinces de Cotabato (Cotabato-Sud, Cotabato-Nord, Sultan Kudurat et Maguindanao), Davao del Sur, Zamboangoa del Norte, Zamboanga del Sur, Basilan, Sulu, Tawi Tawi et Palawan.

C’était un appel à la “jihad” qui unit différent groupes musulmans, spécialement de jeunes leaders musulmans, s’intéressant aux discussions politiques et à l’analyse de l’histoire et des aspirations “moro”.

En 1971, Nur Misuari, jeune professeur de sciences politiques à l’université des Philippines à Manille, réunit une assemblée “moro” à Zamboanga, et le Front national de libération moro (MNLF) fut formé sous son égide. Il en devint le président à cette occasion.

Pendant ce temps, après la déclaration du MIM en 1970, les politiciens chrétiens de sept régions de Cotabao avaient crée un mouvement appelé “Ilaga“(11). Au départ, il s’agissait d’un groupe organisé d’auto-défense contre les groupes “moro” des “chemises noires” et des “baracudas” (12). Le conflit s’étendit, donnant lieu à des combats entre musulmans et chrétiens, et à des destructions importantes, les militaires ayant apporté leur appui au mouvement “Ilaga“. L’écrivain Peter G. Gowing recueillit plusieurs témoignages de musulmans et de chrétiens sur le conflit “moro” dans les années soixante-dix. Chez les chrétiens, il y avait un sentiment de malaise vis-à-vis de la culture et de la religion musulmanes, qu’un chef Ilaga exprima ouvertement en déclarant, en 1972, que la pauvreté des musulmans aux Philippines était due à leur religion, à leur idéologie et à leur culture (13). Du côté musulman, Muhammad Ali Hasan, s’adressant à un groupe de rebelles du MNLF en 1975, exprima le sentiment que les musulmans et les chrétiens étaient deux peuples différents, ayant des identités et des cultures différentes, une éducation différente, et guidés par des aspirations différentes. La culture musulmane est islamique, elle exprime des croyances et des principes totalement différents de ce qui est considéré comme la “culture des Philippines” à orientation chrétienne (14). Ces représentations négatives étaient gravées dans les esprits et donnaient une coloration religieuse au conflit.

La proclamation de la loi martiale par le président Marcos, le 21 septembre 1972, fut justifiée par le conflit entre les chrétiens et les musulmans dans le Sud du pays, et par d’autres tensions dans le pays, fomentées par les militaires. Les débuts de la loi martiale virent l’accroissement des aspirations des musulmans et l’organisation de mouvements révolutionnaires. Le principal, le MNLF, reçut plus tard une reconnaissance internationale. L’accroissement de la violence et des injustices envers le peuple et les minorités à l’époque provoqua l’inquiétude des communautés musulmanes et fit naître une réelle préoccupation dans le monde islamique. Ce qui rendit l’horreur de la loi martiale terrifiante fut l’émergence spontanée de nombreux groupes fanatiques des deux côtés.

L’issue du conflit entre musulmans et chrétiens fut la préoccupation de la décennie des années soixante-dix. On ne peut pas dire si les blessures d’alors sont guéries dans l’accalmie actuelle des conflits. Cependant, le problème attira l’attention nationale et internationale. Une des actions les plus significatives fut celle de la Lybie de Khaddafi, et d’autres pays musulmans, qui protestèrent auprès du gouvernement philippin lorsqu’au début des années soixante-dix le mouvement révolutionnaire MNLF accusa le gouvernement de génocide contre les musulmans du pays. En 1971, l’Organisation de la conférence islamique (OIC), réunie à Jeddah en Arabie Saoudite, demanda au président Marcos de permettre à une commission d’enquête de se rendre aux Philippines pour établir la réalité de ce prétendu génocide (16). En 1972, une commission de quatre membres de l’OIC, d’Egypte et de Lybie, arriva aux Philippines dans ce but. Elle conclut que certaines formes de violence avaient bien eu lieu sans que l’on puisse les qualifier de génocide. En 1975, un manifeste présenté par le MNLF à la 6ème conférence des ministres des Affaires étrangères des pays musulmans, à Jeddah, réaffirma que certaines formes de génocide avaient été perpétrées à l’encontre des musulmans par le gouvernement philippin. Les points suivants furent cités:

L’acquisition par le gouvernement de terres ancestrales qui furent données aux colons chrétiens.

L’exploitation de territoires musulmans par des multinationales.

La politique de division du gouvernement.

L’effacement de l’identité musulmane par la prétendue “intégration” et l’“homogénéité culturelle

L’utilisation du système éducatif pour perpétrer un “génocide culturel” contre la population musulmane.

Michael O. Mastura, membre du Congrès musulman, faisant écho au manifeste sur les relations entre chrétiens et musulmans, exprima la crainte que les musulmans soient privés de leur identité par l’action visant à établir une “identité nationale philippine, ce qui serait plus grave qu’un génocide physique” (17).

Il semble qu’une dure leçon est à retenir de ce conflit qui a coûté tant de victimes aux musulmans des Philippines : plus de 500 000 personnes durent abandonner leurs maisons et leurs terres, 200 000 maisons furent brûlées, 130 000 personnes réfugiées à Sabah (en Malaisie), et un nombre non communiqué de massacres, tortures et autres atrocités furent rapportés. Tous ces évènements sont une preuve incontestable d’un conflit réel entre musulmans et chrétiens dans le pays. D’un autre côté, l’ambition politique et la cupidité de certains leaders des deux côtés les ont poussés à se servir de ce facteur pour favoriser une guerre totale entre chrétiens et musulmans.

L’effort gouvernemental

Au cours de ces trente dernières années, une des premières mesures du gouvernement pour favoriser le dialogue entre chrétiens et musulmans fut prise dans les années 60 quand le général Manuel Yan, chef de la police des Philippines, organisa “l’Union oecuménique des leaders moraux”, pour favoriser une meilleure compréhension entre les leaders des différents groupes, spécialement chrétiens et musulmans. Bientôt, la première assemblée se tint à Manille pour encourager le développement de l’organisation dans d’autres villes. L’Union oecuménique fit long feu. Malgré tout, elle déblaya le terrain pour une alternative de paix à la longue crise interculturelle et à celle des institutions.

En 1975, le général Fidel Ramos (aujourd’hui président des Philippines depuis 1992), nouveau chef de la police, tenta de redonner vie au projet du général Yan en faveur du dialogue. Il fit construire des chapelles dans des camps militaires pour des prières oecuméniques et, en mai 1975, se tint une assemblée sur le thème: “L’unité dans la diversité”. Avec ce programme, le gouvernement et les militaires voulaient établir un dialogue, particulièrement avec les leaders musulmans qui furent invités à s’y joindre. L’absence de participation des leaders musulmans à ces activités témoigna de leur manque de confiance vis-à-vis du gouvernement et des militaires. Ceci se passait dans les années d’escalade du conflit armé entre les musulmans et l’armée.

Le 12 mai 1976, le gouvernement philippin envoya un mémorandum à la septième conférence des ministres des Affaires étrangères des pays musulmans qui se tenait à Istanbul (Turquie), promettant un “Programme de réconciliation” pour résoudre le conflit. Une des propositions de ce programme était d’établir un “Comité autonome” qui assurerait une plus grande participation des musulmans à l’édification du pays, en établissant les priorités politiques économiques et sociales dans les provinces à majorité musulmane. A cette conférence, Nur Misuari rappela au gouvernement philippin les promesses faites à la cinquième conférence de Kuala Lumpur (Malaisie), et à la sixième conférence de Jeddah (Arabie Saoudite), promesses qui n’avaient jamais été tenues. Le président du MNLF accusa à nouveau le gouvernement philippin de ne pas avoir tenu ses promesses envers l’OIC. En conséquence, la conférence d’Istanbul recommanda au MNLF et au gouvernement philippin de reprendre les négociations (18).

L’accord de Tripoli

Après une série de rencontres entre l’épouse de l’ex-président des Philippines, Imelda Marcos, et le président de la Lybie, Muammar Khaddafi, l’accord de Tripoli, élaboré sous les auspices de l’Organisation de la conférence islamique (OIC) fut signé le 23 décembre 1976 entre le gouvernement philippin et le MNLF par l’intermédiaire d’un comité quadripartite spécial (composé de l’Arabie Saoudite, de la Lybie, de la Somalie et du Sénégal) (19). L’accord donne les grandes lignes pour une solution de paix équitable du problème “moro” du Sud des Philippines. Les principaux points sont les suivants:

L’instauration de l’autonomie dans la région Sud des Philippines dans le cadre de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République des Philippines.

Les régions concernées par cette autonomie pour les musulmans dans le Sud des Philippines seront les suivantes : Basilan, Sulu, Tawi Tawi, Zamboanga del Sur, Zamboanga del Norte, Cotabato-Nord, Maguindanao, Sultan Kudarat, Lanao del Norte, Lanao del Sur, Davao del Sur, Cotabato-Sud, Palawan, et toutes les villes et villages de ces régions (20).

La politique étrangère restera de la compétence du gouvernement central des Philippines, ainsi que les questions de défense nationale.

Dans les régions autonomes, les musulmans pourront établir leurs propres cours de justice qui appliqueront les lois islamiques de la charia.

Les autorités des régions autonomes auront le droit de créer des écoles, collèges et universités.

Les musulmans auront leur propre système administratif en accord avec les objectifs de l’autonomie et avec ses institutions.

Les autorités du gouvernement autonome du Sud des Philippines auront leur propre système économique et financier.

Ces mêmes autorités auront un droit de représentation et de participation au gouvernement central et dans les autres organismes d’Etat.

Une Force spéciale régionale de sécurité sera créée dans les régions autonomes.

Une Assemblée législative et un Conseil exécutif seront créés dans les régions autonomes.

Les mines et ressources minières resteront de la compétence du gouvernement central.

Une commission mixte sera composée de représentants du gouvernement central et du MNLF.

Le cessez-le-feu sera déclaré juste après la signature de cet accord.

Du côté musulman, l’accord de Tripoli engendra de grands espoirs de solution au conflit de Mindanao. Malheureusement, les détails de l’accord furent publiés sans préparation ni consultation préalable, donnant ainsi lieu aussitôt à des protestations, surtout de la part des chrétiens qui estimaient que l’accord était injustement favorable aux musulmans. En conséquence, bien que l’accord de cessez-le-feu ait été respecté, il devint évident en 1977, quand les négociations reprirent, que le gouvernement n’avait pas l’intention d’honorer ses engagements, et cherchait à y faire obstacle. Le 25 mars 1977, alors que les négociations étaient en cours, le gouvernement déclara unilatéralement la création de deux “régions autonomes” (régions XI et XII), et annonça un référendum pour le 17 avril 1977, en vue de l’approbation des électeurs des régions concernées, électeurs en majorité chrétiens à cause de la structure démographique de ces deux régions autonomes.

Les résultats du référendum furent en désaccord avec les exigences du MNLF, ce qui empêcha la progression des négociations, ainsi que semblait le souhaiter le gouvernement. Le référendum avait été conçu pour tracer le chemin au résultat espéré. En février 1977, le gouvernement et le MNLF exposèrent leurs points de vue respectifs dans une “Ebauche de décret présidentiel”. Le projet présenté par le MNLF (21) fut utilisé comme base pour la rédaction du questionnaire du référendum, alors que le projet du gouvernement, qui accordait un minimum d’autonomie, ne fut pas pris en compte. Le gouvernement justifia cette procédure (22) en déclarant que le MNLF n’avait pas accepté les modifications suggérées. Il décida de présenter le projet du MNLF au référendum en même temps que quelques questions et conditions qui assureraient des résultats favorables au plan du gouvernement. Ainsi, à la fin avril 1977, les accords de cessez-le-feu et d’amnistie furent violés, et le conflit reprit entre le gouvernement catholique et les rebelles musulmans. De son côté, Nur Misuari déclara que le gouvernement autonome établi par le gouvernement central était une mascarade qui prouvait une fois de plus le manque de sincérité de ce gouvernement pour résoudre les problèmes, dans l’esprit de l’accord de Tripoli. En 1980, Nur Misuari déclara que la lutte continuerait, non plus seulement pour l’autonomie mais pour la sécession totale.

Les pays de l’OIC réaffirmèrent leur reconnaissance de Nur Misuari (malgré quelques réserves) comme porte-parole et leader du MNLF, et lui demandèrent de continuer à considérer l’accord de Tripoli comme base de négociation. Comme on le comprend, la sécession était hors de question et la négociation demeura dans le cadre de l’accord. En même temps, l’OIC demanda au gouvernement de faire preuve de sincérité en respectant les termes du dit accord. Comme preuve de sa sincérité, le gouvernement attira l’attention sur la mise en place de programmes et de projets au bénéfice des populations musulmanes, parmi lesquels figuraient les suivants:

En octobre 1976, le gouvernement créa une Agence spéciale pour le développement et l’aide aux musulmans des Philippines (24), à laquelle furent confiées la construction et la réparation des madaris (écoles pour l’étude du Coran et de l’arabe).

En février 1977, le gouvernement présenta un code reflétant la loi islamique pour les musulmans des Philippines. La codification de la charia (loi islamique) conduisit à la création d’un tribunal de la charia, avec des branches dans les lieux stratégiques de la région (25).

En avril 1977, le gouvernement acheva de construire la magnifique mosquée du centre de Manille (dans le quartier Quiapo), symbole de l’héritage culturel et religieux du peuple philippin. La mosquée fut construite en un peu plus de trois mois, et elle était prévue au départ pour servir à la signature de l’accord qui devait mettre fin au conflit dans les régions musulmanes du Sud.

En février 1978, le gouvernement créa “l’Autorité philippine des pèlerinages”, organisme ayant pour but la régulation et la promotion des pèlerinages à La Mecque.

En juillet 1978, le bureau de la “Commission des affaires islamiques” fut créé pour une meilleure coordination entre le gouvernement et les populations musulmanes, en ce qui concernait les problèmes, les programmes et les politiques. Cette agence gouvernementale fut élevée au rang de ministère, et devint le “ministère des Affaires musulmanes” en 1981.

En juin 1980, à l’occasion du 600ème anniversaire de l’arrivée de l’islam aux Philippines et du 14ème centenaire de la Hijra (28), une Conférence internationale de la Hijra d’une semaine eut lieu au Centre international des Philippines à Manille.

Pour beaucoup de musulmans et en particulier pour le MNLF, tous ces efforts du gouvernement étaient de simples palliatifs. Ils pensaient que le projet et la promulgation du Code des lois musulmanes (le 4 février 1977) étaient destinées à coïncider avec la reprise des négociations pour les clauses de l’accord de Tripoli. Il est certain que le gouvernement voulait faire preuve de bonne volonté, mais les résultats de l’accord montraient inévitablement ses intentions réelles. Par exemple, la construction de la mosquée à Quiapo était présentée comme un signe de “reconnaissance” de la culture et de la tradition musulmanes aux Philippines de la part du gouvernement, alors qu’en fait la mosquée fut construite à la hâte afin d’être terminée pour l’arrivée du président lybien, Muammar Khaddafi, qui était invité à la signature de la version définitive du projet d’accord. En outre, la commission des Affaires islamiques devint un ministère le 1er juin 1981, à l’occasion de la conférence des ministres des Affaires étrangères des Etats musulmans qui se tenait à Baghdad, et à laquelle le gouvernement philippin avait envoyé des représentants officiels comme observateurs, pour contrecarrer la propagande anti-gouvernementale du MNLF. D’autre part, cela coïncidait avec les élections présidentielles du 16 juin 1981, pendant lesquelles le président en exercice voulait faire la preuve de son intérêt pour les musulmans et obtenir ainsi en retour leur vote de confiance. Cette supposition fut confirmée par le fait qu’après les élections le ministère des Affaires musulmanes vit son rôle réduit à celui de sous-ministère (29), et ses fonctions n’étaient plus clairement définies.

La révolution EDSA

La chute du président Marcos pendant ce qu’on a appelé la révolution EDSA en 1986 (30), fut accueillie comme un signe de changement et de nouveau départ pour les aspirations du peuple à la démocratie. L’événement, qui eut pour résultat l’investiture de Corazon Aquino comme nouveau président des Philippines, apporta une détente après la tension entre chrétiens et musulmans dans le pays. La présidente Aquino promit de mettre fin aux soulèvements, y compris à la résistance armée du MNLF. Sa déclaration, “je ferai tout pour la paix“, devint son fil conducteur et sa justification pour aller jusqu’à Jolo (Sulu) assister à une réunion historique avec Misuari, contre les recommandations des officiels de haut niveau qui trouvaient que cette démarche ne convenait pas à une présidente des Philippines et qu’elle était contraire au protocole. L’événement “non protocolaire” eut cependant lieu.

La rencontre Aquino-Misuari éveilla un nouvel espoir de paix chez les musulmans. La nouvelle de la reprise des négociations pour l’autonomie comme solution au conflit de Mindanao fut une cause de soulagement, et donna lieu à des réjouissances. Ce fut un moment de grande espérance. A peu près en même temps, il y eut une action politique rapide du gouvernement Aquino pour la création d’un gouvernement autonome dans la région de la Cordillera, au Nord des Philippines. Une clause concernant la région maintenant controversée de la “partie musulmane de Mindanao” fut inscrite dans la nouvelle constitution pour qu’elle soit effective dix huit mois après la ratification. Avec beaucoup d’espoir, le peuple pensa que l’autonomie musulmane était maintenant juste une question de temps.

Le nouveau défi pour le gouvernement Aquino concernant la question musulmane, spécialement concernant sa politique encore mal définie, lui donnait une certaine marge pour décider de ce qui était le plus judicieux pour les deux parties concernées. Avant la rencontre historique Aquino-Misuari, une série de consultations préliminaires eurent lieu à différentes occasions, et aboutirent à la déclaration officielle de l’accord de Jeddah en janvier 1987 (31). Cependant, les événements se précipitaient à un tel point que beaucoup comprirent qu’il y aurait des points d’achoppement sur le chemin.

Le gouvernement philippin proposa une période de négociations de 90 jours alors que le MNLF insistait pour une période de 45 jours. La proposition des 90 jours fut retenue et les négociations se bloquèrent. Pendant les consultations, le gouvernement philippin s’était constamment référé à la nouvelle constitution comme base de négociations alors que le MNLF négociait sur la base de l’accord de Tripoli et des droits historiques, essentiels selon lui, pour résoudre la question de l’auto-détermination. Il n’y avait pas de rencontre possible à mi-chemin. Les négociations prirent fin le 9 mai 1987 sans résultats significatifs. Tous les espoirs qu’avaient fait naître ces négociations s’écroulèrent. On retourna au statu quo et le climat social redevint soupçonneux et méfiant.

Pendant ce temps, le MNLF délégua à l’OIC la responsabilité de toutes les futures négociations avec le gouvernement de Manille. Parallèlement, le gouvernement continua ses propres activités, rassurant les citoyens sur son approche du problème et utilisant la constitution pour justifier toutes ses actions. Pour commencer, le gouvernement estimait que la question musulmane était un problème interne et devait donc trouver sa solution avec la participation du peuple. Suivant cette logique, il créa la Commission consultative régionale (RCC), organisme chargé de consulter le peuple sur la question de l’autonomie. Loin d’être acceptée comme organisme consultatif, la commission fut contestée dans sa représentativité faussée puisque les chrétiens y étaient plus nombreux que les musulmans et que de plus ils ne représentaient pas les intérêts de tous les secteurs des régions concernées par le projet d’autonomie. Il y eut aussi des plaintes concernant le choix des membres de la Commission qui étaient nommés par la présidente.

Même après la révolution EDSA, qui avait donné beaucoup d’espoir au peuple philippin, le nouveau système démocratique, “pour le peuple“, continua à être perçu comme un simulacre de plus par beaucoup de musulmans, très inquiets pour l’avenir des régions dont l’autonomie avait été proposée.

La rencontre Aquino-Misuari, les accords de Jeddah, les pourparlers de Manille, le RCC, la Loi organique d’autonomie et d’amnistie pour les rebelles furent des initiatives trop souvent perçues comme des manipulations et des marchandages de la part du gouvernement chrétien. Les relations entre chrétiens et musulmans devenaient sans cesse plus difficiles, alors que le gouvernement continuait d’être perçu comme chrétien par les musulmans.

En juin 1989, le Comité de la conférence du Congrès présenta son rapport, conciliant la proposition de loi du sénat sur l’autonomie avec celle de la chambre des représentants (32). Finalement, le 19 novembre 1989, les électeurs des régions Est, Sud et Centre de Mindanao votèrent le plébiscite sur la Loi organique d’autonomie des régions musulmanes de Mindanao. Sur les treize régions concernées, seules quatre (Maguindanao et Lanao del Sur dans le Sud, Sulu et Tawi Tawi dans l’Ouest) votèrent en faveur de l’ARMM (Région autonome de la partie musulmane de Mindanao).

On remarquera que ces quatre provinces sont considérées comme le “Territoire ancestral moro” par la commission historique. Basilan fut la seule de ces provinces qui vota contre l’acte d’autonomie à une courte majorité.

Le résultat du plébiscite était plus ou moins attendu. Le vote traduisit une réaction émotionnelle à la forme d’autonomie et de gouvernement proposés dans l’acte, plutôt qu’un jugement sur le fond sur celui ci et sur le concept de région autonome en soi. Le MNLF rejeta l’acte dès le départ et fit campagne de différentes manières contre le projet. Les secteurs chrétiens et musulmans avaient chacun des raisons pour voter contre et ainsi, d’une certaine façon, la notion d’autonomie en devint confuse. Cependant, les résultats appelèrent quelques remarques en même temps qu’ils confirmèrent les appréhensions passées:

La campagne d’information avait été insuffisante en temps, en moyens, et en portée.

La réaction générale négative à l’égard du “Mindanao Musulman“. Chaque secteur trouva certaines clauses de l’acte inacceptables et allant contre ses intérêts particuliers.

Maintenant, quelques questions se posaient : “L’autonomie constitutionnelle est-elle la réponse aux doléances très anciennes des populations indigènes de Mindanao? Ouvrira-t-elle la voie à une solution définitive du conflit de Mindanao?”

Dans une large mesure, les réponses à ces questions dépendaient d’abord de deux facteurs : premièrement, de l’efficacité de la Région autonome musulmane de Mindanao pour améliorer les conditions socio-économiques des populations de la région et, ensuite, des réactions des trois factions rebelles des Philippines, le MNLF, le groupe réformiste du MNLF, et le Front moro de libération islamique. Un des problèmes serait la difficulté de réconcilier d’une part les doléances historiques avec les institutions démocratiques et d’autre part les différences ethniques et religieuses.

Un exemple concret en était l’absence d’application de la charia à la minorité musulmane dans un pays à majorité chrétienne. L’application du Code civil pour les musulmans des Philippines qui fut promulgué par le décret présidentiel de février 1977 n’a pas été tout à fait effective à cause des difficultés à concilier le Code civil du pays avec ce code réservé aux musulmans. Michael Mastura, membre du Congrès, un des leaders musulmans les plus en vue et avocat, s’exprimant au sujet du “pluralisme légal aux Philippines” déclara : “Si nous tissons ensemble un concept de lois dans la culture et la société avec les idées de loi dans la religion et la politique, nous pouvons établir des éléments de pluralisme légal. Ensuite, si nous considérons les éléments qui donnent une structure formelle au système légal, des questions générales de droit dans la religion la culture et la politique font nécéssairement surface. Considérons maintenant que le pluralisme dans notre système légal nécessite un principe d’harmonisation. Comme cadre de comparaison, on peut comprendre le priincipe d’harmonisation du code en relation avec l’idée que le bien commun est lui-même une catégorie déterminée

Malgré toutes ces questions délicates et difficiles à résoudre dans “l’harmonie”, un accroissement de l’intolérance et du fanatisme se manifeste particulièrement chez les jeunes leaders qui réclament l’application de la charia rapidement dans les régions musulmanes. Ustad Saajuddin Alawiua, président de la Commission pour la loi islamique dans l’ARMM, déclara à Manille, le 9 Avril 1994, que la majorité des musulmans dans l’ARMM sont en faveur du code civil de la charia, “bien qu’elle ne puisse être appliquée intégralement à Mindanao à cause de la majorité chrétienne” (34).

Le nouveau gouvernement autonome va se trouver confronté aux obstacles des différences politiques, des intérêts personnels et des faiblesses inhérentes nombreuses et générales. Des problèmes immémoriaux sont liés au processus d’une solution juste et pacifique à Mindanao : la pluralité ethnique et religieuse, la pauvreté, l’isolement et l’exploitation par les leaders politiques traditionnels. On peut donc dire que, quelle que soit la structure politico-administrative qui sera établie à Mindanao, sa capacité à apporter la paix sera fonction, en fin de compte, de la capacité des officiels à atténuer sinon éliminer ces problèmes.

L’autonomie et les pourparlers de paix

L’expérience de la nouvelle région autonome musulmane de Mindanao, résultat du plébiscite du 19 novembre 1989, a été considérée ces dernières années comme une avancée concrète vers la paix. Les musulmans et les chrétiens ont pu voir les points positifs et négatifs de l’ARMM et le besoin de leaders plus attentifs aux besoins de la population. A ce moment de l’histoire, le gouvernement philippin est appelé à ouvrir une nouvelle voie pour la paix, après des siècles de luttes entre le peuple moro et le reste de la population. Il semble que le temps pour cela soit maintenant venu. Les événements internationaux, spécialement l’accord initial de paix entre Israël et l’OLP, signé le 13 septembre 1993, sont un nouveau défi pour la paix aux Philippines.

Le nouveau gouvernement travaille dur pour la paix, considérée comme condition essentielle au progrès et au développement. Récemment, le président Ramos a lancé un programme économique, “Philippines 2000”, pour industrialiser le pays en cinq ou sept

ans (35). Les efforts du gouvernement pour la paix se concentrent surtout sur trois groupes armés : les rebelles de l’armée, (RAMSFS), les rebelles musulmans (MNLF), et les rebelles communistes(CPPNPA).

Il y a des espoirs de paix avec de nouvelles avancées dans les pourparlers entre le MNLF et le gouvernement de la République des Philippines (GRP). Le GRP et le groupe de négociateurs du MNLF, avec la participation de l’OIC, se sont réunis à Jakarta (Indonésie) du 25 octobre au 7 novembre 1993. Parmi les résultats positifs de cette négociation figurent la signature d’un accord de cessez-le-feu et l’ouverture de “pourparlers de paix” officiels “ayant pour objectif la mise en oeuvre de l’accord de Tripoli à la lettre et dans la fidèlité à son esprit

Le président Ramos fut cité dans les quotidiens nationaux comme ayant déclaré: “Les pourparlers de Jakarta marquent une avancée réelle dans les questions essentielles. Ils ont apporté une base à la continuité du dialogue et à la résolution des problèmes” (36). Le président du MNLF, Nur Misuari, fut cité récemment par le quotidien “Philippine Daily Enquirercomme ayant déclaré : “Nous demandons à nos frères de mettre de côté leurs illusions. Il est préférable pour eux de s’unir comme un seul peuple et de contribuer au processus de paix plutôt que de se quereller entre eux… Mindanao est une terre riche et pourtant nous avons le plus grand nombre de pauvres à cause de la crise. Cette crise n’aura pas de fin tant que nous ne trouverons pas une solution juste et honorable au problème… Si nos efforts devaient échouer, je ne vois pas comment le processus de paix pourrait être ré-activé. C’est pourquoi nous allons intensifier nos efforts pour parvenir à la paix car si nous n’y parvenons pas, qu’arrivera-t-il ? L’alternative n’est autre que la guerre et la guerre n’est bonne ni pour nous ni pour nos enfants” (37).

[NDLR. Depuis lors, les négociations de Jakarta ont été conclues par un accord de paix entre le MNLF et le gouvernement philippin. A la suite de cet accord, le MNLF a cessé toute activité militaire et le gouvernement a promis de réintégrer tous ses soldats dans l’armée nationale ou dans la société. Un fonds spécial a été créé à cet effet. Par ailleurs, Nur Misuari est devenu le président du nouveau “Conseil pour la paix et le développement”, ébauche d’un gouvernement autonome. Par contre, le Front moro de libération islamique, né d’une scission du MNLF, n’a pas participé à la signature de l’accord de paix. Depuis plusieurs mois, il poursuit des négociations séparées avec le gouvernement, mais observe une trêve malaisée sur le front militaire. De l’avis de tous les observateurs, le nouveau conseil pour la paix et le développement n’a pas encore démontré sa capacité à représenter les aspirations des musulmans de Mindanao. De son côté, le gouvernement n’a pas non plus tenu pour l’instant ses promesses financières. Voir à ce sujet EDA 224, 225, 226, 227, 228, 233, 234, 236, 240, 243, 245, 246, 247.]

Les réactions des chrétiens

L’histoire et les événements des trente dernières années demeurent enracinés dans l’esprit des chrétiens des Philippines. La première expression que j’ai entendue dans la ville de Zamboanga, à Mindanao, en 1977, au début de ma mission aux Philippines fut “Méfiez vous! Un bon musulman est un musulman mortAvec grande surprise et tristesse j’ai bientôt réalisé que l’expression était le résumé d’un sentiment qui vient au coeur des chrétiens à de nombreuses occasions, créant une atmosphère permanente de soupçon et de peur. En allant à l’école, au marché ou dans les bureaux, on remarque la réaction des chrétiens s’ils sont entourés de musulmans. La réaction, sous couvert de bonnes manières et de sourires, est une réaction de peur qu’exprime l’expression courante : “Méfiez vous des musulmans!” Ce sentiment est enraciné dans les esprits et dans les coeurs depuis l’enfance. Il y a des spectacles populaires dans des villes pendant les fêtes, où la population se distrait en regardant ce qu’on appelle le “Moro-Moro” (histoires de bandits qui font peur, ndlr), spécialement dans le Nord des Philippines. Même actuellement, parfois, des amis sont surpris quand on dit: “Je vais à MindanaoLa réponse est souvent: “Est-ce que vous n’avez pas peur des Moros à Mindanao?”

Si un crime est commis dans lequel des musulmans sont impliqués, les journaux essayent de mettre l’accent sur le fait que c’est “l’oeuvre des musulmans” ou bien “Comment pouvons nous connaître la paix dans ce pays avec ces gens violentsLa liste serait longue des circonstances et activités révélant cette attitude des chrétiens envers les musulmans. Bien sûr, on ne peut ignorer les nombreux exemples de solidarité et d’amitié qui sont des signes d’espoir, surtout parmi les jeunes, mais ces signes sont mineurs par rapport aux sentiments négatifs. Il semble que l’histoire passée, au lieu d’aider les gens à adopter une attitude de solidarité et de fraternité, est prolongée ou ré-activée par ceux dont l’intérêt est de perpétuer la peur et la violence. D’un autre côté, certains secteurs musulmans semblent avoir intérêt à perpétuer ce sentiment chez les chrétiens, comme moyen d’auto-défense, pour que les chrétiens les respectent davantage, par peur si ce n’est par sympathie.

Avec l’émergence de cette attitude, on remarque que les nouveaux dirigeants de groupes musulmans ne sont plus en accord avec les traditions, mais plutôt en accord avec des groupes d’influence sur la scène politique, militaire ou économique, ou bien sur les fronts “révolutionaires”. Bien qu’il y ait un nouvel esprit de solidarité dans les secteurs de la société où le niveau d’éducation est le plus élevé et les contacts avec les pays étrangers plus fréquents, il y a de nouvelles situations d’intolérance qui ne peuvent être ignorées. Des blessures du passé sont encore sensibles. Et nous ne pouvons oublier, en particulier, qu’à la génération précédente, les chrétiens, comme les musulmans, ont été victimes d’une façon ou d’une autre du conflit “moro” des années soixante-dix. Nous essayons souvent de séparer les responsabilités du gouvernement et celles des chrétiens en disant: “Ce n’est pas une guerre de religionC’est vrai, mais si l’on considère le passé et la situation du gouvernement et de l’armée, contrôlés essentiellement par des chrétiens, groupe majoritaire aux Philippines, l’idée d’un conflit entre musulmans et chrétiens est enracinée dans l’esprit des musulmans, pour différentes raisons, y compris l’impression qu’il n’y pas de séparation entre la religion et l’Etat.

Un nouveau commencement

Le concile Vatican II et les documents de l’Eglise qui ont suivi engagent les catholiques sur le chemin du dialogue avec les peuples des autres cultures et religions. Les protestants aussi vont dans ce sens avec le Conseil oecuménique des Eglises. Ces événements sont les signes providentiels d’une approche nouvelle des relations entre chrétiens et musulmans aux Philippines. On peut dire qu’une approche pédagogique des jeunes chrétiens dans les écoles privées demeure le principal élément des relations entre musulmans et chrétiens dans le Sud des Philippines, mais, après Vatican II, et la prise de position du Conseil oecuménique en faveur du dialogue interreligieux, différentes autres formes de dialogue sont en train de se développer dans le pays.

Je vais présenter ici quelques expériences de dialogue des années soixante-dix qui ont inspiré la mission de dialogue des années quatre-vingt jusqu’à maintenant. Dans les années soixante-dix, la jeune Eglise de Mindanao était encore très active et ouverte aux différents besoins de la population. L’Eglise catholique, par l’intermédiaire de la Conférence épiscopale de Mindanao-Sulu (MSPC), a porté une attention particulière aux relations entre chrétiens et musulmans. Un autre groupe très actif fut le Programme d’éducation des chrétiens en rapport avec les musulmans (PACEM), organisme financé par le Conseil national des Eglises (protestantes) des Philippines. PACEM fut à l’origine d’une série de programmes pour une meilleure compréhension entre musulmans et chrétiens et d’une aide particulière pour résoudre des problèmes concrets qui accablent les pauvres, spécialement dans les régions des conflits à Mindanao, là où musulmans et chrétiens vivent ensemble. Un bulletin mensuel, organe officiel de PACEM, “Kadtuntay” (rencontre), apporte des informations, des documents et des réflexions théologiques sur le sujet du dialogue entre chrétiens et musulmans. En 1980, cette organisation a été intitulée PACT (Action populaire pour les liens culturels). Elle soutient des programmes au bénéfice des musulmans et des groupes aborigènes. Les activités de PACT cessèrent après quelques années, laissant à beaucoup le désir de continuer dans leur engagement en faveur du dialogue.

En 1979, commence le programme “Duyog Ramadhan38). Ce programme fut, au début, une des activités de PACEM et du MSPC, destinée à informer les chrétiens de la vérité concernant leurs frères et soeurs musulmans. Les aspects positifs de l’histoire, de la tradition et de la religion sont mis en valeur par une série de projets et de publications. Tout ceci se passe particulièrement pendant le mois du Ramadan, mois de prière et de jeûne pour les musulmans (39).

Les quinze dernières années

Durant sa visite aux Philippines, le 20 février 1981, le pape Jean-Paul II rencontra des leaders musulmans dans la ville de Davao (Mindanao), et il les encouragea à rechercher un dialogue sincère entre musulmans et chrétiens.

“… Je sais, dit il, que vous et vos frères et soeurs chrétiens devenez sans cesse plus conscients de la responsabilité qui incombe à votre génération. Depuis plusieurs années déjà, vous avez ressenti le besoin de vous réunir pour faire face à vos problèmes et restaurer l’estime mutuelle et la confiance. Un dialogue fructueux a déjà commencé… Chers frères, vous devez regarder le passé avec souffrance et patience pour construire un meilleur avenir. Vous devez construire cet avenir pour vos enfants et pour la nation entière” (40).

Depuis les années quatre-vingt, bon nombre de missionnaires, prêtres, religieuses et laïcs ont travaillé avec dévouement au dialogue. Des congrégations religieuses et des Instituts

missionnaires avancent avec détermination sur le chemin du dialogue interreligieux et donnent la priorité aux expériences de dialogue à Mindanao, avec une attention particulière pour le “dialogue de vie”.

Le niveau national

L’église des Philippines subissait des pressions durant la dictature de Marcos et la question des relations entre chrétiens et musulmans à Mindanao et à Sulu était un des problèmes qui affectaient la loi et l’ordre. Le nouvel esprit de Vatican II encouragea les evêques de Mindanao-Sulu à porter plus d’intérêt au dialogue interreligieux comme signe d’ouverture vers les frères et soeurs musulmans. La Commission pour le dialogue interreligieux ne fut formée qu’en janvier 1990 par la Conférence des évêques catholiques des Philippines (CBCP), séparément de la Commission pour l’oecuménisme. Le président de la commission est Mgr Fernando R. Capalla, aujourd’hui archevêque de Davao (41). La commission a pour tâche de promouvoir un dialogue interreligieux entre chrétiens et nonchrétiens aux Philippines (y compris parmi les peuples qui pratiquent des cultes animistes et que l’on désigne comme peuples aborigènes animistes des Philippines). Cette commission agit en liaison étroite avec d’autres commissions, spécialement avec la commission pour l’oecuménisme et la commission des peuples aborigènes des Philippines. La commission s’intéresse, soutient et collabore avec ceux qui travaillent à promouvoir le dialogue interreligieux avec l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le shintoïsme, les religions animistes et autres religions non chrétiennes. Le premier bureau de la commission était à Zamboanga, il a été transféré dans la ville d’Iligan. La Commission a commencé ses activités par un questionnaire national sur le dialogue interreligieux (42).

Les premiers pas après le questionnaire furent la publication d’une lettre d’information trimestrielle et du document “dialogue et proclamation”. La commission cherche maintenant à établir des contacts pour créer des commissions diocésaines.

[NDLR. Depuis que ce dossier a été écrit, une autre initiative d’importance a été prise à Mindanao par la commission épiscopale pour le dialogue interreligieux, après l’établissement, en 1996, du “Conseil pour la paix et le développement”, présidé par Nur Misuari. Les évêques catholiques de Mindanao, les représentants du Conseil national des Eglises protestantes et les membres de la Conférence des oulémas de Mindanao ont décidé de se rencontrer régulièrement. Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu. Même si, ces dernières semaines, des enlèvements de prêtres catholiques par d’anciens rebelles du MNLF ont quelque peu retardé le processus ainsi enclenché, l’initiative reste prometteuse. Voir à ce sujet EDA 253.]

Le Mouvement pour le dialogue entre musulmans et chrétiens (MMCD) fut créé en 1992 à Manille par les amis musulmans et chrétiens du P. Salvatore Carzedda, après son assassinat dans sa mission de dialogue, le 20 mai 1992, à Zamboanga, en témoignage de leur engagement dans le dialogue. Bien que le MMCD ait son siège à Manille, avec une attention spéciale portée à l’université des Philippines, son champ d’influence s’étend au niveau national. Le MMCD organisa une conférence d’une journée le 3 octobre 1992. Les représentants suivants d’associations et organisations musulmanes et chrétiennes furent invités à constituer le secrétariat national:

Silsilah de Zamboanga, le Bureau SVD d’éducation et de recherches missiologiques, la Conférence asiatique sur la religion et la paix, Al-Khairiyah Inc, la Fondation du village islamique de Maharkila Inc., le Conseil national des Eglises des Philippines, Le Conseil des oulémas, le Conseil Dawah des Philippines, le Bureau oecuménique interconfessionnel, l’archidiocèse de Manille, l’Institut De la Salle d’études religieuses, l’Institut d’études islamiques de l’université des Philippines, Diliman, l’université de Mindanao et le mouvement Focolare.

Les 16 et 17 Octobre 1993, le MMCD tint une conférence sur “Violence et non-violence dans les relations futures entre musulmans et chrétiens”. L’auditoire nombreux était composé de leaders et d’intellectuels, musulmans et chrétiens, de Manille et de Mindanao. Kamal Bahgat Abdel Motaat, ambassadeur d’Egypte aux Philippines, en était l’invité d’honneur.

Mindanao et Sulu

Il est presqu’impossible de faire la liste de tous les efforts des chrétiens de Mindanao-Sulu pour améliorer les relations avec les musulmans, durant les quinze dernières années. Le nouvel esprit de Vatican II aida beaucoup à apporter une réponse à la pauvreté croissante, à l’oppression et à la violence, infligées par l’armée, le MNLF et d’autres groupes, à diverses occasions, aux musulmans et aux chrétiens. Ces groupes utilisent la violence comme moyen de pression politique, sociale et religieuse, et pour parvenir à leurs fins. Je donne ici une liste de différentes activités promues en faveur des relations entre chrétiens et musulmans, dans un esprit de dialogue, qui aident les deux parties à améliorer leurs relations.

Mgr Bienvenido Tudtud fut, pour beaucoup, l’instigateur de l’engagement dans le dialogue à Mindanao-Sulu; il mourut dans un accident d’avion en 1986 (43). Le P. Rudolfo M. Galenzoga qui fit un compte rendu (44) de l’expérience de Mgr Tudtud à la prélature de Marawi, dit qu’en 1974 une année sabbatique lui avait été accordée pour aller étudier l’islam à Rome. Quand il fut à Rome, le pape Paul VI le fit appeler et lui posa des questions sur les relations entre musulmans et chrétiens à Mindanao. Après qu’il eût informé le pape des conflits à Mindanao, Paul VI lui demanda qui devait faire les premiers pas pour une réconciliation. En outre, Paul VI l’incita à dépasser les préjugés, même ceux qui reposaient sur des faits. C’est un impératif de l’Evangile et il doit y avoir une communauté “pour offrir une présence de réconciliation parmi les musulmans par un dialogue de vie et de foiAvec cette compréhension et cet engagement, le 8 décembre 1976, la prélature Ste Marie fut créée à Marawi, et son premier évêque fut Bienvenido Tudtud, appelé par ses amis “tatay” (père). Un des principaux mérites de Mgr Tudtud fut d’en aider plus d’un, par l’exemple, à engager un “dialogue de vie”. Des livres de ses écrits et méditations ont été publiés (45) dont voici les points essentiels sur le “dialogue de vie”, qui résument sa spiritualité de dialogue:

“Le dialogue de vie présuppose le respect d’une culture pour l’autre. Ce respect implique l’ouverture d’esprit pour assimiler les richesses de l’autre culture. Ce dialogue de réconciliation doit être atteint, même au prix de la “perte de face” et de l’humiliation. Si tel n’est pas le cas, alors le dialogue de vie devient une parodie. Ce dialogue est avant tout une rencontre entre des gens qui ont des modes de vie et des relations avec Dieu différents. La religion, faisant partie de la vie des Philippins, ce dialogue doit nécessairement comporter un dialogue sur la foi, dans lequel musulmans et chrétiens devraient se montrer ouverts aux richesses spirituelles des autres” (46).

Dans cet esprit, Mgr Tudtud put donner une orientation claire à la prélature de Marawi (47) qui prépara, en 1982, une déclaration présentant un esprit profond de dialogue. Il y est notamment déclaré : “Dans une situation de préjugés, le dialogue signifie une recherche sincère de la bonté, de la beauté et de la vérité… Chacun doit s’ouvrir au fait qu’il peut être enrichi par la bonté, la beauté et la vérité trouvées chez l’autre, et doit être prêt à découvrir le visage de Dieu dans la foi de l’autre… Dans une atmosphère d’animosité, le dialogue est désarmé, vulnérable. En position de faiblesse, on peut communiquer sa confiance en l’autre. La confiance est réelle lorsqu’elle se manifeste dans un environnement de trahison possible

Marawi

L’esprit de Mgr Tudtud est toujours vivant dans ce qu’on appelle la ville islamique de Mindanao et à la prélature (48) qui ne comprend que quatre paroisses, une desserte et une aumônerie. Les chrétiens sont une petite minorité vivant parmi les Maranao musulmans, une des plus importantes communautés musulmanes des Philippines. Une communauté de carmélites à Marawi est un signe important de l’esprit de dialogue de la prélature. Elles mènent une vie simple, dans un lieu superbe faisant face à Marawi et au lac Lanao, sans la clôture de hauts murs des carmélites contemplatives. Elles partagent leur joie et leur expérience de dialogue en même temps que les tensions avec la population autour d’elles. En 1987, elles furent kidnappées par un groupe de Maranao qui cherchait à utiliser les médias à des fins politiques. Elles acceptèrent l’expérience d’une longue semaine de captivité dans un esprit de solidarité avec ceux qui subissent des expériences semblables de peur, de frustration et d’oppression.

Une communauté de franciscains participe aussi, dans la prélature, à une expérience significative et silencieuse de dialogue. Les moines vivent à Baloi sur la route, près de Marawi. Leur mode de vie simple et pauvre est une riche expérience d’immersion dans la communauté musulmane, dans un réel esprit franciscain.

L’aumônerie catholique sur le campus de l’université d’Etat de Mindanao est une autre présence significative de dialogue. Les étudiants, les professeurs, le personnel et leurs familles, vivant sur le campus, trouvent à l’aumônerie un endroit de prière et de formation chrétienne.

Le centre protestant de recherche Dansalan a été un bon exemple de dialogue entre musulmans et chrétiens à Marawi, depuis presque vingt ans, incitant les gens au dialogue et aidant d’autres groupes de dialogue à se développer. Malheureusement, le centre se limite maintenant à quelques projets seulement (49).

Cotabato

Cotabato est une grande région de Mindanao, peuplée traditionnellement de Maguindanao musulmans. Dans le processus d’immigration vers le sud, sous l’hégémonie américaine, les chrétiens finirent par occuper une grande partie des territoires musulmans et devinrent majoritaires dans certaines régions, comme dans la ville de Cotabato. Parmi d’autres missionnaires qui commencèrent l’évangélisation de la région il y eut les Oblats de Marie Immaculée (OMI) qui, depuis le début, montrèrent de la considération aux musulmans, collaborèrent et nouèrent de bonnes relations avec eux. Ils commencèrent rapidement un programme d’éducation par des écoles privées appelées “Notre-Dame”. A l’université Notre-Dame de Cotabato, on trouve la plus importante activité scolaire permettant une approche de dialogue entre musulmans et chrétiens. En 1990, un Institut pour l’éducation de la paix fut créé dans cette université. Sa contribution aux avancées vers la paix est considérable et se fait sentir aussi dans les écoles et les institutions.

Il est utile de mentionner que Cotabato est un endroit où la solidarité entre chrétiens et musulmans est une priorité. On peut se rappeler en particulier le “programme de réconciliation” qui débuta dans les années soixante, au plus fort de la révolution, et qui continue aujourd’hui grâce à différents projets.

Basilan

Basilan est une province formée de nombreuses îles près de la ville de Zamboanga. Les populations aborigènes des îles sont les Yakans. Dans cette province, les chrétiens sont majoritaires dans certaines régions et minoritaires dans d’autres (51). Le christianisme y fut introduit par les jésuites dès 1600. En 1951, les chrétiens de cette province furent confiés aux missionnaires clarétins. Leur travail à Basilan est impressionnant, spécialement leur politique claire de solidarité avec les pauvres et de dialogue avec les musulmans (52).

La population de Basilan a souffert de la militarisation intensive de la région dans les années soixante-dix, au plus fort de la crise révolutionnaire, du fait de l’épreuve de force entre l’armée et les musulmans d’une part, et entre les Yakans et Tausugs d’autre part. Durant les deux dernières années, un père franciscain, un père clarétin et un prêtre diocésain ont été kidnappés; un grand nombre de chrétiens ont également été kidnappés et tués en différentes occasions. Les missionnaires clarétins étrangers ont été contraints à quitter les lieux, et la tension est très forte. Malgrè cela, le programme de la prélature est une action de réconciliation et de collaboration avec les pauvres, musulmans ou chrétiens, et une tentative pour trouver tous les moyens pouvant aider à la solution des problèmes politiques et religieux.

Sulu

L’archipel de Sulu, dans le sud de Mindanao, est proche de Bornéo et de l’Indonésie. Il se compose d’environ cinq cents îles. Sulu est l’un des endroits les plus intéressants des Philippines, riche d’une longue histoire. C’est là que commença l’islamisation et jusqu’à aujourd’hui la majorité de la population est musulmane. La principale tribu musulmane est celle des Tausugs dans la province de Jolo, suivie de celle des Samal dans la province de Tawi-Tawi.

Les chrétiens sont une minorité à Sulu. Beaucoup sont d’origine chinoise ou ont immigré à Sulu pendant la période de l’hégémonie américaine. Les jésuites arrivèrent dans la région de Sulu avec les Espagnols et ils établirent la première paroisse en 1876. Quand la congrégation missionnaire OMI reprit leur suite en 1939, elle mit en place le même programme scolaire qu’à Cotabato et, grâce aux écoles Notre-Dame dans différentes îles, elle put atteindre les quelques chrétiens et les musulmans.

La “rencontre” de l’OMI avec les musulmans est très apprécié par la population (53). Elle se souvient du projet de logements, du programme d’alphabétisation et de toute l’aide qui lui fut apportée lorsque Jolo brûla en 1974, et en de nombreuses autres occasions pendant la révolution. Le dernier projet de la prélature, pour toucher la population des différentes îles est le programme de radio; c’est souvent un bon moyen de communication, quoique mal vu parfois par les musulmans intégristes.

Zamboanga

La ville de Zamboanga a une histoire riche et colorée. Dès les 13ème et 14ème siècles, elle était un centre d’échanges entre les Chinois, les Malais et les aborigènes Tausugs, Samals, Subanons et Bagjaos. Le christianisme fut introduit à Mindanao et prospéra à Zamboanga (54).

1) L’éducation

L’engagement des chrétiens pour nouer de bonnes relations avec les musulmans, depuis quinze ans, a été très encourageant. Dans l’esprit nouveau de Vatican II, beaucoup d’écoles chrétiennes ont accepté le défi de donner la priorité au dialogue, particulièrement l’Ateneo de Zamboanga, administré par les jésuites et le collège Pilar administré par les soeurs RVM. Les personnes âgées disent qu’avant la révolution du MNLF dans les années soixante-dix, Zamboanga était une ville paisible; ce n’est plus le cas. La révolution causa dans la ville un afflux de réfugiés des différentes îles avoisinantes et le plus important commandement militaire de Mindanao. Malgrè tous ces problèmes, l’espoir demeure à Zamboanga de voir les relations entre chrétiens et musulmans s’améliorer.

2) Silsilah

Après de nombreuses années passées dans ma mission au coeur d’une expérience visant à établir de bonnes relations et la paix entre chrétiens et musulmans, j’ai décidé de partager cette expérience avec les chrétiens de Zamboanga et, en 1984, j’ai créé le mouvement Silsilah pour le dialogue islamo-chrétien. Dès le départ, Silsilah fut considéré comme un “mouvement pour le dialogue en faveur de l’approfondissement et de l’amélioration des relations entre musulmans et chrétiens, qui mettait l’accent sur le dialogue spirituel” (55).

Dans sa vision de dialogue, Silsilah est confronté à la découverte continuelle, en termes d’expérience, du fait que Dieu est le Créateur et que la création exprime Son désir de dialoguer avec l’humanité. Ainsi, Dieu est l’origine, la fontaine et