Eglises d'Asie

A quelques mois du scrutin général, les nationalistes hindous gagnent du terrain

Publié le 10/12/2013




Le Bharatiya Janata Party ( BJP), parti nationaliste hindou, a remporté les élections régionales dans quatre Etats dimanche 8 décembre, avec la majorité absolue au Rajasthan, au Chhattishgarh et au Madhya Pradesh.Le BJP est arrivé en tête dans quatre Etats dont les citoyens s’étaient rendus aux urnes pour …

… renouveler leur assemblée législative. Les résultats du dépouillement dans le cinquième Etat, la région reculée du Mizoram, ont été révélés aujourd’hui : les habitants renouvellent sans surprise leur fidélité au Parti du Congrès, lequel remporte le scrutin avec 82 % des suffrages.

A moins de six mois des élections générales, la défaite cuisante du Congrès (INC) dans des circonscriptions qu’il considérait comme ses fiefs, a engendré non seulement l’inquiétude au sein du parti au pouvoir en Inde depuis dix ans, mais aussi parmi les minorités ethniques et religieuses ainsi que chez les défenseurs des droits de l’homme, qui craignent les conséquences de l’ascension du parti nationaliste hindou jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat indien.

Dans l’Etat du Madhya Pradesh, le ministre-président Shivraj Chouhan a vu son parti remporter la victoire avec 161 sièges contre 58 pour le Congrès. Ce dernier fortifie ici ses positions de leader du BJP face à son rival Narendra Modi, ministre-président du Gujarat, qui a été désigné par le parti hindouiste comme candidat au poste de Premier ministre indien pour les élections générales de 2014.

Si, dans le Chhattisgarh, l’écart entre les voix a été peu marqué avec 49 sièges pour les hindouistes contre 39 pour le Congrès, au Rajashtan, la victoire du BJP a été écrasante, avec 162 sièges remportés contre 21 pour le Congrès.

Mais ce sont sans aucun doute les résultats des élections à Delhi qui ont été les plus humiliants pour le parti de la dynastie Nehru-Gandhi qui a dû laisser la capitale, qu’elle tenait depuis plus de 15 ans, à la coalition formée par le BJP (31 sièges sur 70) et l’Aam Aadmi Party (28 sièges), un parti ‘anti-corruption’ né en novembre 2012.

L’Aam Aadmi Party, nouveau venu dans le paysage politique indien, est dirigé par un ancien haut fonctionnaire, Arvind Kejriwal (1), dont le but déclaré est de redonner la parole à « l’homme de la rue », en lui offrant une alternative aux deux partis dominants et rivaux du BJP et du Congrès, dénoncés comme « aussi corrompus l’un que l’autre ». Le succès remporté par l’Aam Aadmi Party (parti de ‘l’homme du peuple’, AAP) à Delhi ne doit sûrement rien au hasard, la capitale indienne étant l’une des villes les plus touchées par la fraude électorale et les pratiques « d’achat de voix » (pot-de-vin, intimidations, campagnes illégales, etc.).

« Le manque de communication et l’incapacité du parti [du Congrès] à comprendre l’exaspération de la population face aux nombreux scandales de corruption a compté pour beaucoup dans ces résultats », a commenté pour l’agence AsiaNews un responsable catholique qui préfère garder l’anonymat. « Notre inquiétude principale est que nous ne savons pas comment le BJP va traiter les minorités, mais il y a encore six mois avant les élections générales, alors voyons d’abord comment le Congrès va réagir à cette défaite », a-t-il poursuivi.

Ces élections régionales du 8 décembre ont également confirmé Narendra Modi comme le grand favori au poste de Premier ministre de l’Inde. Le ministre-président du Gujarat, qui passe pour avoir fait de l’Etat qu’il gouverne depuis 2001, l’un des plus riches du pays, reste néanmoins un personnage très controversés. Ancien militant du très violent Rashtriya Sawayamsevak Sangh (RSS), fer de lance du Sangh Parivar, la mouvance réunissant les partis hindous extrémistes, il est, entre autres choses, suspecté d’avoir participé activement aux pogroms anti-musulmans qui ont fait plus de 2 000 morts en 2002.

Ses inclinaisons extrémistes, si elles inquiètent les minorités religieuses de l’Inde, semblent cependant conforter les investisseurs qui se soucient davantage de l’inflation galopante et du ralentissement de l’économie qui ont dominé l’ère du Congrès. En novembre, Goldman Sachs avait déjà relevé sa recommandation sur l’Inde dans l’anticipation de la prochaine arrivée au pouvoir du candidat BJP, et à l’annonce de la victoire du parti hindouiste dans quatre Etats ce week-end, la bourse de Bombay a fini lundi à son plus haut niveau historique. « Les marchés ont progressé dans l’espoir d’une possible nette victoire du BJP aux élections générales », a déclaré à l’AFP Sonam Udasi, responsable de la recherche chez IDBI Capital.

L’euphorie n’est cependant pas de mise du côté des différentes communautés religieuses non hindoues, ni des dalits (ex-intouchables) ainsi que des autres groupes ou minorités discriminés par les hindouistes.

L’Eglise catholique en particulier a fait campagne pour que la population soit sensibilisée aux enjeux de ces élections. Le 30 novembre dernier, des milliers de chrétiens se sont rassemblés dans des lieux publics pour prier à l’intention des élections générales de mai prochain. Ce premier « forum unitaire de prière de l’Inde » s’est tenu dans plus de mille lieux différents du pays, réunissant des fidèles de toutes confessions chrétiennes pour « la paix, la réconciliation et la justice ». L’agence Fides rapporte que, pour la seule ville de Delhi, plus de 10 000 personnes s’étaient rassemblées à l’appel de l’archevêque émérite de la capitale, Mgr Vincent Concessao, qui présidait le comité organisateur. « Le pays traverse actuellement un moment crucial, et vit une crise aussi bien politique, qu’économique et morale, a déclaré l’archevêque à la foule. Nous ne pouvons que ressentir l’urgence, en tant que chrétiens indiens, d’apporter notre contribution par un effort continu de prière. »

Le Rév. Samson Nath, pasteur méthodiste, a ajouté que « pour que Dieu puisse venir les guérir, les chrétiens devaient apprendre à devenir un peuple de prière ». Quant à Me Febin Mathew, jeune avocat chrétien de l’Eglise évangélique de Saint Thomas, il a reconnu avoir été « impressionné par les prières pour les magistrats », bien que « la justice aujourd’hui soit devenue elle-même une victime des tribunaux indiens, où seuls les riches pouvent se payer les services d’un avocat et obtenir justice ».

Ce mardi 10 novembre, alors qu’il n’existe plus de doutes sur la victoire du BJP dans quatre des Etats les plus importants de l’Inde, la Commission pour la justice, la paix et le développement de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) a fait une déclaration à l’occasion de la journée internationale des droits de l’homme. « L’Inde a échoué misérablement dans son obligation à respecter, protéger et promouvoir les droits de l’homme auprès de ses ressortissants », a affirmé le P. Charles Irudayam, secrétaire de la Commission, citant notamment les pogroms perpétrés au Gujarat ou en Orissa, Etats gouvernés par le BJP, ainsi que l’impunité dont ont bénéficié leurs auteurs.

« L’Etat a choisi de sacrifier les droits de ses ressortissants sur l’autel du développement », ont poursuivi les évêques dans leur déclaration, rappelant les déplacementsde populations tribales ou d’ex-intouchables afin de construire des usines, des centrales ou des barrages « pour le seul appât du gain ». Pour finir, la Commission a conclu en s’engageant à « être la voix des sans-voix » et à défendre les plus faibles et les minorités discriminées.

Un appel qui intervient alors qu’un sondage vient de révéler que, pour les prochaines élections, la coalition du BJP est donnée en tête, avec une estimation de 187 à 195 sièges potentiels au Lok Sabha, Chambre basse du Parlement indien (2).

(eda/msb)