Eglises d'Asie – Indonésie
Les leaders musulmans partagés sur la question de souhaiter aux chrétiens un « Joyeux Noël »
Publié le 21/12/2012
Selon Ma’ruf Amin, les musulmans indonésiens ne doivent pas oublier que la fatwa émise par le MUI en 1981 à ce sujet est toujours valide. Il a rappelé que celle-ci interdisait aux musulmans du pays d’assister à une célébration de Noël ainsi qu’aux festivités qui y étaient liées. « Si le MUI a publié un tel décret, c’est bien parce que ces célébrations sont de nature religieuse et qu’il est donc haram (‘interdit’) pour un musulman d’y prendre part », a précisé le responsable religieux.
Quant à savoir s’il était permis ou non aux musulmans de souhaiter un « joyeux Noël », Ma’ruf Amin a estimé qu’il valait « mieux qu’ils ne prononcent pas ces mots ». Il a précisé que « le débat [entre oulémas] au sujet de savoir si cela était haram ou halal n’avait pas été tranché et que, par conséquent, il était conseillé de s’abstenir [de prononcer ces mots] ». Ajoutant qu’il était cependant « possible de dire ‘Bonne année’ », il a souligné qu’il suffisait aux musulmans de faire preuve de tolérance envers les chrétiens en leur permettant de célébrer Noël dans la paix. « [Les musulmans] doivent maintenir la tolérance et l’harmonie », a-t-il dit.
En Indonésie, pays où 85 % de la population se réclame de l’islam et où les chrétiens forment une minorité d’environ 10 % de la population, la place du christianisme est réelle et reconnue. A titre d’exemple, trois fêtes chrétiennes sont chômées pour toute la population : Noël, le Vendredi Saint et le Jeudi de l’Ascension.
Financé sur fonds publics, le MUI peut être classé parmi les organisations conservatrices, sans être pour autant assimilé aux mouvements radicaux. Par son discours sectaire, il a toutefois pu, ces dernières années, encourager le passage à l’acte des extrémistes musulmans, bien que ses responsables aient toujours pris soin de condamner le recours à la violence.
Au sein des deux principales organisations musulmanes de masse du pays, les opinions ne sont pas identiques à celles du MUI sur la question de Noël. Selon Zuhairi Misrawi, l’un des dirigeants de la Nahdlatul Ulama (NU), « l’islam est comme un vaste océan et les fatwas du MUI sont comme un courant dans la mer. En mer, les courants sont nombreux ». Pour lui, tous les musulmans ne se conformeront pas à cette fatwa et il rappelle que, comme les années passées, depuis les attentats qui ont endeuillé la veillée de Noël en l’an 2000, des membres de Banser, l’organisation de jeunesse de la NU, monteront la garde devant les églises chrétiennes le 24 au soir et le 25 décembre pour assurer la sécurité des chrétiens.
Du côté de la Muhammadiyah, son président Din Syamsuddin a indiqué il y a quelques jours que personnellement il saluait ses amis chrétiens par un « Joyeux Noël » mais que ces mots avaient dans sa bouche la signification d’une simple salutation et qu’on ne pouvait les interdire. Il a cependant précisé qu’il ne conseillait pas aux musulmans d’Indonésie de dire « Joyeux Noël » mais qu’ils devaient néanmoins respecter le droit des chrétiens à célébrer leur fête.
Selon un observateur de la société indonésienne, le « raidissement » du MUI sur la question de Noël traduit sans doute une certaine impuissance des oulémas à être entendu sur cette question : depuis la fatwa de 1981, l’attitude des musulmans envers les chrétiens a quelque peu évolué et ces dernières années ils étaient nombreux à leur souhaiter un joyeux Noël.
Par ailleurs, les centres commerciaux font aujourd’hui largement appel aux décorations de Noël et profitent des festivités qui y sont associées pour favoriser les affaires, comme pour la Saint-Valentin. Au-delà de cet aspect commercial, il n’est pas rare que les musulmans viennent partager avec leurs voisins chrétiens un repas de Noël le 25 décembre, tout comme les chrétiens viennent partager un repas avec les musulmans lors de l’Idul-Fitri, les célébrations marquant la fin du ramadan.
En même temps, poursuit cet observateur, par de telles déclarations, le MUI cherche à jouer sur le registre de l’opposition aux pratiques et aux contacts des croyants d’autres religions, dans le but de renforcer la pureté de la foi musulmane, laquelle passe, selon lui, par l’islamisation toujours plus grande des comportements privés.