… chacun ne peut choisir que de se déclarer musulman, protestant, catholique, hindou, bouddhiste ou confucianiste. Une septième possibilité (une case « autre ») existe bien mais, dans la réalité, elle expose ceux qui la choisissent à une discrimination plus ou moins ouverte.
Dans l’article ci-dessous, paru le 2 décembre 2013 dans les colonnes du Jakarta Post, Endy Bayuni met en garde ses compatriotes sur les dangers que représente le maintien d’une législation qu’il considère comme désuète et facteur de violence envers toutes les personnes et les communautés qui ne se reconnaissent pas dans le groupe des six religions officiellement reconnues. En filigrane, il pose la question de l’accès des Indonésiens à une citoyenneté qui ne soit pas nécessairement liée à leur appartenance religieuse et communautaire.
Les lecteurs d’Eglises d’Asie connaissent Endy Bayuni, plusieurs de ses analyses et prises de position ayant été traduites dans nos colonnes (1). Rédacteur en chef du Jakarta Post, il est un analyste reconnu dans son pays et à l’étranger. L’article ci-dessous a été traduit par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
« [Le 26 novembre 2013], la Chambre des représentants (Dewan Perwakilan Rakyat – DPR) a voté la reconduction d’un texte de loi limitant à six le nombre des religions reconnues par l’Etat. Attendez-vous à ce que les discriminations et les persécutions exercées à l’encontre des minorités religieuses en Indonésie augmentent.
Même si cette politique date des années 1950, le vote de cet amendement de la Loi sur l’administration civile de 2004 se produit dans un contexte où l’intolérance religieuse est à la hausse. L’article 64 de la loi conserve l’obligation de déclaration d’appartenance religieuse sur la carte d’identité. Avec, au choix, la possibilité de se dire musulman, protestant, catholique, hindou, bouddhiste ou confucianiste. Une septième possibilité vous permet de cocher la case « autre ».
Cette politique est pourtant à la source de la discrimination institutionnalisée dont sont victimes les personnes qui n’ont pas la chance de se reconnaître dans l’une ou l’autre des six religions officiellement reconnues. Ces dernières années, chacun a pu noter que ces pratiques discriminatoires sont montées d’un cran et que nombre de minorités religieuses se retrouvent purement et simplement persécutées.
La discussion parlementaire autour de la révision de cette loi de 2004 sur l’Administration civile était pourtant une occasion rêvée de corriger ce qui constitue l’une des plus énormes anomalies dans la vie de la nation depuis sa fondation, à savoir l’absence de liberté de religion, une liberté pourtant inscrite noir sur blanc à l’article 28 de la Constitution de 1945. Depuis que l’Indonésie a entamé sa marche vers la démocratie, cette absence de véritable liberté de religion fait tache et la suppression de l’article 64 aurait été bienvenue.
Malheureusement, aucun parti à la Chambre, aucune faction n’a profité de cette opportunité pour éliminer une source évidente de discrimination institutionnalisée, quand bien même cet article 64 est de manière flagrante contraire à l’esprit de la Constitution, de la démocratie et de la devise si souvent célébrée de la nation, Bhinneka Tunggal Ika (‘L’unité dans la diversité’).
L’intolérance religieuse, y compris la discrimination et la persécution envers les minorités religieuses, est un problème que bien des hommes politiques et des responsables gouvernementaux préfèrent ignorer. Et ce, malgré les avertissements répétés des groupes de défense des droits civils, dans le pays comme à l’étranger, sur les dangers de l’intolérance religieuse.
En juin dernier, le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est interrogé sur la volonté de l’Indonésie à véritablement défendre la liberté religieuse. Le Comité s’est posé la question lorsqu’il a procédé à l’examen annuel de la situation indonésienne, ainsi qu’il doit le faire depuis que Djakarta a signé et ratifié – c’était en 2006 – le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le fait que le gouvernement ne reconnaisse que certaines religions, même si ce n’est que pour des raisons administratives, ne peut pas aboutir à autre chose qu’à des pratiques discriminatoires. Dans la pratique, ceux qui cochent la case « autre » sur leur carte d’identité se voient refuser un certain nombre de services publics, tels que, par exemple, lors de l’enregistrement d’un mariage ou d’une succession. Ou si on ne leur refuse pas ces services, ils rencontrent de très réelles difficultés à les obtenir.
C’est la raison pour laquelle nombreux sont ceux qui optent pour l’une ou l’autre des six religions « officielles », même si cela va à l’encontre de leur croyance. Ils le font seulement pour obtenir des services publics. D’autres choisissent de courir le risque, et ils le payent !
Selon la Conférence indonésienne sur la religion et la paix (CIRP), lors du recensement de 2010, pas moins de 270 000 personnes, sur une population totale de 237 millions d’habitants, ont coché « autre » à la rubrique ‘religion’. Le nombre réel de ces personnes est très certainement beaucoup plus élevé.
L’Indonésie abrite la plus grande communauté musulmane du monde ; y vivent aussi des minorités chrétienne, protestante et catholique, ainsi qu’hindoue (à Bali principalement), sans oublier des bouddhistes et des confucianistes (principalement parmi les habitants d’origine chinoise).
La CIRP dénombre également pas moins de 245 organisations religieuses non affiliées aux six grandes religions reconnues. Le plus souvent, il s’agit de groupes de populations autochtones professant une croyance qui existait avant l’arrivée des religions importées du Moyen-Orient et de l’Inde. Il existe aussi des communautés se réclamant du judaïsme, de la religion bahai, et de mouvements considérés comme hérétiques par la majorité sunnite de la population musulmane, tels les chiites ou les ahmadis.
La dernière synagogue connue d’Indonésie se trouvait dans la ville de Surabaya (province de Java-Est) et elle a été démolie au début de cette année, à mesure que l’intolérance envers les minorités religieuses s’est intensifiée dans tout le pays. D’autres groupes ont récemment eu à souffrir de persécutions ; on peut citer ici les ahmadis et les chiites. Dans des villes proches de Djakarta, des églises chrétiennes ont fait l’objet d’actes de vandalisme, certaines ont été contraintes de fermer.
Beaucoup de ces actes de violence et de persécution ont été menés par des groupes islamistes radicaux, qui, souvent, ont agi avec l’approbation tacite, voire explicite, des autorités publiques. Au mieux, la police a fermé les yeux quand ces attaques ont eu lieu. Le ministre des Affaires religieuses, Suryadharma Ali, dont la mission est pourtant de protéger toutes les religions, a publiquement dénoncé la présence des ahmadis et des chiites en Indonésie.
La discrimination et la persécution contre les minorités religieuses ne portent pas seulement atteinte à la devise nationale renvoyant à la « diversité », elles constituent des manquements, manquement à la sagesse la plus élémentaire, et, dans le cas des religions des autochtones, manquement à la sagesse multiséculaire ancrée au plus profond de l’histoire de notre pays.
Les croyances des habitants originels de Bornéo ou des forêts de Papouasie, par exemple, ont pour objet d’assurer une vie en harmonie avec l’environnement naturel et dans le respect de celui-ci. En comparaison, l’islam et les autres grandes religions ne disent rien des forêts et n’ont pas dénoncé la déforestation massive que l’on constate dans notre pays.
Dans la presse internationale ces derniers jours, on a pu lire que l’islam était la cible de discriminations et de persécutions en Angola, le gouvernement de ce pays niant droit de cité à cette religion. Les journalistes ont rapporté que, ces derniers temps, on avait vu en Angola des attaques menées contre les populations musulmanes et les mosquées.
Aux oreilles indonésiennes, un tel schéma n’apparaît que trop familier, à ceci près que, là-bas, en Angola, ce sont les musulmans qui sont persécutés. Notre personnel politique, nos responsables gouvernementaux et nos dirigeants musulmans feraient bien de s’inspirer de l’exemple angolais afin de comprendre que le système limitant le nombre des religions officiellement reconnues mène à une impasse. »
(eda/ra)