Eglises d'Asie

Les résultats du recensement national contestés par les chrétiens et les minorités

Publié le 04/12/2012




Dans un contexte de grave crise politique où la Constitution népalaise n’ayant toujours pas été achevée, le gouvernement actuel du Népal conserve son statut illégitime, les chrétiens et les minorités religieuses du pays contestent les chiffres du recensement officiel de la population, publiés lundi 26 novembre dernier.

Il était difficile de trouver plus mauvaise conjoncture que cette fin novembre pour publier ce document essentiel, à quelques jours seulement du énième échec de la Constituante népalaise à respecter le délai de promulgation de la Constitution du pays – qualifié pourtant « d’impératif » par les Nations Unies. Le 21 novembre dernier, les membres de la Constituante, renouvelée après sa dissolution en mai 2012 par le Premier ministre népalais maoïste Baburam Bhattarai, ont demandé, comme leurs prédécesseurs avant eux, six mois supplémentaires pour trouver un accord sur les futures bases constitutionelles du pays. Ce nouveau délai a également eu pour conséquence de repousser les élections législatives – qui auraient dû se tenir lieu la semaine dernière – en avril-mai 2013.

Maintenues dans une incertitude inquiétante, les minorités religieuses craignent de plus en plus un retour de l’hindouisme et le vote d’une loi anti-conversion, le concept même de laïcité de l’Etat étant l’une des principales pierres d’achoppement des parlementaires au sujet de la future Constitution.

Les résultats de ce recensement de la population étaient donc attendus avec impatience par toutes les minorités, en particulier les Eglises chrétiennes qui en espéraient la confirmation officielle de l’incroyable progression numérique du nombre de leurs fidèles, estimés en 2011 à plus de deux millions de personnes.

Le gouvernement népalais avait longuement souligné l’importance d’un tel recensement qui apporterait enfin des données fiables, la guerre civile ayant empêché de mener à bien pendant des années le processus de comptage. Il avait mis en avant la fiabilité de ses équipes « spécialement formées » ; quelque 35 000 agents et 8 500 superviseurs qui devaient pendant plus d’un an et demi, faire du porte-à-porte afin de recenser et interroger chaque citoyen du Népal.

Mais la publication le 26 novembre du National Population and Housing Census 2011 n’a pas donné, loin de là, les résultats escomptés. Selon le rapport du Central Bureau of Statistics (CBS) en effet, depuis le dernier recensement de 2001, l’hindouisme aurait progressé jusqu’à dépasser les 81 % de la population, laissant loin derrière lui le bouddhisme qui accuserait un net recul, ne comptant plus que 9 % de la population, tandis que l’islam se maintiendrait autour de 4,4 % et que le christianisme, toutes confessions confondues, serait passé de 0,4 % en 2001 à 1,4 % en 2011, les kirantis,  les baha’is, les jaïns et autres religions étant considérées comme trop marginales pour être officiellement répertoriées.

Unies dans l’indignation, toutes les communautés chrétiennes, protestantes comme catholique, ont fait immédiatement part de « leur stupeur » et de leur contestation unanime de ces statistiques officielles qui font « l’impasse sur deux millions de Népalais ».

Le secrétaire de la National Christian Federation, Chari Bahadur Gahatraj, a vigoureusement contesté des chiffres « clairement faussés », affirmant qu’il démontrerait au cours d’une prochaine conférence de presse qu’il y avait bien aujourd’hui deux millions et demi de chrétiens au Népal.

Ce ne sont pourtant que 376 000 chrétiens qui ont été comptabilisés par les agents du recensement, lesquels à la grande surprise des Eglises, affirment également que les trois quarts de la communauté chrétienne se trouvent en zone rurale.

Kali Bahadur Rokkaya, qui dirige le Christian Concern Group Nepal, pointe du doigt une méthodologie peu rigoureuse, basée sur des « estimations » et le parti pris des fonctionnaires chargés du recensement. « Il a été rapporté que beaucoup d’agents ne demandaient pas aux gens quelle était leur religion, ou encore ne se donnaient pas la peine de rencontrer les personnes à recenser, les enregistrant systématiquement comme hindous », explique ce membre de la Commission nationale des droits de l’homme au Népal.

C. B. Gahatraj évoque quant à lui le fait que « de nombreux chrétiens étaient effrayés d’avouer leur véritable religion et avaient déclaré être hindou » en raison du climat d’hostilité antichrétienne qui prévaut actuellement au Népal.

Un point de vue également partagé par Mgr Anthony Sharma, vicaire apostolique de l’Eglise catholique du Népal. Selon lui, si l’Eglise catholique compte aujourd’hui plus de 8 000 membres, les différentes communautés chrétiennes protestantes, et surtout évangéliques, dépassent bien les deux millions de fidèles.

Ces statistiques, les Eglises chrétiennes les ont calculées il y a plus d’un an déjà à l’issue d’une enquête de plusieurs mois menée par le groupe Kantipur, principal éditeur de presse du Népal. Dans cette étude réalisée pour le Nepal Catholic Directory 2010-2011, deux millions de chrétiens (majoritairement protestants) avaient été recensés, soit 6,9 % de la population.

Un tel écart entre les chiffres est totalement incompréhensible, s’étonne encore Mgr Sharma, qui souligne que le nombre même d’habitants au Népal présenté par le recensement ne correspond pas avec les statistiques publiées par différents organismes et ONG qui avaient estimé la population du pays à environ 30 millions de personnes. Le CBS quant à lui n’a recensé que 26 millions de Népalais… bien qu’il ait publié en juillet 2011 un rapport préliminaire évaluant la population népalaise à 28,5 millions d’habitants.

D’autres incohérences ont sauté aux yeux des analystes, comme les chiffres indiquant que seuls 3 % des Népalais auraient accès à Internet. « Le nombre d’utilisateurs de téléphones mobiles, recensés par le rapport lui-même [67 % de la population], rend totalement non crédibles ces chiffres sur l’accès à Internet ; ces portables qui sont utilisés majoritairement par la jeune génération, permettent justement de surfer sur le net !», décrypte Ranjeet Acharya, qui dirige Prisma Advertising, l’une des plus importantes sociétés de communication et de marketing du pays. Connaissant parfaitement les infrastructures médias du Nepal, il affirme encore : « Il est très difficile de croire en un recensement qui prétend que seuls 11 % de la population dans les villages reçoivent la télévision ! (…) Je peux assurer qu’au moins 55 % des habitants en zone rurale ont la télévision ; même dans les villages reculés, ils ont installé des paraboles ! »

Aux côtés des chrétiens, les différentes minorités du Népal dénoncent des « chiffres mensongers » niant leur existence, et menacent de déclencher d’importants mouvements de protestation dans les jours qui viennent.

Selon le recensement, l’hindouisme est la seule religion à s’être développée au Népal durant la dernière décennie, une affirmation qui va à l’encontre des nombreuses études des ONG démontrant tout au contraire une nette perte de vitesse de l’ancienne religion d’Etat. Ce renforcement de la population hindoue établie par le rapport du CBS se fait aux dépends des minorités religieuses ; les bouddhistes, qui ne représenteraient plus que 9 % de la population (en réalité 15 % selon la communauté bouddhiste népalaise) ; les musulmans qui stagneraient à 4,2 % malgré un développement visible (ils affirment atteindre près de 9 %), les chrétiens enfin, auquel le recensement accorde 1,4 % de la population (au lieu des 7 % estimés l’an passé). Et enfin, les religions comme le bouddhisme Bön, le jainisme, la religion baha’ie, le sikkisme ou la religion kiranti ne sont même pas comptabilisées, bien qu’elles soient pratiquées par de nombreuses populations autochtones du Népal.

« Ce rapport est inacceptable », a déclaré samedi 1er décembre, Rajkumar Lekhi, leader de la Nepal Federation of Indigenous Nationalities (NEFIN), annonçant que son mouvement allait lancer une campagne de protestation d’un mois, comprenant des sit-in et des manifestations dans tout le pays. Non seulement le recensement a réduit drastiquement le nombre des autochtones du Népal, comparativement au précédent rapport de 2001, mais il a fait « disparaître purement et simplement dix populations indigènes de la liste enregistrée officiellement par le gouvernement », rapporte le responsable aborigène, cité par le quotidien The Himalayan Times.

Tout comme les minorités religieuses, les populations autochtones craignent qu’en minorant leur importance au sein de la société népalaise, le recensement ne les empêche de faire entendre leur voix dans le débat constitutionnel qui se joue ces prochains mois. Le rapport du CBS devait en effet fournir au gouvernement des données précises sur la population, en vue de former des Etats fédérés en fonction de l’appartenance ethnique, autre pomme de discorde de la Constituante aprèsla question de la laïcité de l’Etat.