Eglises d'Asie

Orissa : les « tribals » font plier le géant minier Vedanta

Publié le 26/08/2013




Le résultat du bras de fer qui dure depuis des années entre les Dongria, peuple aborigène de l’Orissa, et le géant minier Vedanta Ressources, était très attendu. Dans son communiqué du 20 août dernier, l’ONG Survival International annonce que les « tribals » ont porté un coup qui pourrait être fatal au projet de la firme visant à ouvrir une mine de bauxite à Niyamgiri, montagne sacrée des Dongria.

Les Dongria Kondh (« peuple des montagnes ») vivent depuis des millénaires dans ces montagnes de l’Orissa recouvertes par la jungle, où ils pratiquent la chasse, la cueillette et une agriculture de subsistance. Animistes, ils vénèrent comme une divinité la montagne Niyamgiri d’où ils disent « tirer toute vie », et y célèbrent de nombreux rituels. Mais leur territoire, qui regorge de bauxite (l’Orissa détiendrait 50 % des réserves indiennes), attire de longue date différentes entreprises auxquelles le gouvernement local a été prompt à accorder, sans demander l’accord des habitants, l’autorisation d’exploiter des gisements.

A l’issue d’une consultation générale au sein de leur communauté, qui vient tout juste de s’achever, les Dongria ont rejeté à l’unanimité le projet d’exploitation à Niyamgiri d’une mine de bauxite par Vedanta. En avril dernier, la Cour suprême indienne avait suspendu le projet déjà en cours de la firme pour ordonner une consultation des gram sabha (1) des villages dongria, afin de requérir leur avis sur le projet du géant minier. Malgré les intimidations du gouvernement et de la firme, les quelque douze villages concernés ont fait clairement connaître leur complète opposition au projet, détruisant par la même occasion le principal argument de Vedanta assurant depuis des années avoir « l’accord de la grande majorité de la population locale, y compris celle des tribus [aborigènes] ».

Dans un contexte particulièrement sombre pour la défense des droits des adivasi (ou « tribals ») dans une Inde où se multiplient les cas d’expropriations massives sous la pression de grands groupes industriels (telle l’affaire Posco), cette victoire sans précédent pourrait faire jurisprudence. Le jugement d’avril 2013 avait en effet clairement spécifié que « les droits religieux et socioculturels » des aborigènes n’avaient pas été respecté par le groupe industriel, et que les Dongrias avaient le « droit d’être entendus » ainsi que de « décider de leur avenir et de l’utilisation de leurs terres ancestrales ».

Le résultat de cette consultation des Dongria devra cependant être entériné par le ministère indien de l’Environnement et des Forêts, lequel signifiera sa décision d’ici deux mois. Certains craignent ainsi que malgré la victoire indéniable que représente le vote des gram sabha, une décision émanant d’une communauté aborigène formée de quelque 8 000 individus ne pèse pas lourd face à une firme internationale puissante, soutenue par le gouvernement de l’Etat et le gouvernement fédéral (2).

Le combat des aborigènes pour la protection de leur montagne sacrée, commencé il y a une dizaine d’années, s’était durci en décembre 2008 lorsque le ministère de l’Environnement et des Forêts avait autorisé Sterlite India (filiale du groupe britannique Vedanta, détenu majoritairement par le milliardaire indien Anil Agarwal ) à exploiter la bauxite de Niyamgiri afin d’alimenter son usine de Lanjigarh située au pied des montagnes. Le projet, fruit d’un accord entre la multinationale et la compagnie d’Etat Orissa Mining Corporation (OMC), prévoyait l’exploitation du minerai pour les 25 années à venir dans une gigantesque mine à ciel ouvert de 670 hectares, avec un investissement de 650 millions d’euros.

Les Dongria Kondh, assistés des ONG Survival et Amnesty International, saisirent alors la Cour suprême, dénonçant le fait qu’ils n’avaient pas été consultés et affirmant leur opposition à une exploitation qui « détruira leur mode de vie, leur environnement et leur lieu de culte ». Mais la Cour ayant statué en faveur de la compagnie industrielle, les adivasi portèrent à nouveau plainte en 2009 pour « violation du droit des peuples indigènes ».

La communauté internationale se mobilise alors en faveur des Dongria Kondh, dont le combat lui rappelle celui des héros du film Avatar qui remporte alors un succès mondial. Des ONG de défense des droits de l’homme, des associations écologistes, des entreprises et mêmes des Eglises adhèrent à la campagne. L’Eglise d’Angleterre (anglicane) y jouera un rôle considérable en décidant, dès 2009, de vendre toutes ses actions de Vedanta pour « raisons éthiques », et entraînant le retrait de nombreux investisseurs. Plusieurs gouvernements s’engagent à leur tout dans le soutien de la cause des aborigènes, comme la Norvège et le Royaume-Uni.

En août 2010, suite à la publication d’une expertise avertissant des risques de « pollution irréversible de l’écosystème » et du danger d’« extinction des Dongria Kondh », le ministère fédéral de l’Environnement revient sur sa décision et bloque la licence du projet pour « graves violations des droits des populations locales et des lois relatives à l’environnement et à la protection des forêts ».

Vedanta et l’OMC font appel de la décision en février 2011. Les Dongria Kondh demandent quant à eux que la Cour statue selon le principe du « consentement préalable », de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 (3).

Après des mois de manifestations et de pressions internationales, le verdict de la Cour d’appel tombe finalement le 18 avril 2013. A la surprise générale, la Cour rejette la demande de Vedanta et suspend son projet d’exploitation pour cinq mois, le temps de laisser aux gram sabha des Dongria la possibilité « d’être entendus dans le processus de décision ». Ce jugement est l’une des premières reconnaissances officielles des « droits religieux et culturels » des aborigènes, ainsi que de la capacité des gram sabha à décider de l’avenir de leurs communautés.

Bien que la Cour ait stipulé que la consultation des assemblées de villages dongria devrait se dérouler « librement et sans influence de la part des initiateurs du projet, du gouvernement de l’Etat et du gouvernement central », Survival rapporte que les adivasi ont été l’objet de « multiples manœuvres d’intimidation de la part de Vedanta et du harcèlement de la police paramilitaire ». Tout au long de leur lutte pour défendre Niyamgiri, rappelle encore l’ONG, des leaders dongria ont été emprisonnés et torturés à de nombreuses reprises, sans que soit cependant entamée leur détermination. « Nous n’abandonnerons pas Niyamgiri où vit notre dieu. Si le gouvernement et les politiciens s’y opposent malgré tout, nous continuerons à nous battre », a déclaré il y a quelques jours l’un des leaders du « peuple des montagnes ».

« C’est une grande victoire, mais il reste à espérer que les Dongria Kondh auront le dernier mot. Il faut que la décision [des Dongria] soit respectée par Vedanta et le gouvernement », conclut Stephen Corry, directeur de Survival International.