Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Et si Narendra Modi devenait Premier ministre ?

Publié le 24/02/2014




A quelques semaines des élections générales indiennes, le P. Cedric Prakash, jésuite, tente de « démythifier » le favori de la campagne, Narendra Modi, ministre-président du Gujarat et candidat pour le parti nationaliste hindou du BJP au poste de Premier ministre de l’Inde.

Editorialiste mais également directeur du Centre Prashant pour les droits de l’homme, la justice et la paix, Cedric Prakash a signé cet article le 7 février dernier pour l’agence Ucanews. La traduction est de la rédaction d’ Eglises d’Asie.

Et si Modi devenait Premier ministre ?
Quatre mythes autour du candidat au poste de Premier ministre de l’Inde

En tant que chrétien, et tout particulièrement en tant que prêtre jésuite, je reste intimement persuadé que, tout en restant ouvert au dialogue et à la discussion, tout un chacun se doit d’être sans équivoque sur ce qu’il ou elle est censé représenter.

Donc, je réaffirme m’opposer fermement aux politiciens ou partis politiques qui sont sectaires, corrompus, en faveur des castes ou qui soutiennent tout ce qui conduit à la criminalisation de la société.

Je ne soutiens pour ma part aucun parti politique. Tous ont leurs défaillances. Une vraie analyse révélerait que chacun d’entre eux a menti au peuple de l’Inde d’une manière ou d’une autre, spécialement aux pauvres et aux populations discriminées, à la fois en raison de l’idéologie qu’il prônait ou du fait qu’il a favorisé une caste ou une classe particulière au sein de la nation.

Il me revient à l’esprit les paroles fortes du pape François dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium dans laquelle il condamne une « économie de l’exclusion et de l’inégalité » ainsi qu’un « système financier qui fait la loi au lieu de la servir ».

Nous devons accepter qu’il existe des motifs réels de crainte – et même de peur – au sujet de la possibilité aux élections de mai [2014] de voir accéder au poste de Premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, candidat du parti pro-hindou du Bharatiya Janata Party (BJP) et ministre-président – élu à trois reprises – du Gujarat.

Mais avant tout, permettez-moi de faire une petite mise au point au sujet de Modi et de son gouvernement.

– Mythe n° 1 : Modi a réussi à faire du Gujarat un Etat développé

Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Le Gujarat a toujours été un Etat développé, et ce depuis qu’il a été séparé de Bombay (Mumbai) en 1960. Tous les indicateurs économiques démontrent clairement que le Gujarat sous le règne de Modi est « considérablement plus pauvre » qu’il ne l’a jamais été sous les précédents gouvernements (y compris ceux menés avant lui par d’autres leaders du BJP).

Le fait est que les investissements étrangers au Gujarat ont sévèrement diminué ces dernières années et que même les investissements locaux sont bien en deçà de ce que prétend l’Etat. Selon tous les critères socio-économiques, le Gujarat est une région qui va mal.

Un rapport de l’UNICEF publié en 2013 affirme que le développement social de l’Etat n’a pas suivi, loin de là, son développement économique ; parmi les enfants de moins de 5 ans au Gujarat, pratiquement un sur deux est en état de sous-alimentation et les trois quarts souffrent d’anémie sévère.

– Mythe n° 2 : les massacres du Gujarat appartiennent au passé et Modi a « été lavé de tout soupçon »

Un grand nombre de personnes croient que les tribunaux ont blanchi Modi de toute accusation concernant son implication dans les pogroms anti-musulmans de 2002. Les faits sont cependant bien différents. Le premier de tous est qu’aucun tribunal n’a accordé de « clean chit » (1) à Modi.

Certes, il y a le rapport de la Special Investigation Team (SIT) qui conclut qu’il n’y a pas assez de preuves contre Modi. Mais ce document a été contesté par une pétition déposée par Zakhia Jafri, demandant aux magistrats d’Ahmadabad de s’interroger sur la validité des conclusions du SIT auprès d’une instance judiciaire supérieure.

Raju Ramchandran, qui a été désigné par la Cour suprême comme amicus curiae (2) sur de nombreuses affaires d’émeutes au Gujarat, a affirmé qu’il y avait tout au contraire suffisamment de preuves pour poursuivre Modi devant plusieurs cours de justice sur l’affaire des pogroms de 2002 qui ont coûté la vie à plus d’un millier de personnes (3).

Modi n’a jamais fait montre d’aucun remords ni reconnu une quelconque responsabilité dans le massacre de ces foules d’innocents. Le moins que l’on était en droit d’attendre d’un ministre-président était qu’il maintienne l’ordre et renforce les lois afin de protéger la vie er les biens des citoyens de son Etat. Il ne subsiste aucun doute sur le fait qu’il n’a rien fait de tel. En revanche, il est attesté par de nombreuses déclarations et documents, disponibles sur papier ou sur le net, qu’il n’a cessé de dénigrer les minorités.

– Mythe n° 3 : la cote de popularité de Modi remonte auprès des minorités

Il y a des personnes pour prétendre que des représentants des communautés minoritaires chrétiennes et musulmanes chantent les louanges de Modi. Une analyse quelque peu poussée permet de constater que ces personnes en question ont des intérêts personnels, spécialement dans le domaine des affaires, et ne sont en réalité pas du tout intéressées par le bien-être de ces communautés, ou plutôt à ce qui arrive à ces minorités dans le pays.

En 2003, Modi a introduit une loi anti-conversion et établi des règlements afin de pouvoir faire appliquer cette loi à partir de 2008. Il s’agit probablement de la loi la plus dure ayant jamais existé dans l’histoire de la démocratie indienne. Elle interdit à tout citoyen de l’Etat de se convertir à une autre confession religieuse sans la permission des autorités civiles (4).

Aujourd’hui, la police et les services de renseignement ne cessent de faire des visites d’inspection dans les institutions chrétiennes et auprès des chrétiens en général, multipliant les enquêtes et les demandes de vérification des registres de baptêmes et autres archives.

– Mythe n° 4 : Modi n’est pas un homme corrompu

En mai 2012, Anna Hazare et Arvind Kejriwal, leaders du mouvement anti-corruption, se sont rendus au Gujarat. Ils en sont repartis en disant qu’il s’agissait de l’Etat le plus corrompu du pays. Cependant, nul ne sait pour quelle raison ils n’ont pas poursuivi leur dénonciation de la corruption au Gujurat.

Il y a plusieurs années de cela, l’entreprise Tata Motors Limited a été autorisée à implanter une usine au Gujarat afin de construire « la voiture la moins chère du monde », avec une facilité surprenante, au mépris de toutes les lois y compris celles régissant la politique industrielle de l’Etat.

Il est également notoire que l’Adani Company contrôle le prix du gaz naturel, encaissant ainsi de juteux profits. Par ailleurs, le rôle des Ambani (5) dans les ‘méga-projets’ au Gujarat mériterait d’être regardé de près. Toutes les lois en faveur de l’environnement sont bafouées et la terrible dégradation écologique qui est en train de se mettre en place partout dans l’Etat sont autant de points qui témoignent du fait que la corruption est bien active et se développe sans entrave au Gujarat.

Un autre indicateur est l’accaparemment des terres par les grandes firmes, déplaçant des milliers de petits paysans à travers tout l’Etat. Il y a eu d’énormes manifestations de protestation, mais ces dernières n’ont pas été couvertes par les médias, qui semblent très largement muselés au Gujarat.

Ces quatre mythes permettent de donner un aperçu de la triste réalité du gouvernement de Modi. Personne ne peut savoir s’il va devenir Premier ministre. Mais l’Inde mérite de meilleurs dirigeants.

La politique indienne tourne autour de ses partis régionaux. A ce jour, dans plusieurs Etats, le BJP ne compte pas de partis alliés. Aujourd’hui, les principaux partis régionaux attendent de voir lequel des deux grands, BJP ou Congrès, émergera et s’affichera comme le plus important lors de ces élections de 2014.

(eda/msb)