Eglises d'Asie

Narendra Modi pose un geste très symbolique en nommant un ministre du yoga

Publié le 14/11/2014




La nouvelle a fait le tour du monde, surprenant certains, en amusant d’autres. Le 9 novembre, dans le cadre d’un important remaniement ministériel, Narendra Modi a nommé l’ancien ministre du Tourisme, Shripad Yesso Naik, à la tête du nouveau ministère AYUSH. Sous cet acronyme (Ayurveda, Yoga, Unani, Siddha and Homéopathy, AYUSH) … 

… sont regroupées les principales pratiques holistiques et médecines traditionnelles indiennes.

Si cette création ministérielle – une première en Inde –  a été perçue comme anecdotique par la plupart des médias occidentaux, elle a été prise au sérieux par bon nombre de spécialistes du monde indien qui y voient une tentative de prosélytisme de l’hindutva, l’idéologie assimilant l’hindouisme à la nation indienne, prêchée par le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP) dont le Premier ministre indien est le leader.

En effet si le département consacré aux médecines et pratiques traditionnelles AYUSH existe depuis des années au sein du ministère de la Santé (1), le fait de créer un ministère spécifique est pour Narendra Modi un acte hautement symbolique.

« Contrairement à l’Occident où le yoga est devenu une philosophie de vie, en Inde, c’est un système religieux associé à des divinités hindoues », décrypte Mathieu Boisvert, fondateur du Centre d’études et de recherche sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora (CERIAS). « Cela a un impact sur la vision du monde, c’est bien plus qu’un exercice », ajoute-t-il sur le site d’information en ligne québecois La Presse +.

C’est au cours d’un congrès mondial sur l’ayurdeva, dimanche 9 novembre, que le Premier ministre indien a révélé la création de ce ministère, en faisant l’apologie du yoga et de « l’approche indienne et holistique de la santé » qui doivent « devenir des principes reconnus de façon universelle ».

Narendra Modi pratique lui-même le yoga tous les jours et ne fait pas mystère de la stricte discipline alimentaire – végétarisme et jeûne – qu’il s’impose en observance des préceptes ayurvédiques.

En septembre dernier, lors de son premier discours prononcé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, il a appelé à la création d’une Journée internationale du yoga. « Le yoga incarne l’unité entre l’esprit et le corps ; la pensée et l’action ; la retenue et la plénitude ; l’harmonie entre l’homme et la nature ; une approche complète à la santé et au bien-être, a-t-il déclaré. En changeant notre mode de vie et en étant plus conscients, nous pouvons même [utiliser ces méthodes] pour faire face aux changements climatiques. »

Depuis son accession à la tête du gouvernement indien, au printemps dernier, le Premier ministre a plusieurs fois signifié son intention de favoriser l’enseignement et le développement du yoga ainsi que des médecines traditionnelles indiennes que sont l’ayurveda (2), l’unani (3), ou le siddha (4).

Lors de la campagne électorale du BJP pour soutenir son candidat Narendra Modi, les gourous hindouistes et maîtres yogis avaient été nombreux à lui signifier officiellement leur soutien. Ce fut le cas notamment du très populaire et révéré Ramdev, maître yogi, qui avait promis de rassembler 200 millions de voix pour le BJP. Pour ce faire, le gourou avait parrainé des sessions de yoga pour 100 000 personnes dans plusieurs villes du pays, encourageant les participants à voter pour le BJP.

Bien plus qu’un choix de vie personnel, ou qu’un ensemble de principes d’hygiène et de santé proposés à la population indienne, le yoga, accompagné des médecines « holistiques », constitue pour Narendra Modi un véritable programme politique. Il représente l’une des nombreuses facettes de l’hindutva et l’un des moyens privilégiés de restauration de la « culture et de la nation hindoues » que le Premier ministre s’était engagé à promouvoir lors de sa campagne électorale.

« En faisant la promotion du yoga [et des partiques médicales traditionelles], Narendra Modi donne aux nationalistes hindous une manière de célébrer leur identité », explique encore Serge Granger, professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke au Canada.

« Il s’agit de notre système [de pensée et de médecine en Inde], et nous ne lui avons pas accordé jusqu’à présent suffisamment d’importance : nous allons le promouvoir auprès des masses », a promis le nouveau ministre, Shripad Naik, dès sa prise de fonctions mardi 11 novembre. L’action des pouvoirs publics en faveur des médecines traditionnelles bénéficiera d’un budget de près de 11 milliards de roupies (140 millions d’euros).

Ces disciplines traditionnelles sont donc appelées à « retrouver un nouvel élan », et ce, probablement dans un futur proche, à travers le réseau des écoles, un projet cher à Narendra Modi qui a essayé à de multiples reprises de l’imposer dans son Etat lorsqu’il était à la tête du Gujarat. L’actuel Premier ministre de l’Inde est notamment connu pour avoir fondé en 2013 la première université de yoga du pays, près d’Ahmedabad.

Dans l’Etat voisin du Madhya Pradesh, également gouverné par le BJP, une tentative similaire avait échoué de justesse en février 2007, lorsque la Haute Cour de l’Etat avait statué que la participation au Surya Namaskar (salutation au soleil) – qui désigne le premier exercice de mise en condition d’une séance de yoga –, ne pouvait être déclaré obligatoire pour toutes les écoles comme l’avait ordonné une circulaire du gouvernement. Considérant cette pratique comme « un acte religieux assimilable au culte du soleil, et non pas un exercice physique », des groupes de fidèles musulmans et chrétiens s’étaient opposés à la décision des autorités.

Mais le gouvernement de l’Etat avait récidivé en 2012 en organisant un Surya Namaskar géant, réalisé en même temps par tous les élèves des écoles. Cette gigantesque manifestation était destinée à commémorer l’anniversaire de la naissance d’un ascète hindou, mais surtout à faire entrer l’exploit dans le livre Guiness des records. Bien que les chrétiens et les musulmans se soient de nouveau opposés à effectuer « un acte cultuel incompatible avec la pratique de leur religion », quelque 10 millions d’enfants avaient pratiqué simultanément la « salutation au soleil » devant les caméras de télévision.

(eda/msb)