Eglises d'Asie

Signe de l’échec de sa politique nataliste, le Premier ministre s’en remet à l’effet ‘année du dragon’ pour relancer les naissances

Publié le 25/01/2012




 Le 21 janvier dernier, lors de son message pour le Nouvel An lunaire, Lee Hsien Loong, Premier ministre de Singapour, a porté l’accent sur un nécessaire rebond d’une natalité par ailleurs très déprimée. Témoignant en creux de l’échec de la politique nataliste menée depuis des années par son gouvernement, il déclaré « espérer ardemment que cette année puisse être celle d’un puissant dragon pour ce qui est du nombre des naissances ».

 Si l’on en juge par les statistiques démographiques des décennies précédentes, le vœu du Premier ministre singapourien a de fortes chances d’être entendu. En effet, dans l’astrologie chinoise, le signe du dragon est particulièrement auspicieux et un enfant né sous ce signe, symbole de l’empereur, est supposé être doté de qualités de caractère recherchées : il sera passionné, volontaire, courageux, etc. De fait, les précédentes années du dragon, en 1988 et 2000, avaient tenu leurs promesses, avec une croissance de 10 % du nombre des naissances.

Un tel rebond, s’il se vérifie cette année, ne suffira toutefois pas à enrayer la chute de la natalité qui se constate à Singapour depuis plusieurs décennies. Les statistiques gouvernementales indiquent que si 2011 a connu un léger mieux par rapport à 2010, avec un indice synthétique de fécondité passant de 1,16 enfant par femme en âge de procréer à un indice de 1,20, le déclin engagé se poursuit : en 2000, le taux de fécondité était encore à 1,60, soit un niveau déjà inférieur au seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme en âge de procréer).

Selon le Premier ministre, relancer les naissances « est indispensable à la préservation de ce qui fait le cœur de notre société ». Lee Hsien Loong, qui est lui-même père de quatre enfants, a assuré les couples singapouriens que le gouvernement continuerait d’assumer sa part du fardeau lié au coût financier de l’enfant, que ce soit par des allocations familiales, un accès privilégié aux logements subventionnés ou à l’aménagement du temps de travail, mais, a-t-il souligné, « le facteur principal n’est plus désormais financier mais consiste dans la création d’un climat et d’attitudes sociales qui encouragent les couples à avoir plus d’enfants ». Sur l’enjeu de la politique nataliste du gouvernement, le Premier ministre a été clair : « Pas plus que nous ne voulons voir la population de Singapour diminuer année après année, nous ne souhaitons dépendre de plus en plus nettement de l’immigration. »

Année après année, les autorités singapouriennes ont le mérite de la constance. L’an dernier, en effet, à la même époque du Nouvel An lunaire, le même Lee Hsien Loong avait encouragé les couples à avoir plus d’enfant. L’année du tigre, considérée comme peu auspicieuse, avait vu une chute de la natalité et la nouvelle année, placée sous le signe du lapin, devait être plus favorable. Le Premier ministre avait alors affirmé : « Nous devons clairement maintenir une majorité de Singapouriens de souche, qui donnent le ton à notre société. (…) Beaucoup d’étrangers souhaitent accéder au statut de résident permanent, voire être naturalisés, mais nous devons veiller à choisir soigneusement ceux qui présentent une valeur ajoutée. » Actuellement, pour 5,18 millions d’habitants, Singapour compte 3,8 millions de citoyens et 1,4 million d’étrangers.

Face aux réalités démographiques actuelles, les autorités singapouriennes s’inquiètent, en ce qui concerne les naissances des Singapouriens, du fait que la composante chinoise de la population, qui représente un peu plus des trois quarts des 3,8 millions de citoyens de la cité-Etat, est celle qui affiche le taux de fécondité le plus faible. En janvier 2011, le taux de fécondité des Chinoises s’établissait à 1,02 pour 1,13 chez les Indiennes et 1,65 chez les Malaises.

Les autorités se soucient notamment du fait que, quelles que soient les mesures incitatives que les pouvoirs publics mettent en place, la population ne semble pas y répondre, considérant que le gouvernement n’a pas à s’immiscer dans la vie des couples pour les inciter à déterminer le nombre de leur progéniture. Dans un système éducatif et économique fondé sur une compétition intense, les Singapouriens, notamment parmi les classes moyennes, persistent à manifester un réel scepticisme vis-à-vis des campagnes gouvernementales les invitant à procréer.

Depuis 1945, la politique familiale à Singapour a nettement fluctué : après une première phase visant à freiner, voire stopper le boom démographique (5,8 enfants par femme en âge de procréer en 1960), les autorités ont commencé à encourager les naissances dans les années 1980, le taux de fécondité étant passé sous la barre des 2,1. En 1984, la relance de la fécondité s’est faite avec des programmes (Graduate Mothers’ Scheme) incitant les femmes diplômées à avoir davantage d’enfants, en même temps que les femmes n’ayant pas un niveau d’éducation jugé suffisant étaient invitées à se faire stériliser après le deuxième enfant, incitation financière à la clé. Dans un pays dont la seule véritable richesse réside dans la qualification de sa population, cette distinction était fondée sur la croyance des dirigeants singapouriens que les enfants des « riches » seraient plus à même que ceux des « pauvres » de participer positivement à la prospérité de la cité-Etat. Une telle politique souleva de vives critiques et s’avéra sans effet, à tel point que, peu à peu, le gouvernement passa à une politique nataliste plus universelle, sans abandonner toutefois ses idées socialement eugénistes. En 1987, le mot d’ordre des campagnes officielles était ‘Have Three or More (if you can afford it)’. Plus tard, dans les années 2000, le gouvernement tenta de persuader ses citoyens qu’il était nécessaire, pour les couples, de passer du temps ensemble de manière « romantique », sans même évoquer une éventuelle naissance à la clé. En vain. Le taux de fécondité a continué de décliner (1).