Eglises d'Asie

Trois ans après Fukushima, des catholiques luttent contre les préventions qui frappent les habitants de la région

Publié le 10/03/2014




Autrefois, la région de Fukushima était connue pour être « le royaume des fruits » ou « le verger du Japon » et la préfecture de Fukushima était celle comptait le taux le plus élevé d’agriculteurs du pays. Aujourd’hui, trois ans après le tremblement de terre du 11 mars 2011, les cageots de fruits et légumes qui portent la mention « Préfecture de Fukushima » …

… pourrissent dans les hangars ou se vendent à des prix décotés tant la suspicion de contamination radioactive est forte. Une association catholique se bat pour trouver un débouché à la production maraîchère et fruitière de cette région, luttant ainsi contre les discriminations invisibles dont sont victimes les habitants de la région qui entoure la centrale nucléaire accidentée.

Yaginuma Chikako est responsable de l’ONG « Revivre », un projet qu’elle a monté en avril 2012 pour venir en aide aux agriculteurs, maraîchers et arboriculteurs principalement, de la région de Fukushima. Habitante de Nihonmatsu, localité située à 70 km à l’intérieur des terres à l’ouest de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima Daiichi, elle a fait le constat que la production agricole ainsi que les fruits de mer en provenance de la préfecture de Fukushima ne se vendaient pas ou très mal sur les marchés japonais : les consommateurs se méfiaient de ces produits, les supposant contaminés par la radioactivité. La conséquence était que la population locale, dans un département déjà profondément affecté par le séisme de mars 2011 et ses conséquences, ne pouvait réussir à sortir du marasme si, économiquement, elle se trouvait désavantagée, voire stigmatisée.

« Autour de Nihonmatsu, les agriculteurs n’obtiennent d’écouler leur production qu’à des prix très bas, témoigne-t-elle à l’agence Ucanews. Avant [la catastrophe], les pêches, les fraises ou les champignons de Fukushima valaient chers sur les marchés de Tokyo. Aujourd’hui, ils pourrissent en caisses. »

Face à cette situation, Yaginuma Chikako a monté avec l’aide de la Caritas Japon et du diocèse de Tokyo un réseau pour écouler fruits de mer ainsi que légumes et fruits issus des exploitations de la préfecture de Fukushima. Chaque fin de semaine, des bénévoles prennent la route depuis Nihonmatsu et chargent leurs véhicules de cageots de fruits et légumes pour venir les vendre à la sortie des messes du dimanche dans 35 paroisses de Tokyo et de ses alentours. Avec l’arrivée du printemps, leur activité redouble. Une vente en ligne, sur Internet, a également été mise sur pied.

Tous les cageots et cartons sont certifiés conformes aux normes en matière de contamination radioactive. Le président d’une société fabriquant des compteurs Geiger siège au bureau de l’ONG et Yaginuma Chikako et ses acolytes veillent très soigneusement à ce que chaque lot expédié porte bien l’étiquette indiquant le résultat de la dosimétrie. Celle-ci est toujours largement inférieure au seuil des 100 becquerels par kilogramme imposé par la législation (1).

Pour Yaginuma, le paradoxe est que « bien des gens refusent d’acheter des produits venant de Fukushima par crainte de la contamination radioactive, mais ces mêmes personnes achètent et consomment des fruits et des légumes qui comportent un niveau élevé de pesticides et de produits chimiques ».

Trois ans après la catastrophe, Suzuki Yoshiyuki vit toujours dans une habitation temporaire à Nihonmatsu. Chaque semaine ou presque, il fait l’aller-et-retour vers Tokyo pour vendre fruits et légumes. Il témoigne de l’enthousiasme et de la force que lui donnent ces voyages, lorsque les paroissiens achètent les produits et les trouvent « délicieux ».

Trois après le 11 mars 2011, les blessures sont encore très réelles, même si elles ne sont pas toutes visibles. Certes, la reconstruction des infrastructures va bon train, l’économie de la région redresse peu à peu la tête, mais les appréhensions de la population du pays tout entier face à une centrale accidentée dont le processus de démantèlement est très loin d’être maîtrisé par l’opérateur Tepco sont fortes.

Face aux habitants de l’archipel, ceux de Fukushima restent comme entachés d’un stigmate indélébile. A ceux qui craignent les effets de la contamination radioactive s’ajoutent ceux qui estiment que les habitants de la région de Fukushima ont beau jeu de se plaindre alors même qu’ils touchent des indemnités, supposées grasses, de Tepco. Pourtant, sur place, dans la région touchée par l’accident nucléaire, la déchirure du tissu social créée par les déplacements de population et l’exil d’une partie des habitants font des ravages. Pour la seule préfecture de Fukushima, les chiffres officiels indiquent que l’après-tremblement de terre a fait autant de victimes que le tremblement de terre lui-même et le tsunami qu’il a provoqué : 1 603 personnes sont mortes et 207 ont disparu le 11 mars 2011 ; par la suite et jusqu’au 19 décembre 2013, 1 604 personnes sont mortes, principalement des personnes âgées par insuffisance de soins et désespoir.

L’exil des mères avec leurs jeunes enfants vers des zones non susceptibles d’avoir été touchées par les radiations a déchiré les familles. Des couples n’y ont pas résisté et ont divorcé. Parmi les jeunes de la campagne, rares sont ceux qui ne veulent pas partir s’établir en ville, loin du département et de la radioactivité qui affecte les terres. Les anciens veulent au contraire revenir là où ils ont vécu toute leur vie. Entre les deux, la génération des 40-60 ans se trouve prise en tenaille, entre le désir d’accompagner leurs enfants et les devoirs qu’ils doivent à leurs parents.

Pour Yaginuma Chikako, ce qui se joue en allant vendre des fraises et des kakis à la sortie des messes à Tokyo est « vital ». « Je fais cela pour mon pays. La préfecture de Fukushima était celle qui comptait le plus grand nombre d’agriculteurs. Beaucoup d’entre eux ont tout perdu. Je veux voir Fukushima renaître, tout spécialement sa vocation à nourrir le pays », explique-t-elle, en précisant que son engagement l’a amené à « grandir dans la foi » : « Tout est don de Dieu, y compris les récoltes de fruits, mais ce que nous endurons à Fukushima est l’œuvre des hommes et des choix qu’ils ont posés. Nous continuons à approfondir ce que veut dire rendre grâce à Dieu pour la nourriture qu’Il nous donne, tout comme nous comprenons mieux les conséquences de nos choix face à ce don divin. Aider les agriculteurs de Fukushima nous aide à vivre notre foi de manière très réelle. »

(eda/ra)