Eglises d'Asie

Scandale financier au sein d’une des plus importantes ‘méga-churches’ de Singapour

Publié le 28/06/2012




Le 26 juin, le Rev. Kong Hee et quatre de ses plus proches adjoints ont été interpellés et inculpés pour abus de confiance et falsification de comptes. Fondateur d’une des plus importantes Eglises évangéliques de Singapour, la City Harvest Church, le pasteur est soupçonné d’avoir détourné entre 2007 et 2010, une somme de …

… 50 millions de SGD (dollars de Singapour), soit 31,5 millions d’euros afin de financer la carrière musicale de son épouse, Ho Yeow Sun, chanteuse pop. Remis en liberté sous caution, le pasteur protestant, âgé de 47 ans, et ses co-inculpés encourent la perpétuité et devraient être jugés le 25 juillet prochain.

Fondée en 1989 autour d’une communauté d’une vingtaine de membres, la City Harvest Church est devenue en quelques années l’une des plus importantes Eglises évangéliques de la cité-Etat. Elle revendique aujourd’hui environ 33 000 fidèles et son pasteur, le Rév. Hong Hee, est rapidement devenu l’une des personnalités religieuses les plus en vue de la ville. La City Harvest Church comme d’autres Eglises qui empruntent au modèle américain des ‘méga-churches’, telles la Faith Community Baptist Church ou la New Creation Church, a su attirer à elle un public jeune, inséré dans la vie professionnelle et en recherche de valeurs spirituelles. Autour de célébrations qui empruntent aux spectacles musicaux, avec des sermons de près d’une heure, le tout dans une ambiance enlevée, le pasteur Kong Hee a su répondre à une attente d’une partie du public singapourien, y compris dans les milieux qui n’étaient pas de confession chrétienne. Un modèle qui s’est révélé par ailleurs exportable puisque la City Harvest Church compte aujourd’hui une quarantaine d’églises affiliées en Malaisie, en Indonésie mais aussi en Inde et en Australie.

Pour les autorités singapouriennes, l’existence et le développement de ces Eglises ne font pas problème tant qu’au nom du maintien de « l’harmonie religieuse » dans une société pluri-ethnique et pluri-religieuse, la ligne rouge de la critique directe d’une autre religion n’est pas franchie. L’autre point d’attention des autorités de la cité-Etat à l’endroit de ces Eglises tient à leur statut de « charity ». A l’image de toutes les institutions religieuses à Singapour qui font appel à la générosité de leurs fidèles pour financer leurs lieux de culte et institutions caritatives, les Eglises chrétiennes jouissent d’exemptions fiscales. De ce fait, l’administration fiscale veille sur leurs comptes de manière à éviter d’éventuels abus. Par le passé, le fondateur bouddhiste d’un hôpital, l’hôpital Ren Ci, a été mis en prison pour des prêts non autorisés d’un montant de 50 000 dollars ; le détournement de 12 millions de dollars au sein de la National Kidney Foundation a aussi été sanctionné devant les tribunaux ; en 2004, le curé d’une paroisse catholique avait été condamné à sept ans et demi de prison ferme pour détournement de fonds et abus de confiance.

Dans l’affaire de la City Harvest Church, c’est au terme d’une enquête de deux ans menée par le Bureau des Affaires commerciales de la police de Singapour que le scandale a éclaté. Selon le Commissioner of Charities, des irrégularités comptables ont été détectées pour un montant initial de 23 millions de dollars, somme qui a été augmentée ensuite de 26,6 autres millions qui auraient servi à tenter de camoufler ces premiers détournements. Les sommes en question proviendraient des dons des fidèles et auraient servi en partie à financer la carrière de chanteuse de l’épouse du Rév. Kong.

Des questions ont également surgi quant au financement des lieux de culte construits par la City Harvest Church. Disposant d’une imposante église dans le quartier populaire du Jurong West et d’un lieu de culte dans le très commercial centre de Singapore Expo, le pasteur Kong était par ailleurs soupçonné par le fisc d’avoir abusé du statut de charity de son Eglise afin d’acquérir en 2010 des parts, pour un montant de 310 millions de dollars, dans le Suntec Convention Center, au cœur de la ville. Selon le Rév. Kong, le placement avait été effectué non dans un but commercial mais en vue d’accroître la capacité d’accueil de son Eglise. Les autorités avaient toutefois édicté un règlement limitant l’usage des locaux commerciaux à des fins religieuses et interdit les appels publicitaires religieux dans les espaces publics.

Dans une ville où les chrétiens représentent 18 % de la population (et 40 % des parlementaires), l’affaire Kong a entraîné une avalanche de commentaires sur Internet et les réseaux sociaux, les uns réaffirmant leur confiance envers le pasteur inculpé, les autres dénonçant l’appétit de lucre de certains pasteurs adeptes de « la théologie de la prospérité ».

Dès le 27 juin, Mgr Terry Kee, évêque de l’Eglise luthérienne de Singapour et président du Conseil national des Eglises (chrétiennes) de Singapour, enjoignait les Singapouriens à considérer cette affaire avec le calme nécessaire, leur demandant « de ne pas réagir à l’encontre de [la City Harvest Church] ou les autres Eglises présentes [dans la cité-Etat] ». Deux jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, Teo Chee Hean, avait cherché à désarmer toute tension éventuelle, déclarant que les charges pesaient sur des individus et non sur une organisation en tant que telle, et que l’Eglise en question restait libre de poursuivre ses activités et services.

Le 26 juin, dans un message Twitter posté dans l’après-midi, le Rév. Kong écrivait : « Journée difficile… J’ai confiance en Toi, Seigneur Jésus… Que son règne vienne, que sa volonté soit faite ! »