Eglises d'Asie – Inde
Maharashtra : l’Eglise catholique et les ONG avertissent le gouvernement que sa politique envers les paysans surendettés risque d’augmenter encore le nombre des suicides
Publié le 24/11/2010
… « Si le gouvernement poursuit son action, il y a aura une augmentation des suicides, c’est certain », avertit le P. Francis Dabre, qui coordonne le travail social de l’Eglise catholique dans la région du Vidarbha, de l’Etat du Maharashtra. Depuis des années, l’Eglise lutte pour que les autorités viennent davantage en aide aux petits cultivateurs tributaires du moindre aléa climatique et qui sont à la merci des usuriers locaux, tout en tentant de combattre le mal à la racine en organisant régulièrement des campagnes de sensibilisation et de prévention du suicide (1).
Depuis une dizaine d’années, le taux de suicide des paysans surendettés est en augmentation dans toute l’Inde, où l’agriculture demeure l’unique subsistance de la moitié de la population. Selon l’Institut Tata des sciences sociales, plus de 150 000 cultivateurs se seraient suicidés ces dix dernières années, écrasés par le poids de leurs dettes. Face à ce phénomène, les réponses des Etats diffèrent mais aucun jusqu’à présent ne semble avoir trouvé le moyen d’enrayer le fléau, se contentant de prendre des mesures provisoires lors des catastrophes naturelles ayant détruit les récoltes (2).
Si l’Etat du Maharashtra est aujourd’hui l’Etat le plus touché par l’augmentation de ces suicides (4 238 pour la seule année 2007), il le doit essentiellement aux cultivateurs de coton de sa région orientale du Vidarbha. Depuis janvier 2010, plus de 667 agriculteurs surendettés du Vidarbha ont mis fin à leurs jours. Les causes de ce triste record semblent résider principalement dans la nouvelle politique agricole engagée par l’Inde depuis 1991, avec l’introduction de cultures intensives et l’utilisation des semences transgéniques de coton Bt qui ont augmenté considérablement les coûts de production et accentué la précarité des petits exploitants.
Le P. Francis Dabre explique que le désintérêt du gouvernement pour les populations rurales accompagné du recouvrement forcé des dettes ont fini par venir à bout des efforts des agriculteurs pour leur survie. Cette façon d’agir des autorités, poursuit-il, viole les droits fondamentaux des paysans. « C’est le devoir du gouvernement de permettre à tous les citoyens de mener leur vie dans la dignité » (3).
Kishore Tiwari, qui dirige le Vidarbha Jan Andolan Samiti, une association d’aide aux habitants du Vidarbha, soutient également que les institutions de l’Etat ne se soucient absolument pas des paysans. Il rapporte avoir discuté du problème à maintes reprises avec le gouvernement, en vain. A l’heure actuelle, quelques banques ont déjà commencé à saisir les tracteurs et autres biens de leurs débiteurs en remboursement de leurs dettes, ajoute-t-il. En outre, depuis que l’électricité leur a été coupée, quelque 150 000 paysans sont morts de faim ou se sont suicidés. Selon lui, près de 520 000 cultivateurs pourraient subir le même sort si rien n’est fait.
Une constatation confirmée par Ramesh Sankneniwar, agriculteur de Hiwara, un village du district de Yavatmal qui a enregistré le plus fort taux de suicides, qui explique que ses récoltes ont été totalement compromises lorsque « les autorités ont brusquement coupé les vivres ».
Un père de trois enfants raconte que ses cultures de coton Bt sur trois hectares étaient florissantes il y a encore un mois mais que les plants avaient soudain péri faute d’eau. « Nous avons supplié le gouvernement de ne pas couper l’électricité (nécessaire aux pompes du réseau d’irrigation) au moment où les cultures réclamaient le plus d’eau, mais cela n’a servi à rien », raconte-t-il. L’agriculteur a hypothéqué sa propriété auprès d’une banque et précise que s’il ne parvient pas à s’acquitter de sa dette, « [sa] propriété sera confisquée ou vendue aux enchères ».
Un autre paysan du même village affirme que plusieurs cultivateurs ne voient pas d’autre option que de se donner la mort si le gouvernement ne vient pas à leur secours.