Eglises d'Asie

Les responsables religieux appellent les Sud-Coréens à lutter contre une épidémie de suicide

Publié le 22/05/2012




Les représentants des principales religions de Corée – catholicisme, protestantisme, confucianisme, bouddhisme chondo-gyo et bouddhisme won – ont donné une conférence de presse jeudi 17 mai à Séoul au cours de laquelle ils ont lancé un appel pressant à la population sud-coréenne, lui demandant de réagir à la vague de suicides sévissant parmi les anciens employés de Ssangyong Motors.

Mgr Matthias Ri Iong-hoon, président du Comité ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques de Corée du Sud, a rappelé que le 30 mars dernier, Lee Yun-hyung, âgé de 36 ans, s’était donné la mort, devenant ainsi la 22ème victime de la série noire touchant les ex-salariés de l’usine de Ssangyong Motors à Pyeongtaek (1). « Ce suicide était prévisible et aurait pu être évité, mais la société n’a pas pris [cette menace] au sérieux », a déploré l’évêque de Suwon. Lee Yun-hyung avait fait partie des militants qui s’étaient opposés aux licenciements massifs décidés par le constructeur automobile en 2009. Après son départ forcé, il n’avait jamais pu retrouver de travail. Dépressif et criblé de dettes, il avait vendu sa maison et sa voiture avant de se suicider en sautant du toit d’un immeuble.

Les responsables religieux ont lancé ensuite un appel à l’ensemble de la société sud-coréenne, demandant que « tous s’unissent et travaillent ensemble à trouver une solution à cette situation préoccupante » mais aussi que chacun « accepte de reconnaître sa part de responsabilité dans ce qui est arrivé ».

Si l’inquiétude des leaders religieux sud-coréens face au taux élevé des suicides dans le pays n’est pas nouvelle, la mobilisation des représentants de toutes les religions de Corée est aussi symbolique qu’inhabituelle. La Corée du Sud, avec un ratio de 31 pour 100 000, détient le triste record du taux de suicide le plus élevé parmi les Etats membres de l’OCDE, suivi de près par le Japon.

En novembre 2011, c’est ce thème préoccupant qui avait été choisi par les épiscopat japonais et sud-coréens pour leur rencontre annuelle. « Ces cinquante dernières années, la Corée du Sud a réalisé un développement économique remarquable. Mais paradoxalement, ce succès a été à l’origine d’un accroissement considérable du nombre des suicides », avait expliqué Michael Hong Kang-eui, de l’Association coréenne pour la prévention du suicide. C’est le même constat que font aujourd’hui les leaders religieux sud-coréens qui soulignent l’importance du chômage et de l’isolement provoqué par la précarité.

Ce fort taux de suicide est également devenu aujourd’hui une préoccupation majeure du gouvernement, qui en avril dernier a promulgué une loi obligeant toutes les collectivités à créer des centres de prévention au suicide et à installer des services téléphoniques d’urgence.

Mais pour les Sud-Coréens, le drame des employés de Ssangyong Motors représente bien plus qu’un exemple parmi d’autres des licenciements collectifs qui ont touché bon nombre d’entreprises ces dernières années. Pas un jour ne se passe sans que la presse n’évoque l’affaire qui a été vécue comme un traumatisme par la Corée du Sud pour laquelle il s’agissait des premiers licenciements massifs depuis le début de la crise économique.

L’affaire de Ssangyong a débuté en avril 2009, lorsque le principal actionnaire chinois du constructeur automobile a refusé de racheter l’entreprise placée en redressement judiciaire. La direction de l’usine avait alors annoncé le licenciement de 2 650 personnes, soit 37 % des effectifs, mesure à laquelle les syndicats s’étaient immédiatement opposés, réclamant un partage du travail et une injection de fonds publics. Les employés « unionistes » comme les non-syndiqués avaient entamé une longue grève de 77 jours à l’issue de laquelle ils s’étaient retranchés dans l’usine. Assiégés par les forces de police spéciale, le ravitaillement et l’accès aux médicaments coupés par la direction, les employés s’étaient rendus après une résistance acharnée et des affrontements qui avaient causé la mort de six grévistes, dont l’un par suicide, et fait des centaines de blessés. Trois mille policiers, 30 véhicules, et plusieurs hélicoptères déversant des gaz lacrymogène et des produits chimiques avaient été nécessaires pour venir à bout des derniers opposants.

Au plus fort des affrontements, la Commission sud-coréenne des droits de l’homme et la Confédération syndicale internationale avaient dénoncé des « atteintes à la dignité humaine la plus élémentaire », appelant en vain le gouvernement et les dirigeants de Ssangyong Motors à stopper l’assaut contre l’usine et à mettre en place des négociations pacifiques.

Près de trois ans et 22 morts plus tard, la situation ne cesse de se détériorer pour les anciens employés du site de Pyeongtaek. « Ils vivent dans la crainte d’apprendre qu’un nouveau suicide vient d’avoir lieu parmi les leurs », déplore Kim Jeong-woo, responsable du syndicat de Ssangyong. Il rapporte avec colère que le constructeur automobile, qui n’a jamais fait aucun commentaire au sujet des suicides de ses anciens employés, a demandé que l’autel élevé en mémoire de Lee et des autres victimes soit déplacé afin de ne pas « ternir la réputation de l’entreprise ».

Depuis que Ssangyong, rachetée entretemps par le groupe indien Mahindra, semble se redresser financièrement, les syndicats tentent d’obliger l’entreprise à tenir les promesses faites en 2009 à ses employés après la répression brutale des manifestations. Le constructeur automobile s’était engagé à réembaucher un an plus tard tous les employés qui avaient été forcés au ‘départ volontaire’ à la retraite anticipée ou à une prise de congés sans solde de douze mois. Aujourd’hui, aucun des anciens salariés n’a été réintégré mais aucun ne peut non plus trouver de travail dans une autre entreprise, le fait d’avoir été licencié de Ssangyong les plaçant d’emblée dans la catégorie des éléments perturbateurs aux yeux des employeurs.

« Il est temps pour l’entreprise de tenir ses promesse. C’est déjà presque trop tard », résume Lee Chang-geun, du KMWU (Korea Metal Workers’ Union), qui campe avec ses militants devant l’usine. Ponctué de manifestations pacifiques, le sit-in dure depuis décembre dernier. La réaction de la direction de Ssangyong reste cependant laconique : « Nous sommes désolés de ces évènements tragiques [les suicides] et bien qu’il y ait des signes de reprise des ventes pour l’entreprise, ce n’est pas suffisant pour réembaucher », répondait le 11 mars dernier au Korea Times, le porte-parole du constructeur automobile.

Lors de leur conférence de presse du 17 mai, les leaders religieux ont pris clairement parti, demandant au gouvernement et à Ssangyong de faire en sorte que « les employés soient réintégrés dans l’entreprise comme celle-ci s’y était engagée ». Mgr Ri Iong-hoon a également annoncé que leur groupe interreligieux lancerait dès juin prochain une grande campagne pour venir en aide aux anciens employés de Ssangyong et tenter d’enrayer l’épidémie de suicide. Il a précisé qu’ils rencontreraient les membres du gouvernement et différents hommes politiques, des syndicats, des organisations de la société civile ainsi que les médias, afin de mettre en place des actions concrètes et ciblées. Parallèlement, seront organisées des assemblées de prière interreligieuses mais aussi des collectes de fonds pour les anciens salariés de l’usine.