Eglises d'Asie – Indonésie
POUR APPROFONDIR – Pourquoi les sondages indonésiens se sont-ils trompés sur les partis islamiques ?
Publié le 06/05/2014
… (ou orientés vers l’islam) d’Indonésie (1).
Les ‘quatre grands’ partis islamiques en question sont le PAN (Parti du Mandat National) et le PKB (Parti du Réveil National), deux partis s’appuyant sur les préceptes du Pancasila et qui conservent des liens avec les grandes organisations islamiques d’Indonésie ; ainsi que le PKS (Parti de la Justice et la Prospérité), un parti un temps reconnu comme l’un des plus conservateurs d’Indonésie, qui a adopté une image de plus en plus centriste afin d’augmenter son crédit populaire ; et le PPP (Parti du Développement Uni), seul parti islamique hérité de l’Ordre Nouveau, qui a gardé une posture conservatrice sur les principales questions politiques et continue de se positionner comme le parti le plus à même de représenter une large part de l’électorat islamique.
Les deux premiers partis peuvent être décrits comme des partis islamiques pluralistes tandis que les deux derniers se caractérisent par un islamisme conservateur. A ces quatre partis, il faut ajouter le PBB (Parti du Croissant et de l’Etoile), successeur autoproclamé du Masyumi et le seul parti islamique non déjà représenté au Parlement.
En 2009, les partis islamiques avaient enregistré leur pire résultat de l’ère post-autoritaire. Cependant, les chiffres publiés avant les élections de 2009 par plusieurs des principaux instituts de sondage avaient prédit une baisse de leurs scores plus forte que ce qui s’était réellement produit. Le même scénario avait été observé en 2004 lorsque les partis islamiques avaient obtenu de bien meilleurs résultats que ce que les sondages ne prévoyaient.
Pour beaucoup d’observateurs et experts de la vie politique indonésienne, les sondages publiés en amont des élections de cette année avaient comme un sentiment de déjà vu. Presque tous les principaux instituts de sondage ont publié des chiffres suggérant que les partis islamiques allaient connaître une forte baisse du nombre de leurs électeurs. Par exemple, Indikator, institut jouissant d’une bonne réputation, avaient publié des chiffres, fondés sur des enquêtes menées du 18 au 24 mars 2014, qui prévoyaient des résultats moyens voire désastreux pour les quatre principaux partis islamiques.
Selon ces chiffres, le PKS aurait dû échouer à passer le seuil des 3,5 % des suffrages – un résultat catastrophique pour un parti qui, dans le Parlement sortant, se positionnait comme le premier parti islamique de la Chambre. Alors que de nombreux observateurs s’attendaient à ce que les électeurs les plus engagés se rendent en masse aux urnes pour assurer un maintien du PKS à Senayan, les répercussions d’un important scandale de corruption qui a fait chuter l’ancien président du parti Luthfi Hasan Ishaaq l’an dernier ont convaincu plusieurs observateurs électoraux qu’un violent retour de bâton était inéluctable.
Selon la plupart des sondages pré-électoraux, le seul parti islamique qui était pressenti pour améliorer significativement ses résultats par rapport à 2009 était le PKB, le parti affilié à la Nahdlatul Ulama, dirigé par l’astucieux politique Muhaimin Iskandar et financé par le directeur général, d’origine chinoise, de Lion Air.
Alors qu’il était attendu que le PPP reste stable dans ses résultats, l’apparition du président du parti, Suryadharma Ali, à un meeting du Gerindra aux côtés du candidat controversé à la présidentielle Prabowo Subianto a affaibli le parti en créant des luttes intestines avant la fin de la campagne électorale. Pendant ce temps, bien que le PAN ait mené une campagne apparemment bien organisée et appuyée par de solides financements, il y avait avant le jour de l’élection peu de signes indiquant qu’il obtiendrait un large soutien de ses électeurs affiliés à la Muhammadiyah.
Pourtant, les partis islamiques ont une nouvelle fois fait mentir les sondages indonésiens. Ainsi, le sondage d’Indikator paru dans les derniers jours de la campagne a sous-estimé les suffrages des principaux partis islamiques de plus d’un tiers en moyenne. De façon assez inattendue, les résultats des comptages rapides parus dans les heures qui ont suivi l’élection indiquaient que trois des ‘quatre grands’ avaient amélioré leur résultat national et que les quatre seraient largement en mesure de siéger au Parlement.
Prévisions des sondages vs. résultats du comptage rapide à l’issue du scrutin
Seul le PKS n’a pas réussi à améliorer son score de la dernière élection, même si étant donné les troubles qu’a connus le parti l’an dernier, une baisse de 7,9 % en 2009 à 6,9 % en 2014 représente en soi un succès en termes de limitation des dégâts. Ce parti, souvent décrit comme le plus établi en Indonésie, a réuni plus du double des suffrages annoncés par les sondages. Le PAN et le PPP ont significativement amélioré leurs résultats de 2009 tandis que le PKB a quasiment doublé son score national et est, comme l’avait prédit Greg Fealy, redevenu le premier parti islamique en Indonésie.
Si on comptabilise les 1,6 % gagnés par le PBB, les partis islamiques ont remporté près d’un tiers des suffrages à cette élection. Un tel score montre que ces partis ne sont pas prêts de disparaître de la vie politique.
Le tableau ci-dessous examine les parts des suffrages obtenus par les quatre principaux partis d’orientation islamique aux quatre élections qui ont suivi la période de l’Ordre Nouveau.
Comparaison des quatre principaux partis d’inspiration islamique, 1999-2014
Le député du PKS Hj. Ledia Hanifa Amaliah m’expliquait que, concernant les partis islamiques, les sondages prêtent souvent à confusion car les électeurs musulmans des zones urbaines sont souvent sous-représentés dans les échantillons. Cette explication est relativement crédible puisque ce groupe d’électeurs constitue généralement la base de l’électorat du PKS, même s’il demeure difficile à comprendre pourquoi les instituts de sondage peinent à intégrer cette donnée. Par ailleurs, les électeurs qui soutiennent les partis islamiques se déplacent aux urnes de façon plus constante. La part de la population qui s’abstient de voter (golongan putih ou golput) dépasse certainement celle identifiée dans les sondages.
La question de fond, cependant, est pourquoi ces quatre partis islamiques ont, contre toute attente, obtenu de si bons résultats en 2014. Plusieurs raisons de ce succès ont un lien avec le panel des partis en piste pour cette élection. Premièrement, l’introduction de critères plus stricts à remplir pour participer à l’élection a considérablement réduit le nombre de partis autorisés à se présenter : 12 sur les 38 qui étaient présents au vote de 2009. Les ‘quatre grands’ ont sans aucun doute récupéré des votes qui étaient allés à des micro-partis islamiques comme le PKNU (Parti du Réveil National des Spécialistes Religieux) et le PBR (Parti de l’Etoile et de la Réforme) en 2009, même si cela ne suffit pas à expliquer la progression de l’électorat des partis islamiques.
Une deuxième raison, plus convaincante, est à aller chercher dans l’effondrement du PD (Parti Démocrate) et la résurgence simultanée du PDIP (Parti démocratique indonésien de lutte). Il semble qu’en 2009, de nombreux électeurs musulmans aient été attirés par le parti de SBY (Susilo Bambang Yudhoyono) en raison de sa relative ouverture à l’islam politique. La position du PD sur le rôle de l’islam dans l’Etat indonésien est difficilement distinguable de celle du PAN et du PKB. Les partis nationalistes les plus récents tels que Gerindra (Mouvement de la Grande Indonésie), Hanura (Parti de la Conscience du Peuple) et Nasdem (Démocrates nationaux) ont visiblement échoué à puiser dans le vote islamique comme les « nationalistes-religieux » du PD ont pu le faire. Pendant ce temps, le PDIP a conservé un programme laïque-nationaliste cohérent dans son opposition aux réformes législatives d’inspiration religieuse et a donc constitué une alternative beaucoup moins attrayante pour les électeurs musulmans. Avec le déclin du PD en tant que parti électoral viable, il semblerait que de nombreux électeurs musulmans aient choisi de reporter leur vote sur les partis islamiques. Il sera intéressant d’évaluer dans les mois à venir dans quelle mesure les plus grands partis islamiques ont bénéficié de la déroute électorale du PD.
Selon Ledia Hanifa, les facteurs expliquant les bons résultats du PKS sont la solidarité des cadres du parti et la volonté de ses électeurs de se rendre aux urnes pour soutenir le parti. Ce haut niveau de solidarité interne au sein du PKS a sans doute réduit les risques de luttes intestines entre les candidats du parti, risque pourtant d’autant plus élevé que le nombre de sièges auxquels ils pouvaient prétendre est limité.
Il est également clair que les partis islamiques – particulièrement le PKS et le PAN – ont, durant la campagne électorale, fait correctement leur travail. Lorsqu’ils se sont rendus à Java Centre et Ouest les semaines qui ont précédé l’élection, il a semblé que les drapeaux, banderoles et affiches de ces partis ont été déployés en masse et de façon inégalée par les autres partis. Même s’il n’est pas certain qu’il y ait une corrélation significative entre ce type de publicité et les résultats dans les urnes, le fait que les produits de campagne du PKS et du PAN aient autant quadrillé l’espace, même dans les villages isolés, semble indiquer une présence bien organisée au niveau local. Cela était prévisible pour le PKS étant donné son solide réseau, mais les efforts du PAN sont peut-être encore plus notables. Si un tel modèle de forte activité locale a été reproduit dans tout l’archipel, alors cela peut expliquer la mobilisation efficace des électeurs de ces partis le jour du scrutin.
En réaffirmant ses attaches avec la NU (Nahdlatul Ulama), le PKB a une fois de plus pu compter sur le soutien public des dirigeants de cette organisation et bénéficier d’un accès aux réseaux influents des kyai et de leurs pesantren respectifs. Comme Muhaimin le faisait remarquer lors d’une interview télévisée le soir de l’élection, les « campagnes ouvertes » informelles conduites par Rhoma Irama, le roi du dangdut (genre de musique populaire indonésienne – NdT) et probable candidat du PKB à la présidentielle, mais aussi par la rock star Ahmad Dani ont joué un rôle important pour attirer les électeurs aux meetings du parti. Le PKS a aussi bénéficié du soutien de célébrités puisque le très populaire comédien sundanais Sule est apparu dans certaines publicités pour le parti.
Grâce au soutien de la veuve d’Abdurrahman Wahid, Sinta Nuriyah, le PPP a revendiqué le droit d’intégrer l’ancien président de la République et président de la NU dans certains supports de campagne. Le parti a aussi bénéficié du changement d’allégeance de plusieurs anciens partisans du PKS, déçus par le virage opportuniste de ce parti. Bien sûr, le statut privilégié dont jouissait le PPP sous l’Ordre Nouveau signifie que sa direction actuelle a hérité d’une infrastructure nationale bien en place et a su entretenir des relations de longue date avec certains électeurs.
Ce sont là de premières explications sûrement incomplètes de la bonne tenue des partis islamiques à l’élection de 2014, mais elles donnent des pistes pour comprendre comment le PAN, le PKB, le PKS et le PPP ont pu à ce point faire mentir les sondages. Ces partis vont demeurer de sérieux concurrents à l’échelle nationale dans les cinq années à venir et il semble que les deux derniers, au moins, trouveront une place dans la coalition gouvernementale qui devrait être établie par le PDIP. En effet, la colère des membres du PPP envers la décision unilatérale de Suryadharma Ali d’apporter son soutien au candidat Prabowo suggère que certaines composantes du parti aspirent à une place au gouvernement (savoir si le PDIP aura la volonté d’intégrer le PPP est une autre question, bien sûr).
Au final, ces résultats confirment que les partis islamiques d’Indonésie restent des entités politiques bien vivantes qui ne peuvent être prises à la légère – quelles que soient, semble-t-il, les prévisions des sondages et enquêtes. De différentes manières, le PKB, le PAN, le PKS et le PPP se sont remarquablement sortis de cette élection. Comment vont-ils utiliser leurs mandats électoraux pour faire valoir les intérêts de leurs fidèles électeurs ? Ce sera leur prochain challenge.