Eglises d'Asie

Violences en Papouasie occidentale : les Eglises chrétiennes en appellent à la communauté internationale

Publié le 02/07/2012




« La Papouasie est devenue une terre d’oppression, un lieu de traumatisme colllectif où règnent le deuil et le sang », a déclaré, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 27 juin à Djakarta, le Rév. Benny Giay, président du Synode des Eglises chrétiennes de Papouasie (Ketua Synode Kingmi di Tanah Papua) et leader charismatique de la Papuan Christian Church (Kingmi Church) …

 … Ajoutant que les Papous vivaient désormais dans une terreur permanente, il a appelé la communauté internationale à intervenir pour faire cesser la répression et stopper les violences qui enflent dans la région.

Depuis mai dernier, les incidents meurtriers se sont multipliés en Papouasie occidentale, province d’Indonésie (1) où les exactions des militaires envers les populations papoues sont régulièrement dénoncées par les ONG et les Eglises chrétiennes. Dans les deux provinces de Papouasie, qui comptent une majorité de chrétiens (essentiellement protestants), les Eglises chrétiennes sont très investies dans la défense des droits des autochtones et, pour cette raison, sont ouvertement soupçonnées par Djakarta de servir de paravent aux organisations séparatistes.

C’est la mort d’un petit garçon papou le 6 juin à Honelama, village de Wamena, qui a déclenché la série d’émeutes la plus importante jusqu’alors dans la région. Selon différentes sources difficiles à recouper en raison de l’interdiction faite aux journalistes étrangers de pénétrer en Papouasie, l’enfant âgé de 3 ans serait mort après avoir été renversé par deux militaires roulant à moto, lesquels auraient été pris à partie par la population, qui aurait tué l’un d’entre eux, laissant l’autre grièvement blessé. Le soir même, en représailles, des centaines de militaires du bataillon de Wamena auraient attaqué Honelama, mais aussi Wamena et les localités alentours, incendiant une centaine de maisons et tuant un nombre encore indéterminé de civils, dont plusieurs enfants. (Le Jakarta Post a avancé quelques jours plus tard le chiffre d’une douzaine de victimes, un bilan confirmé aujourd’hui par les ONG).

Après avoir nié l’attaque dans un premier temps, le porte-parole de l’armée pour la province a fini par reconnaître les faits le 12 juin dernier, tout en précisant que les militaires avaient seulement « ‘surréagi’ dans leur réponse aux actes criminels commis par certains éléments dans la région ». Après une déclaration presque similaire, le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono a qualifié d’ « actes isolés et peu inquiétants » les autres attaques venant d’être rapportées, comme les fusillades mortelles (au moins sept en quelques jours) pour la seule ville de Jayapura, capitale de la Papouasie occidentale.

Dès les premières émeutes, les Eglises ont activé leurs réseaux pour tenter d’enrayer la spirale de la violence. Le 10 juin, Mgr. Leo Laba Ladjar, évêque catholique de Jayapura, a accueilli dans son centre diocésain différents chefs religieux, dont le Rév. Albert Yoku, président du Synode des Eglises chrétiennes évangéliques en Papouasie (Gereja Kristen Indonesia, GKI), le Rév. Lipiyus Binilux, le Rév. Herman Saud ainsi que des responsables musulmans comme Abdul Dudung Koha, du Conseil des oulémas indonésiens (Majelis Ulama Indonesia, MUI) pour Jayapura. A l’issue de la réunion, les responsables religieux ont publié une déclaration commune condamnant les récentes violences et affirmant leur volonté commune d’œuvrer pour « une culture de paix, d’amour et de tolérance ».

Des représentants des Eglises chrétiennes papoues se sont parallèlement rendus à Djakarta pour demander au gouvernement de faire cesser les exactions des militaires en Papouasie. Parmi eux, le Rév. Socrates Yoman, président de l’Alliance des Eglises baptistes de Papouasie, l’une des plus importantes dénominations protestantes de la région, a fait le tour des différentes ambassades étrangères afin de les convaincre d’intervenir. « Seule une intervention internationale pourra mettre fin à la souffrance des Papous, déclarait-il le 12 juin dernier sur Radio Australia. Le statut d’autonomie spéciale (2) a échoué (…) et il ne reste qu’une voie possible, celle du dialogue, avec un médiateur neutre. » Pressant le gouvernement d’agir rapidement afin d’empêcher la radicalisation inévitable des jeunes papous  « si les violations des droits de l’homme se poursuivaient », le Rév. Socrates a appelé les Nations Unies à intervenir et à permettre l’auto-détermination des peuples autochtones de Papouasie.

Ces appels au dialogue ont toutefois été rapidement balayés par la nouvelle vague de violence, déclenchée par la mort, le 14 juin, de Mako Tabuni, leader indépendantiste et vice-président du Comité national de Papouasie Occidentale (KNPB), abattu par l’armée indonésienne à Waena. Selon le chef de la police de Papouasie occidentale, le leader mélanésien avait essayé de résister à son arrestation et était armé. Une version démentie par ses militants et les témoins qui affirment que « Tabuni a été abattu de loin, alors qu’il marchait dans la rue, par un tireur caché dans une voiture ». Sa mort était « une exécution » et, pour la justifier, « l’armée et la police ont affirmé qu’il était responsable des dernières fusillades, alors que nous savons tous qui en étaient les vrais auteurs », a déclaré le 15 juin dernier Marthen Goo, à la tête du National Papuan Solidarity.

L’annonce de la mort de Tabuni a immédiatement provoqué de nouvelles émeutes, notamment à Jayapura où une foule de Papous venus des montagnes auraient incendié des commerces et attaqué des colons provoquant, selon la police, la mort d’une personne et en blessant quatre autres. Lors de l’inhumation du militant deux jours plus tard, des centaines de personnes ont suivi le cercueil enveloppé du Morning Star, le drapeau interdit (3), et ce malgré l’important déploiement policier.

Dès le lundi suivant, 18 juin, on signalait de nouveau des affrontements meurtriers entre les populations papoues et les forces de l’ordre. Cette dernière vague de violence semble aujourd’hui se renforcer, alors que les délégations indonésiennes, les chefs religieux papous, et les représentants du Conseil et de l’Assemblée de Papouasie, multiplient les rencontres à Djakarta comme en Papouasie occidentale.

Mardi 26 juin, le secrétaire général du Conseil oecuménique des Eglises (World Council of Churches – WCC) (4), le Rév. Olav Fykse Tveit (4), venu en Indonésie rencontrer les principaux dirigeants des Eglises chrétiennes et réitérer le soutien de son organisation à « leur lutte pour les droits de l’homme auprès du peuple de Papouasie », a demandé « l’arrêt immédiat des violence et de l’impunité » et appelé, lui aussi, la communauté internationale à agir. Mais selon Richard Chauvel, spécialiste de la Papouasie et maître de conférence à l’Université Victoria à Melbourne, les espoirs d’une intervention internationale sont minces. « Ne nous voilons pas la face ; les dernières déclarations du président, qui a qualifié les fusillades, d”actes de peu d’importance, ne sont pas celle d’un homme politique prêt à accueillir une intrusion intrangère… »

Les troubles pourraient encore augmenter en intensité si l’on en croit la déclaration faite récemment par l’OPM (Organisation pour la Papouasie Libre), qui a mis au défi le gouvernement de l’empêcher de déployer le Morning Star le 1er juillet prochain afin de célébrer l’anniversaire de la création de sa branche armée, la TNP. Les indépendantistes ont averti qu’ils veilleraient à ce que le drapeau flotte jusqu’au 3 juillet et qu’il était « déconseillé à quiconque de sortir de chez lui » pendant cette période. La police a rétorqué que de son côté elle « mettrait tout en oeuvre » pour empêcher le déploiement du Mornig Star.