Eglises d'Asie

Naissance de l’Etat du Telangana, entre euphorie et inquiétude

Publié le 04/06/2014




Lundi 2 juin au soir, des milliers de personnes sont sorties dans les rues pour fêter la naissance officielle du 29e Etat de l’Inde, le Telangana, né de la division de l’Andhra Pradesh. L’événement clôture six décennies d’une longue campagne séparatiste. 

Le ministre-président du nouvel Etat, Kalvakuntla Chandrashekar Rao, est le principal artisan de la reconnaissance de l’autonomie de cette région du sud de l’Inde, pour laquelle il avait notamment entrepris une grève de la faim très médiatisée.

Dès l’annonce officielle de la création de l’Etat, la Conférence des évêques catholique de l’Andhra Pradesh (APBC) a assuré le Telangana du « soutien de l’Eglise catholique et de la communauté chrétienne pour l’aider à un développement équitable, efficace et durable ». L’APBC reste pour le moment l’instance dirigeante de l’Eglise catholique pour les deux Etats.

« Bienvenue au Telangana, notre 29e Etat », a ‘tweeté’ de son côté le tout nouveau Premier ministre de l’Inde, Narendra Modi. « Le Telangana, qui vient de naître après des années de luttes et de sacrifices de nombreuses personnes (1), va contribuer à renforcer notre effort de développement pour ces prochaines années. »

Comme son adversaire du Parti du Congrès, Rahul Gandhi, le candidat BJP avait fait de la création du Telangana un argument de sa campagne électorale, promettant d’aider au développement de cette région de l’Andhra Pradesh qui ne parvenait pas à sortir du marasme économique. Les Gandhi avaient également de bonnes raisons de souhaiter la création du Telangana, qui leur aurait permis de retrouver des voix dans le sud de l’Inde, l’Andhra Pradesh offrant traditionnellement au Congrès son plus grand nombre de sièges au Parlement. Mais après avoir donné son accord à la partition, le Congrès a subi, lors des élections d’avril dernier, l’une des plus cuisantes défaites de son histoire – y compris dans l’Andhra Pradesh –, provoquant même au sein de son propre parti la démission de nombreux députés opposés à la création du Telangana.

Car l’accouchement de ce nouvel Etat de l’Union indienne s’est fait dans la douleur. En début d’année, le ministre-président de l’Andhra Pradesh démissionnait en protestation contre la scission de l’Etat, tandis que le projet provoquait au Parlement des échauffourées mémorables, où l’on avait vu des députés se battre, dégrader le matériel et même attaquer leurs collègues au gaz lacrymogène.

Quant aux nouveaux citoyens du Telangana, si la majorité d’entre eux se réjouissent de voir s’achever près de 60 années de combat politique, bon nombre d’habitants craignent que la scission de l’Andhra Pradesh, loin de stimuler le développement du Telangana, n’ait pour effet que l’appauvrissement des deux Etats. « En morcelant l’Andhra Pradesh, le gouvernement nous affaiblit, l’impact sera immédiat pour notre économie, notre société et notre culture », analyse Venkat, étudiant en géographie à Hyderabad.

Les enjeux de cette partition sont en effet considérables. L’Andhra Pradesh, l’un des plus vastes Etats de l’Inde, s’étend sur plus de 275 068 km² et abrite 87 millions d’habitants. Le Telangana comptera 35 millions de personnes, parmi les plus défavorisées du pays, issues essentiellement des basses castes et des « tribals » (aborigènes). La région, située dans la partie nord-ouest de l’Etat, est affectée par des sécheresses fréquentes et passe pour être l’un des territoires les moins avancés, en termes de développement humain comme économique.

Depuis les années 1950, les Télougous – ethnie majoritaire de l’Andhra Pradesh, vivant dans le nord-ouest de l’Etat – reprochent aux habitants de la région côtière, nettement plus florissante, de détourner à leur profit l’exploitation de leurs ressources naturelles, sans se préoccuper de leur développement. Une grande partie de la richesse de l’Etat est par ailleurs concentrée dans la capitale Hyderabad, où sont installées les principales sociétés industrielles et les grands groupes de haute technologie.

C’est justement autour de la question d’Hyderabad que les débats s’enveniment. La mégapole, qui compte sept millions d’habitants, est aujourd’hui le deuxième centre indien des nouvelles technologies après Bangalore et son revenu par habitant est deux fois plus élevé que celui des zones rurales.

Durant les dix prochaines années, Hyderabad sera la capitale commune des deux Etats. Une situation transitoire – déjà source de multiples complications –, qui aboutira à en faire la capitale du Telangana au centre duquel la ville est géographiquement située. Une perte qui est considérée comme une véritable catastrophe économique, financière et humaine pour l’Andhra Pradesh.

Des protestations parmi les aborigènes eux-mêmes ont également entaché les festivités en l’honneur de la naissance du nouvel Etat le 2 juin. Leur opposition à la partition est liée au projet de construction d’un gigantesque barrage dans le district de Khammam. L’Indira Sagar Project (Polavaram) projette d’établir un complexe hydro-électrique sur le fleuve Godavari afin « d’irriguer les terres cultivables des deux Etats, de fournir de l’eau potable à plus de 500 villages et de produire 960 mégawatts d’électricité ».

Elaboré il y a des décennies afin de pallier la sécheresse endémique dans la région, le projet a été stoppé à de nombreuses reprises, face à l’opposition des populations aborigènes – en particulier les Koya et les Konda Reddy – qui dénoncent une construction qui déplacera plus de 200 000 d’entre eux et engloutira 300 villages.

Dans le but de favoriser la partition de l’Andhra Pradesh, le gouvernement central avait donné cette année son accord définitif à l’Indira Sagar Project, s’engageant à financer les travaux à hauteur de 90 %. Durant la campagne électorale, le Parti du Congrès comme le BJP avaient assuré qu’ils maintiendraient le projet, afin de « renforcer le développement économique » du futur Telangana.

Mais aujourd’hui, les « tribals » de la région, dont la survie dépend de la forêt qui sera inondée par le barrage, protestent contre un projet qui, disent-ils, loin de les sortir de la précarité économique, les privera de leur gagne-pain, de leur mode de vie traditionnel, et les conduira à l’exil. Ils dénoncent également, aux côtés des militants écologistes, une dégradation irréversible de l’environnement, sacrifié au profit des grandes firmes.

« La construction de ce barrage mettra en danger les populations tribales et anéantira sur une grande échelle les ressources naturelles de toute la région », affirme Medha Patkar, militante écologiste reconnue qui a déjà mené des campagnes de protestation similaires dans le Gujarat.

N’ayant reçu du gouvernement que la proposition d’une faible indemnisation financière en échange de la saisie de leurs terres, les villageois s’apprêtent à être expulsés sous peu. Avec la scission de l’Etat, il a même été prévu que quelque 300 villages voués à être submergés seraient reconstruits hors du Telangana, en Andhra Pradesh. « Comment voulez-vous que nous célébrions le nouvel Etat, explique Junja Samata, chef du village de Nallavaram, si nous sommes obligés de quitter nos terres ancestrales et d’être déplacés en Andhra Pradesh ?»

(eda/msb)