Eglises d'Asie

Validation par la Cour suprême de la loi sur « la santé reproductive » : un jugement gagnant-gagnant ?

Publié le 09/04/2014




Mardi 8 avril, lorsque Theodore Te, porte-parole de la Cour suprême des Philippines, a annoncé que les juges suprêmes avaient estimé que la RH Bill n’était « pas contraire à la Constitution », les acclamations ont été nourries. Réunis devant la maison de Baguio qui abritait les juges suprêmes …

… pour leur session d’été, les partisans de cette loi sur « la santé reproductive » (Reproductive Health) ont bruyamment manifesté leur joie, tandis que, quelques heures plus tard à Manille, les opposants à cette loi, au premier rang desquels figurent les responsables de l’Eglise catholique, ont, eux aussi, fait connaître leur satisfaction, affirmant avoir remporté « une victoire ».

C’est peu de dire que la décision de la Cour suprême était attendue aux Philippines. Elle vient mettre un terme à une séquence politique qui a débuté il y a seize ans, en 1998, par l’introduction devant le Congrès d’un projet de loi visant à mettre en place un financement public obligatoire des moyens de contraception, à introduire l’éducation sexuelle dans les écoles ainsi qu’à autoriser l’avortement, par ailleurs interdit par la Constitution. Présenté sous le nom de Reproductive Health Bill, le projet a soulevé d’intenses débats dans le pays, l’Eglise catholique s’y opposant farouchement et trouvant pour ce faire des soutiens dans divers milieux de la société civile. Après de nombreuses péripéties et transformations – dont l’abandon de l’autorisation de l’avortement –, le projet est revenu en 2011 devant le Congrès sous le nom de Responsible Parenthood, Reproductive Health and Population Development Act, le président Aquino en faisant l’un des projets phares de sa présidence.

Votée en décembre 2012 et immédiatement promulguée par Benigno Aquino, la loi allait cependant être l’objet d’un dernier coup de théâtre lorsque, le 19 mars 2013, la Cour suprême en suspendait l’entrée en vigueur, initialement fixée par le gouvernement au 31 mars 2013, dimanche de Pâques, choix qui avait alors choqué les opposants au texte dans ce pays très majoritairement catholique. Saisie par la Pro-Life Philippines Foundation Inc. et d’autres groupes catholiques pour des recours en inconstitutionnalité, la Cour suprême avait 120 jours pour se prononcer sur la conformité ou non du texte à la Loi fondamentale du pays. Il aura finalement fallu un peu plus d’un an aux juges pour se déterminer.

Les quinze juges de la Cour ont validé le texte, « à huit points près », a déclaré Theodore Te. Huit points qui se trouvent aux sections 7, 17 et 23 de la loi, relatives respectivement à « l’accès au planning familial », aux « services gratuits pour les indigentes » et aux « actes interdits ».

Sous pression des organisations internationales pour contenir l’essor démographique de sa population, le président Aquino n’a pas fait de déclaration pour saluer la décision des juges. Lors du point presse quotidien de la présidence, sa porte-parole adjointe Abigail Valte s’est contenté de dire que la loi avait été signée par le président le 28 décembre 2012 et que le ministère de la Santé attendait depuis ce jour de pouvoir la mettre en œuvre.

Du côté des responsables de l’Eglise catholique, la validation de la loi n’a pas été accueillie comme une défaite, au contraire. « Bien que la Cour suprême a statué sur la constitutionnalité de la loi sur la santé reproductive, elle en a considérablement réduit la portée, notamment en reconnaissant l’importance d’adhérer à une conscience religieuse informée, y compris pour les fonctionnaires. Elle a aussi défendu le droit des parents à décider de l’éducation dispensée à leurs enfants », a déclaré par voie de communiqué Mgr Socrates Villegas, président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines.

De fait, sans entrer dans le détail des passages de la loi retoqués par les juges, la Cour suprême a fait droit à la plus grande partie des objections formulées par l’Eglise. En reconnaissant « le droit à l’objection de conscience » aux personnes physiques comme aux personnes morales (un hôpital catholique, même financé sur fonds publics, sera ainsi en mesure de refuser de distribuer automatiquement et gratuitement des moyens artificiels de contraception), les juges ont notamment préservé un aspect essentiel de l’autonomie de la personne face à l’Etat telle qu’elle est défendue par l’Eglise. Le P. Melvin Castro, secrétaire exécutif de la Commission épiscopale pour la Famille et la Vie, a ainsi salué « une victoire partielle mais majeure » des opposants à la RH Bill.

Mgr Villegas a conclu son communiqué en affirmant que l’Eglise « continuera à enseigner ce qui est juste et moral » et qu’elle poursuivra sa mission « même en présence de telles lois injustes ». Il a terminé par ses mots : « Allons de l’avant en passant d’un groupe-réactionnaire-contre-la-loi-RH pour devenir des disciples de l’Evangile de la vie et de l’amour vraiment emplis de l’Esprit. Nous avons un message positif à proclamer. »

De fait, si certains secteurs de l’Eglise catholique et certains évêques affichent toujours une posture de combat face à cette loi, l’attitude du président de la Conférence épiscopale et l’absence de tout triomphalisme de la part de la présidence de la République laissent penser que le jugement de la Cour suprême est un « gagnant-gagnant » pour les deux parties. C’est l’analyse qu’en fait Joe Torres, correspondant de l’agence catholique Ucanews à Manille. Selon lui, les personnes bien informées aux Philippines font état de « consultations » qui auraient eu lieu entre la présidence et l’épiscopat avant l’annonce de ce 8 avril afin de dégager les contours d’un jugement acceptable par tous.

Le journaliste en veut pour preuve que, quelques jours avant ce 8 avril, avait été annoncée la présence du président Aquino aux cérémonies de réouverture de la cathédrale de Manille. Fermée durant deux années complètes pour d’importants travaux de rénovation, l’édifice a rouvert au culte aujourd’hui, 9 avril, en présence des plus hautes autorités de l’Eglise et de l’Etat. « Imaginez que la Cour ait décidé de valider la loi en l’état. Aquino aurait-il eu le cran de faire face à une assemblée catholique hostile et de se tenir aux côtés des évêques, certains d’entre eux l’ayant menacé d’excommunication ? », écrit le journaliste. La « solution » retenue par les juges permet au contraire de sauver la face du gouvernement et des parlementaires qui ont défendu la loi comme un moyen de juguler une croissance démographique jugée intenable ; par ailleurs, les concessions faites à l’Eglise et aux opposants à la loi empêchent les catholiques d’entrer en « révolte ouverte » contre le gouvernement. Joe Torres rappelle que la polarisation des esprits était allée très loin, l’ancien sénateur Francisco Tatad, adversaire résolu de la RH Bill, n’ayant pas écarté le recours « à la désobéissance civile, voire à la révolte » en cas de maintien du texte.

Forte de cette semi-victoire, l’Eglise catholique aux Philippines ne renonce pas à prendre position dans le débat public, s’affirmant sans relâche comme la conscience de la nation. En Une de l’édition datée du 31 mars – 13 avril 2014 du CBCP Monitor, le bimensuel de la Conférence épiscopale, un large titre barre la page : « La pauvreté atteint des sommets en dépit de la croissance du PIB, s’alarme [le cardinal] Tagle ». Il est heureux que les Philippines connaissent le taux le plus élevé de croissance économique parmi les pays du Sud-Est asiatique, y explique l’archevêque de Manille, qui ajoute : « Nous saluons la performance du gouvernement et du secteur des affaires, mais nous nous alarmons du fait que le taux de pauvreté ne recule pas. On ne peut que se poser la question : où la croissance va-t-elle ? Comment se fait-il que la croissance accélère mais que les gens ordinaires restent pauvres ? » Quelques mois plus tôt, la Conférence épiscopale avait, elle aussi, en des termes rarement utilisés par elle, mis en cause les considérables inégalités qui caractérisent la société philippine : « La croissance pour elle-même, plus de produits, plus d’argent, ne doit pas être l’unique objectif du développement ; il faut rechercher l’équité. »

(eda/ra)