Eglises d'Asie

L’opposition des leaders religieux au projet de « Réaménagement des quatre fleuves » monte d’un cran avec le vote du budget 2011

Publié le 11/01/2011




Le projet de « Réaménagement des quatre fleuves », qui soulève depuis son lancement en 2009 une forte polémique dans le pays, déclenche une nouvelle vague de protestations parmi les responsables religieux et provoque des divisions au sein de l’Eglise catholique.Momentanément écartée des projecteurs par la crise avec la Corée du Nord et le sommet du G20 à Séoul, la contestation de l’ambitieux et coûteux projet du président Lee Myung-bak est à nouveau …

… sur le devant de la scène politique et sociale. Après avoir en octobre dernier demandé au président coréen de renoncer à son projet ou de démissionner, les représentants des quatre religions principales de la Corée – bouddhisme, catholicisme, protestantisme et bouddhisme won – ne décolèrent pas depuis le vote du budget de l’Etat en décembre dernier.

Ce lundi 10 janvier, comme il l’avait annoncé, l’ordre Jogye, la plus importante organisation bouddhiste du pays, a rassemblé sur la place Cheonggye, à Seoul, plus de 200 moines et laïcs bouddhistes qui ont effectué, trois heures durant, 1 080 prosternations rituelles ininterrompues. « Nous protestons ainsi contre le gouvernement [actuel] qui persécute le bouddhisme, explique Kim Young-il, membre du département de la coordination de l’ordre Jogye. Dans le bouddhisme, les 1 080 prosternations sont une pratique courante pour la prière et l’entraînement spirituel (…). Elles signifient la repentance des 10 fautes du bouddhisme, chaque faute étant expiée par 108 prosternations » (1).

Le ressentiment des bouddhistes, qui reprochaient déjà à Lee Myung-bak, un protestant méthodiste, de favoriser ouvertement depuis son élection en 2008 le protestantisme aux dépens du bouddhisme de Corée, est monté d’un cran avec le vote houleux du budget à l’Assemblée le 8 décembre 2010. L’annonce de la part du budget accordée au plan de réaménagement des quatre fleuves a donné lieu à de véritables empoignades entre les députés : accusant les parlementaires de la majorité d’être des « toutous » au service du gouvernement, les députés de l’opposition ont dénoncé les coupes sombres pratiquées dans les dépenses généralement allouées au secteur social et au soutien des institutions religieuses.

Parmi ces dernières, le projet templestay (2) de l’ordre Jogye, qui représente une source de financement importante pour les quelque 3 000 temples bouddhistes du pays qui lui sont affiliés, a été réduit de 7 milliards de wons (4,8 millions d’euros).

Le 4 janvier dernier, l’ordre Jogye envoyait un message aux temples bouddhiques leur enjoignant de « refuser catégoriquement toute présence ou participation » aux cérémonies bouddhistes des membres du gouvernement ou du parti au pouvoir (Grand National Party, GNP). La menace a été mise à exécution le 5 janvier où aucun membre du gouvernement n’a été admis à assister aux cérémonies du Nouvel An et de nouvelles manifestations de protestations sont prévues dans les temples du pays le mardi 11 janvier.

70 % de la population sud-coréenne serait opposée aux travaux entrepris par le gouvernement de Lee Myung Bak, pour « réhabiliter » les quatre principaux fleuves de Corée du Sud (le Han, le Nakdong, le Geum (Kum) et le Yeongsan (Yongsam)), dont le coût est estimé à 22 trillion de wons (13 milliards d’euros). Les détracteurs du projet, écologistes et organisations religieuses en tête, dénoncent l’impact destructeur des travaux sur la faune et de la flore des fleuves et accusent le président de favoriser les intérêts financiers des entreprises chargées du réaménagement des cours d’eau. De son côté, le gouvernement affirme que le dragage et l’aménagement du lit des fleuves ainsi que l’installation de barrages (avec centrales hydroélectriques) n’ont pour but que de dépolluer les rivières, assurer une meilleure distribution de l’eau et gérer le débit des fleuves.

Dès les prémices du projet, l’Eglise catholique de Corée du Sud, très engagée dans le combat social, les droits de l’homme et la défense de l’environnement, avait lancé de nombreuses actions, rejoignant les quelque 400 associations écologistes opposées au programme gouvernemental. Elle avait ensuite rapidement rallié les principales religions à sa cause, unissant pour la première fois dans l’histoire du pays, catholiques, protestants, bouddhistes (avec l’ordre Jogye), adeptes du bouddhisme-won, dans un combat commun, et avait multiplié les célébrations interreligieuses et les manifestations.

Malgré le fait que cette importante mobilisation, le soutien des plus importantes religions de Corée du Sud et même des actes tragiques comme l’immolation d’un moine par le feu (3), n’ait pas réussi à stopper l’exécution des travaux, l’Eglise était restée unie dans une même opposition au projet gouvernemental, des prêtres et des évêques se relayant chaque jour depuis février 2010, pour célébrer une messe en plein air à Paldang, face à un des fleuves menacés.

Dans ce contexte, la conférence de presse du 13 décembre dernier a provoqué des remous dans les milieux catholiques. Vingt-quatre prêtres, membres ou sympathisants de l’Association des prêtres catholiques pour la justice (4), y ont demandé publiquement au cardinal Nicholas Cheong Jin-suk, 79 ans, de se démettre de sa charge d’archevêque de Séoul au motif qu’il aurait rompu le principe de collégialité épiscopale et créé « la confusion dans la société et la division dans l’Eglise ». La faute reprochée au prélat était une déclaration sur le projet de réaménagement des quatre fleuves : Mgr Cheong avait émis des critiques et déclaré que seuls des scientifiques « et non des religieux » étaient habilités à juger de la validité du projet gouvernemental. A l’appui de leurs propos, les vingt-quatre prêtres ont cité une déclaration de Mgr Kang U-il, président de la Conférence des évêques de Corée, datant du mois de mars 2010 par laquelle l’épiscopat sud-coréen disait sa « préoccupation » face aux atteintes à l’environnement induites par le projet de réaménagement des quatre fleuves.

Bien que le chargé de relations publiques de l’archidiocèse de Séoul, le P. Matthias Heo Yeong-yeop, ait déclaré que la remarque du cardinal Cheong ne signifiait pas qu’il était en faveur du projet, l’affaire s’est aggravée avec l’intervention d’un ancien ambassadeur, catholique, de la Corée du Sud près le Saint-Siège. « Ce qui est important dans l’Eglise catholique, c’est la collégialité (…) et le cardinal Cheong l’a rompue, a déclaré Bosco Seong Youm, lors d’une interview le 14 décembre sur la chaîne de radio protestante CBS. Il s’agit d’un projet anti-environnemental qui met en danger la nature et l’opinion de l’Eglise sur ce sujet ne variera pas » (5).