Eglises d'Asie – Népal
Le Premier ministre indien acclamé comme « le héraut de l’hindouisme »
Publié le 07/08/2014
cette visite, – la première d’un chef d’Etat indien au Népal depuis 17 ans – , s’affichait d’ores et déjà comme particulièrement délicate, aussi bien pour le Népal qui vit depuis des siècles sous l’hégémonie de son trop puissant voisin, que pour l’Inde qui joue actuellement un jeu serré avec la Chine, laquelle tente elle aussi d’entrer dans les bonnes grâces de Katmandou.
Très courtisé pour les richesses énergétiques de son territoire ( essentiellement hydrauliques) sur lesquelles lorgnent les deux grandes puissances, et menacé par sa trop grande fragilité d’Etat-tampon en pleine faillite économique, le Népal attendait beaucoup de cette visite de Narendra Modi, tout en ne cachant pas ses appréhensions.
Lors de l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir en mai dernier, le gouvernement népalais avait même dû rassurer la population du pays en assurant que « [malgré la victoire de Modi] , les hindous n’avaient aucune raison d’être surexcités, tout comme les minorités religieuses n’avaient aucune raison d’être effrayées, le Népal restant un pays laïc où toutes les religions avaient les mêmes droits ». Un vent de panique avait en effet soufflé sur les communautés minoritaires népalaises, lesquelles voyaient avec crainte les nationalistes hindous dont l’influence est grandissante aujourd’hui dans le pays, se réjouir de la victoire du Bharatiya Janata Party (BJP), parti hindouiste de Narendra Modi.
La visite du Premier ministre indien avait été préparée en amont par son ministre des Affaires étrangères qui avait relancé fin juillet les réunions de la Commission conjointe Népal-Inde, interrompues depuis 23 ans. Ce dernier avait également mis en place avec son homologue népalais, les bases d’une réévaluation des accords entre les deux pays, dont le fameux « Traité de la paix et de l’amitié » signé en 1950.
Conclu entre les dirigeants du Congrès népalais et indiens alors au pouvoir, le Traité impose à Katmandou de l’informer de toute intervention ou différend pouvant remettre en cause leur « amitié », et donne à l’Inde un droit de regard sur la politique étrangère et la défense du pays himalayen. Toujours en vigueur, ce traité, régulièrement dénoncé régulièrement par les autorités népalaises, continue d’entretenir depuis des décennies le sentiment anti-indien.
Conscient de l’agacement provoqué au Népal par les « ingérences indiennes », Narendra Modi a voulu dès son arrivée, montrer la bonne volonté de son gouvernement, en promettant sa totale « neutralité » dans l’actuel travail d’élaboration de la Constitution népalaise. Dimanche 3 août, le Premier ministre indien s’adressant à la Constituante népalaise, s’est ainsi engagé à ce que l’Inde « n’interfère en aucune manière dans le processus [de rédaction de la Constitution], et soutienne le choix du peuple népalais quel qu’il soit ».
Une déclaration qui a semblé satisfaire aussi bien le Premier ministre Sushil Koirala, que les principales factions politiques (dont celle menée par Baburam Bhattarai, ancien premier ministre népalais et leader de l’ Unified Communist Party of Nepal (Maoist)), ou même encore les leaders des partis pro-hindous et monarchistes que Narendra Modi a rencontrés lundi dernier. « J’ai rappelé au Premier ministre indien que les notions de fédéralisme,de laïcité et de démocratie n’étaient pour le moment que de simples termes abstraits, le peuple népalais n’ayant pas encore pris sa décision et la Constitution n’ayant pas encore été écrite » (1) , a déclaré à The Hindu, Kamal Thapa, président du Rashtriya Prajatantra Party – Népal (RPP -N), parti en faveur de la restauration d’une royauté et d’une nation hindoues. Narendra Modi, confie-t-il encore, a réitéré auprès de lui sa promesse de ne pas intervenir dans les affaires du Népal.
Si cette assurance de « neutralité bienveillante » en a rassuré certains, elle en a inquiété d’autres. Le RPPN, réputé proche de Narendra Modi, a aujourd’hui un nombre de sièges conséquent à la Constituante et se montre certain d’y faire admettre ses prises de positions. La volonté du parti de faire disparaître de la Constitution la mention de la laïcité de l’Etat – et donc la liberté religieuse – , inquiètent fortement les minorités chrétiennes et musulmanes du pays. Ces dernières ont d’ailleurs constaté depuis l’avènement de Narendra Modi, une augmentation de l’extrémisme hindou et des attaques envers les communautés minoritaires.
Toujours dans le cadre de sa politique de soutien à la religion hindoue, Narendra Modi s’est rendu lundi 4 août au temple hindu de Pashupatinath, où il a effectué la Rudrabhishekh puja (dédiée à Shiva) et le rituel d’offrande Panchamrit (2). « J’ai dit au Premier ministre indien que nous le voyions comme le héraut de l’hindouisme et que nous lui étions reconnaissants de ses efforts pour sauver la culture hindoue », a rapporté à The Hindu, le chef des prêtre du temple, Mool Ganesh Bhatta (3). Le leader BJP a par ailleurs laissé une offrande très conséquente à la « Bénarès du Népal » : 2 500 tonnes de bois de santal ainsi que 250 millions de roupies (soit un peu plus de 3 millions d’euros) pour l’entretien et la restauration du temple. Un geste qui semble souligner le fait qu’au-delà des nouveaux partenariats économiques, l’Inde tient à maintenir son hégémonie, tout au moins dans le domaine spirituel et idéologique. Elle joue d’ailleurs depuis des siècles un rôle important au sein de Pashupatinath, y compris dans l’organisation du temple lui-même et de la nomination de ses prêtres, les Bhattas, formés en Inde du sud.
Mais malgré la proximité affichée par Narendra Modi avec les leaders des partis hindou et monarchistes, le Premier ministre a cependant refusé de rencontrer l’ancien roi déchu, Gyanendra Shah. En effet, s’il soutient clairement les hindouistes népalais dans leur démarche de restauration d’une nation hindoue, Narendra Modi entretient (comme ses prédécesseurs du Congrès), la plus grande méfiance envers le dernier roi du Népal, considéré comme un pion indésirable dans le jeu très serré qu’il joue actuellement avec la Chine.
L’Inde, qui a toujours par le passé soutenu la monarchie népalaise en place, y compris lors les difficultés rencontrées par le précédent monarque Birendra Shah, a changé brutalement d’attitude lors du putsch manqué du dernier roi Gyanendra en 2005. Celui-ci avait alors demandé des armes à la Chine, qui les lui avait fournies, craignant une déstabilisation de sa zone frontière par une prise de pouvoir des rebelles qu’elle voyait d’un oeil défavorable malgré leur référence au maoïsme.
Le roi déchu paye aujourd’hui cette “trahison” impardonnable, qui a depuis orienté le pays vers une alliance de plus en plus étroite avec Pékin. Cette dernière, exploitée par les maoïstes dès leur arrivée à l’assemblée en 2008, s’est renforcée au fil des partenariats commerciaux, en particulier dans le domaine de l’hydroélectricité, des infrastructures routière et aéroportuaires. La construction d’une immense voie ferrée qui reliera Pékin à Lhassa puis au Népal vient d’être lancée, ce qui pourrait également rompre bientôt le monopole détenu par New Delhi.
Décidé à faire le poids face à la Chine, Narendra Modi n’a donc pas hésité à s’engager concrètement et à signer des accords énergétiques entre les deux pays dont il a rappelé à plusieurs reprise « les liens culturels et religieux les unissant ». Le Premier ministre a notamment affirmé qu’il lancerait en priorité le chantier d’un vaste réseau routier et d’un barrage qui pourrait quintupler le potentiel en hydroélectricité du Népal. Narendra Modi a annoncé également devant le Parlement népalais qu’il était prêt à fournir un milliard de dollars pour développer les infrastructures du pays.
Outre la mise en place de ces projets de coopération et le développement entre les deux Etats, Narendra Modia tenu également à s’assurer du soutien du Népal dans le domaine international, notamment pour appuyer la candidature de l’Inde au conseil de sécurité de l’ONU.
« J’espère que ma visite ouvrira un nouveau chapitre dans les relations indo-népalaises qui sera caractérisé par un engagement politique plus fréquent et une coopération rapprochée (…), et qui servira de modèle et de catalyseur pour un partenariat en Asie du Sud fondé sur la prospérité », a conclu le dirigeant indien avant de quitter Katmandou.
(eda/msb)