Eglises d'Asie

Les « femmes de réconfort » invitées à la messe pour la réconciliation que célèbrera le pape François le 18 août

Publié le 01/07/2014




Une porte-parole du comité d’organisation du voyage du pape François en Corée a annoncé aujourd’hui que les « femmes de réconfort », euphémisme japonais désignant les femmes contraintes à se prostituer dans les bordels militaires de l’armée impériale japonaise au cours de la seconde guerre mondiale, ont été invitées à la messe que le pape célèbrera le 18 août prochain …

… en la cathédrale Myeongdong de Séoul, messe célébrée « pour la paix et la réconciliation ».

Selon le programme annoncé à la presse, la messe, qui clôture le voyage de quatre jours que le pape effectuera en Corée du Sud à l’occasion des VIèmes Journées asiatiques de la jeunesse, sera tout entière dédiée au thème de la paix et de la réconciliation. A l’évidence, elle sera l’occasion pour le pape de rappeler le drame que constitue la permanence de la division de la péninsule coréenne, mais elle sera aussi l’occasion d’appeler à une réconciliation des mémoires pour un passé dont les cicatrices sont loin d’être refermées.

Selon la dépêche AFP qui rapporte la nouvelle, l’invitation faite aux « femmes de réconfort » d’assister à la messe papale a été communiquée aux intéressées peu après l’annonce publique du déplacement du pape François en Corée, soit en mars dernier. Le comité d’organisation du voyage a précisé qu’il était prévu que le pape adresse un message aux « femmes de réconfort » mais qu’il restait encore à décider si le souverain pontife les rencontrerait ou non pour une entrevue en direct.

L’annonce du comité d’organisation intervient à un moment où les relations entre Séoul et Tokyo sont à nouveau tendues du fait de déclarations liées aux « femmes de réconfort ». La semaine dernière, le gouvernement coréen a fait part de son « profond regret » pour une déclaration officielle japonaise paraissant remettre partiellement en cause la déclaration dite de Kono. L’ambassadeur du Japon à Séoul a été convoqué au ministère des Affaires étrangères coréen et Séoul a annoncé la publication, d’ici à juillet 2015, d’un Livre blanc destiné à « clarifier la question de l’esclavage sexuel de femmes coréennes (…) dans le but de protester contre la révision par le Japon de ses excuses sur de telles atrocités ».

Les « femmes de réconfort » sont ces femmes, dont le nombre est estimé à quelque 200 000, qui ont servi d’esclaves sexuels dans les bordels militaires de l’armée japonaise stationnée en Asie avant et durant la seconde guerre mondiale. Principalement coréennes, elles étaient également chinoises, philippines, indonésiennes, vietnamiennes, birmanes ou néerlandaises. Près de soixante-dix ans après la fin de la guerre, l’association qui fédère les survivantes sud-coréennes n’en dénombre plus que 54 ; elles étaient 237 en 1992 lorsque la déclaration Kono fut préparée.

Formulée en 1993, la déclaration de Kono Yohei, à l’époque porte-parole du gouvernement japonais, reconnaissait l’implication des autorités militaires dans l’organisation de cette prostitution de masse et exprimait « des remords à toutes les femmes qui subirent des souffrances physiques et mentales irréparables ». Elle devait être suivie d’excuses formulées officiellement par le Japon et de réparations pour les victimes survivantes, qui ne vinrent cependant ni l’une ni l’autre, Tokyo se contentant de soutenir une initiative privée, le Fonds pour les femmes d’Asie, qui a versé des dédommagements entre 1995 et 2007.

Au Japon, l’opinion publique reste majoritairement acquise à l’affirmation selon laquelle le gouvernement militaire impérial de l’époque s’est rendu coupable de la mise en place et de la gestion de ces bordels militaires, mais une fraction de la droite, dont l’actuel Premier ministre Abe Shinzo, conteste le bien-fondé de la déclaration Kono. Déjà en 2006-2007, lors de son premier passage à la tête du gouvernement, Abe Shinzo avait évoqué l’absence de « preuve tangible » de coercition de l’armée pour les « femmes de réconfort », sous-entendant que celles-ci étaient des prostituées professionnelles. Depuis son retour aux affaires, en décembre 2012, Abe Shinzo est revenu sur le sujet, son porte-parole estimant qu’il était « souhaitable que des experts et des historiens » l’étudient. L’actuel regain de tension entre les deux pays a été provoqué par des propos de responsables japonais laissant entendre que la déclaration Kono avait été co-rédigée par les gouvernements coréen et japonais, propos qui ont remis de l’huile sur un feu jamais complètement éteint et que ravivent les visées révisionnistes de la droite japonaise actuellement au pouvoir.

Au fil des décennies passées, si les relations économiques entre la Corée du Sud et le Japon n’ont pas cessé de se développer, la mémoire du conflit né de la colonisation japonaise de la péninsule coréenne et de la seconde guerre mondiale n’a jamais été véritablement apurée. Parmi les relativement rares initiatives visant à cicatriser ce passé, on peut noter celle de l’Eglise catholique : tous les ans, depuis 1995, les épiscopats des Eglises du Japon et de Corée du Sud se rencontrent pour approfondir leurs liens et partager leurs expériences. Les rencontres sont organisées alternativement dans l’un ou l’autre pays et la dix-neuvième du genre s’est tenue en novembre dernier à Kanazawa, dans le diocèse de Nagoya, au Japon ; 19 évêques sud-coréens et 17 évêques japonais ont médité l’encyclique Pacem in terris (‘Paix sur la terre’) de Jean XXIII, texte publié cinquante ans plus tôt (1).

(eda/ra)