Eglises d'Asie – Inde
L’archevêque catholique de Delhi et des évêques chrétiens arrêtés par la police lors d’une manifestation en faveur des droits des dalits
Publié le 11/12/2013
… détenus plusieurs heures au poste de police de Parliament Street, les évêques ont vigoureusement protesté contre le traitement qui leur a été réservé.
Mgr Anil Couto, archevêque de Delhi, participait à une marche réunissant plusieurs milliers de dalits chrétiens et musulmans. Rassemblés à Jantar Mantar, un lieu traditionnellement utilisé dans la capitale indienne pour les grands rassemblements et manifestations, les manifestants demandaient l’abolition des dispositions constitutionnelles qui excluent les chrétiens et les musulmans des mesures de discrimination positive mises en place pour favoriser l’ascension sociale des basses castes et des dalits, les ex-intouchables ou hors castes (1). Lorsque les manifestants se sont dirigés vers le Parlement, la police est intervenue avec force, faisant usage de canons à eau et de cannes en rotin pour les disperser. Les évêques et les religieux, qui étaient aisément identifiables par les soutanes qu’ils portaient, ont été interpellés par la police, avant d’être relâchés quelques heures plus tard.
Lors de son interpellation, Mgr Couto a protesté en ces termes : « La loi [excluant les dalits chrétiens et musulmans de l’accès aux mesures de discrimination positive] est en elle-même inconstitutionnelle mais, gouvernement après gouvernement, [les dirigeants du pays] font mine de ne pas entendre la demande des chrétiens. Désormais, ils vont jusqu’à ne plus hésiter à s’en prendre à nos prêtres et à nos religieuses et ils nous arrêtent nous aussi. »
Outre Mgr Couto figuraient parmi les évêques arrêtés les évêques protestants Alwan Masih, de la CNI (Church of North India, anglican), Roger Gaikwad, presbytérien du Mizoram, et Vijayesh Lal, responsable de l’Evangelical Fellowship of India. Le catholique John Dayal, secrétaire général du Conseil chrétien pan indien, faisait aussi parti du lot. Les organisateurs de la manifestation ont décidé de porter plainte contre la police pour « usage abusif de la force publique ».
La manifestation de ce 11 décembre était co-organisée par la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI), le Conseil national des Eglises (chrétiennes) en Inde (NCCI), qui rassemble des Eglises orthodoxes et protestantes, et le Conseil national des dalits chrétiens (NCDC). Elle s’inscrit dans une revendication ancienne des Eglises chrétiennes ainsi que des musulmans indiens, et intervient alors que l’absence continue de réaction des autorités indiennes face aux demandes des dalits chrétiens et musulmans suscite chez ces derniers un mécontentement grandissant.
Les évêques et les manifestants demandaient à être reçus par le gouvernement et le Parlement pour exposer, une fois encore, leur revendication. Celle-ci porte sur l’égalité de traitement pour tous les dalits et autres personnes classées dans la catégorie des Scheduled Castes (2), quelle que soit leur appartenance religieuse.
Bien que la Constitution indienne promulguée en 1950 a interdit toute discrimination fondée sur la caste, le sexe, le lieu de naissance ou la religion, et qu’elle a aboli l’intouchabilité (le système des castes n’a en fait pas été officiellement supprimé mais seulement considéré comme ‘non-existant’), les dalits en Inde se heurtent toujours à une tradition tenace et à l’opposition farouche des tenants de l’hindutva, l’idéologie des nationalistes hindous. Pour ce qui concerne ceux des dalits qui ne sont pas de religion hindoue, une disposition spéciale, le « Presidential Order of 1950 », les a exclus de la politique de discrimination positive des Scheduled Castes (SC) par l’article 3 de la Constitution, au motif que le système des castes n’existait pas dans leurs religions respectives.
Soulignant le caractère anticonstitutionnel et contradictoire d’une loi autorisant l’exclusion d’une catégorie des dalits en fonction de leur religion tout en interdisant toute discrimination religieuse, les défenseurs de la cause des ex-intouchables n’ont eu de cesse d’obtenir la réintégration des dalits chrétiens et musulmans dans le système des Scheduled Castes. Depuis la reconnaissance du statut de SC aux bouddhistes en 1956 puis, plus récemment, aux sikhs en 1990, aucune raison objective ne s’oppose à l’intégration de l’ensemble des dalits, affirment-ils encore, et ce d’autant plus que ni le bouddhisme ni le sikhisme ne reconnaissent le système des castes.
Depuis des années, les responsables chrétiens multiplient les démarches pour voir remise en cause l’exclusion des chrétiens et des musulmans du système de discrimination positive. L’enjeu, pour les chrétiens, est de taille. On estime en effet à environ 70 % la proportion des dalits parmi les quelque 25 millions de chrétiens en Inde, un chiffre sous-évalué au regard du nombre de chrétiens dalits qui se déclarent officiellement hindous, craignant d’être persécutés ou de ne pas accéder au statut de Scheduled Castes (SC).
En 2010, une perspective s’est ouverte avec la publication de deux rapports. A la demande de la Cour suprême, la Commission nationale pour les minorités religieuses et linguistiques et la Commission nationale pour les Scheduled Castes ont en effet soumis au Parlement fédéral deux rapports demandant l’élargissement des mesures de discrimination positive aux dalits chrétiens et musulmans. C’était une première, mais les conclusions de ces rapports sont restées lettre morte.
Rares sont les responsables politiques à soutenir la revendication des dalits chrétiens et musulmans. Le Premier ministre de l’Etat du Tamil Nadu, Jayalalitha, le fait, estimant que « la question ne peut tolérer de nouveaux retards » et qu’elle doit « être portée devant le Parlement ». Mais ce sont principalement les responsables religieux qui élèvent la voix. En juillet 2011, alors qu’une grève de la faim avait été commencée par des dalits chrétiens et musulmans, Mgr Vincent Concessao, archevêque de Delhi – et prédécesseur de Mgr Couto – n’avait pas hésité à fustiger l’United Progressive Alliance (UPA), la coalition gouvernementale menée par le Parti du Congrès, l’accusant d’être l’obstacle principal à la finalisation du processus d’abolition définitive du système discriminatoire des castes. « Nous avons réalisé, déclarait-il aux jeûneurs, que seul le Parti du Congrès était responsable de ce blocage. Et l’Histoire a largement démontré que tous ceux qui refusaient de rendre justice, creusaient leur propre tombe. (…) Notre démarche est non violente, mais nous nous battrons jusqu’à ce que nous obtenions justice. »
(eda/ra)