Eglises d'Asie

Lancement d’une campagne pour le boycott des safaris humains aux îles Andaman

Publié le 10/06/2013




A l’appel de Survival International, des milliers de personnes ont décidé de boycotter le tourisme aux îles Andaman pour mettre fin aux « safaris humains » chez les Jarawas. L’ONG dénonce le fait que des « tours opérateurs » illégaux poursuivent leur activité et mettent en danger la survie du peuple indigène, pourtant protégé aujourd’hui des contacts extérieurs par la loi indienne. 

« Aux yeux des touristes, les îles Andaman s’assimilent de plus en plus aux safaris humains (…), ternissant la réputation de l’archipel », a déclaré le 29 mai dernier Stephen Corry, directeur de Survival International, avouant que la situation avait empiré malgré les mesures prises il y a un an par le gouvernement indien. « Tout cela ne prendra jamais fin tant que les touristes continueront à emprunter la route. Nous maintiendrons donc le boycott jusqu’à la fermeture définitive  de celle-ci. »

L’organisation de défense des droits des peuples indigènes a appelé les agences de voyage et les touristes à s’abstenir de se rendre dans l’archipel (quelque 200 000 visiteurs/an), jusqu’à ce que la route qui traverse la jungle où vivent les Jarawas (1), aborigènes des îles Andaman-et-Nicobar (2), soit fermée et remplacée par une route maritime alternative.

L’appel de l’ONG a été relayé par de nombreux médias indiens, The Hindu, The Telegraph ou encore The Deccan Herald, mais aussi des quotidiens internationaux comme l’International Business Times ou The Observer, le premier à révéler le scandale des safaris humains en 2012.

Les Eglises chrétiennes en Inde, très engagées dans la lutte pour les droits des aborigènes, ont également largement participé à la campagne de boycott par l’intermédiaire de leurs propres médias comme The Christian Today, The Indian Catholic ou de sites tels que catholic.org.

L’agence de voyages Travelpickr (basée au Canada et en Inde) a été l’une des premières à réagir. « Nous avons été horrifiés d’apprendre l’existence de ces safaris humains chez les Jarawas et nous avons décidé de retirer de notre catalogue plus de quarante circuits dans les îles Andaman », a déclaré René Trescases, directeur de la société, ajoutant espérer « que le gouvernement local prenne rapidement des mesures pour faire cesser cette pratique scandaleuse ». Quant au tour-opérateur espagnol Orixa Viatges, il vient de retirer à son tour les îles Andaman de ses destinations touristiques. « Nous ne pouvons comprendre ce genre de tourisme et nous pensons que les peuples et les cultures doivent être traités avec respect et ne pas être exploités par des gens sans scrupule qui tirent profit des safaris humains », a expliqué son porte-parole à la presse.

Les Jarawas, qui comptaient près de 8 000 individus à l’époque britannique, sont estimés aujourd’hui à moins de 400 personnes. Décimés par des maladies contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés (3), les aborigènes sont également devenus dépendants du tabac, de l’alcool et de l’aide alimentaire fournie par les colons et la police en échange de « prestations » pour les touristes. Dans les années 1990, Survival International avait empêché par une pétition internationale le gouvernement indien de sédentariser de force les Jarawas, arguant des précédents désastreux sur les autres peuples autochtones de la région (3). Par la suite, un jugement de la Cour suprême avait en 2002 demandé au gouvernement local de réduire au minimum les interventions extérieures et surtout de fermer la route qui traversait la réserve, l’Andaman Trunk Road (ATR).

Mais plus de dix ans après ces mesures de protection, la route, loin d’être fermée, avait été agrandie et des centaines de touristes indiens et du monde entier continuaient de l’emprunter quotidiennement pour observer les Jarawas, avec la complicité des autorités locales.

L’ampleur du désastre a été révélée en janvier 2012 par un reportage du média britannique The Observer, et la diffusion parallèle sur Internet d’une vidéo montrant de jeunes femmes jarawas semi-nues, dansant en échange de nourriture sous l’injonction d’un policier appartenant à l’unité de protection affectée à la tribu. Un scandale qui avait révélé la banalité du trafic auquel se livraient la police et les « prestataires » locaux, emmenant les touristes dans la jungle à la rencontre des indigènes.

En prenant une tournure internationale, l’affaire conduisait en juin 2012 les Nations Unies à exprimer leur extrême préoccupation au gouvernement indien et à l’exhorter à fermer rapidement la route traversant la réserve des Jarawas. En mai 2012 était voté un amendement à la loi de protection des tribus aborigènes, renforçant les sanctions encourues en cas d’infraction (4), puis en janvier 2013, après un long combat juridique, une décision de la Cour suprême indienne imposait la fermeture temporaire de l’ATR. Durant sept semaines, le trafic avait été diminué des deux-tiers sur la route, avant que les autorités andamanes ne modifient la loi relative à la « zone tampon » afin de permettre à nouveau le passage des touristes et la reprise du trafic.

« Les autorités andamanes prétendent que cette route est nécessaire pour accéder au nord de l’île, s’indigne Stephen Corry. C’est totalement faux : elle est en réalité très peu empruntée par les habitants et le trajet en bateau est beaucoup plus rapide, plus pratique et moins cher que la route. » Le directeur de Survival International ajoute en outre que l’administration des îles Andaman n’a « toujours pas commencé à mettre en place de route maritime alternative », comme elle s’y était engagé.

De son côté, le gouvernement local rétorque qu’il « n’est pas très logique de bloquer la circulation de 400 000 personnes (…) sur un axe vital menant à la capitale Port-Blair, pour préserver 300 individus à un stade de développement primitif » et que l’action de l’ONG de défense des droits des autochtones n’existe que « pour donner bonne conscience à des Occidentaux voulant imposer leur totalitarisme ».

En ce début juin 2013, si la campagne de boycott de Survival International, relayée par une forte couverture médiatique, commence à porter ses fruits auprès des agences touristiques, sur la plupart des sites et blogs de voyage s’échangent encore peu d’avertissements au sujet des « safaris humains » aux îles Andaman. Les habitués évoquent davantage les longues heures d’attente au poste de police pour emprunter l’ATR derrière « les jeeps, les bus, les camions et les véhicules hétéroclites des convois » ainsi que la meilleure façon d’obtenir rapidement son permis pour pénétrer dans la « zone protégée » et  « aller voir les Jarawas »