Eglises d'Asie

Le Forum des évêques et des oulémas soutient l’accord-cadre pour la paix à Mindanao

Publié le 10/12/2013




En dépit du fait d’avoir été tenu à l’écart des négociations qui ont abouti dimanche 8 décembre, à Kuala Lumpur, à la signature d’un nouveau volet de l’accord-cadre sur la paix à Mindanao, le Forum des évêques et des oulémas a fait part de sa détermination à poursuivre ses actions en faveur de la paix dans le Sud philippin. Ses responsables ont affirmé …

… également soutenir les démarches visant à conclure cet accord-cadre.

Fondé dans les années 1990, le Forum des oulémas et des évêques, qui rassemble des responsables religieux catholiques, protestants et musulmans de Mindanao, venait de tenir son assemblée annuelle. Organisée fin novembre, elle avait réuni 22 responsables religieux issus de ces trois religions et les débats avaient notamment concerné la crise dont la ville de Zamboanga avait été le théâtre, en septembre dernier. L’évêque émérite de Davao, Mgr Fernando Capalla, en qualité de représentant des évêques catholiques, l’évêque anglican Danilo Bustamante et le professeur Salipada Tamano, responsable de la Ligue des oulémas, avaient signé, à l’issue de leur rencontre, une déclaration conjointe intitulée : « Dialogue et espérance : la clef de la paix » (1).

Fort de cet engagement en faveur de la paix, les évêques et les oulémas ont mal compris le fait d’être tenu à l’écart des négociations menées à Kuala Lumpur. L’un de ceux-ci, l’ustadz (2) Mahmod Mala Adilao, a souligné, le 26 novembre auprès du média en ligne MindaNews, que le Forum des évêques et des oulémas, du temps de la présidente Gloria Macapagal-Arroyo, assistait les négociateurs en tant que conseil. L’Administration du président Aquino préfère ignorer le fait que le Forum a toujours accompagné au fil des années les négociations de paix, mais cet « oubli » « ne signifie pas que nous n’apporterons pas notre aide [à la réalisation] de l’accord-cadre », a ajouté le responsable musulman.

Signé en octobre 2012 entre Manille et le MILF, l’accord-cadre sur la paix à Mindanao est défendu avec vigueur par le président Aquino, qui ne fait pas mystère de vouloir parvenir à régler le conflit du Sud philippin avant la fin de son mandat présidentiel, en 2016. Sur les quatre accords d’étape qui devront être signés avant le vote par le Parlement philippin d’une « Loi fondamentale pour le Bangsamoro » (‘la terre des Moros’), c’est la troisième étape qui vient d’être signée à Kuala Lumpur ce 8 décembre. Particulièrement délicate, cette négociation a concerné le partage du pouvoir et des compétences entre Manille et la future région autonome moro. Elle fait suite aux deux premières étapes relatives aux modalités de la transition institutionnelle et au partage des ressources fiscales, et devrait précéder un futur accord sur le désarmement des combattants du MILF. Le tout devant être approuvé par voie de référendum par la population de la région autonome musulmane moro – ce qui, mettent en avant les observateurs, est loin d’être acquis.

Si le négociateur en chef du MILF, Mohagher Iqbal, s’est montré résolument optimiste dimanche dernier à Kuala Lumpur, affirmant que le Congrès philippin serait amené à se prononcer sur la loi fondamentale dès le mois d’avril 2014, divers observateurs locaux se montrent plus prudents. Dans le Manila Times du 9 décembre, l’universitaire Rommel Banlaoi, directeur de l’Institut philippin de recherche sur la paix et la violence terroriste, a ainsi déclaré : « Construire la paix est une chose, mettre fin aux guerres intestines en est une autre. »

Selon l’universitaire, le gouvernement philippin et le MILF peuvent bien mettre fin à leurs affrontements armés, cela ne ramènera pas la paix des armes à Mindanao. « Le grand défi qui se pose au gouvernement central tout comme au futur gouvernement du Bangsamoro est de gérer avec efficacité tous les groupes armés qui pullulent dans cette région et qui de facto ont la capacité de saper la paix retrouvée », explique-t-il, rappelant que Mindanao est connue pour abriter tout un ensemble de rebelles, qu’ils soient communistes, sécessionnistes, simples activistes, bandits, hors-la-loi ou membres de ces armées privées contrôlées par quelques familles ou clans.

« Le siège qu’a connu [en septembre dernier] la ville de Zamboanga indique bien que la signature d’un accord de paix avec un groupe armé ne constitue pas une garantie sur la fin des violences armées à Mindanao », ajoute Rommel Banlaoi, avant de détailler la liste des groupes qui peuvent faire dérailler le processus de paix : le MNLF, qui justement a mené le siège de Zamboanga parce que son chef, Nur Misuari, s’estimait marginalisé par les négociations entre Manille et le MILF, mais aussi le BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), le groupuscule Abu Sayyaf et ses accointances avec la Jemaah Islamiya indonésienne, ou encore le récemment apparu KIM (Khilafa Islamiya Movement). Sans oublier deux groupes repérés depuis peu par les services de renseignement de l’armée gouvernementale, l’Anak Ti Ilo et l’YJG (Young Jihadist Group), formés d’orphelins et de proches de rebelles tués par les militaires. Pour conclure, le professeur rappelle que « le plus grand défi pour la paix à Mindanao sera de venir à bout des oligarques, incontrôlables et patrons de véritables armées privées que l’on trouve impliquées dans presque tous les types de violences » recensées dans le Sud philippin.

Confirmant la réputation de cette région, l’assassinat de deux journalistes ces derniers jours est venu rappeler que les parties en présence n’hésitent pas à recourir à la violence armée dès lors qu’il y va de leurs intérêts. Le 29 novembre, à Valencia, au cœur de Mindanao, Joas Dignos, responsable d’une radio locale, a été abattu et le 6 décembre, Michael Milo, directeur des programmes de la radio locale DXFM, était assassiné à son tour à Tandag City, au nord-est de Mindanao. Ils ont rejoint la liste des dix journalistes tués depuis le 1er janvier 2013 aux Philippines, faisant de ce pays l’un des plus dangereux pour l’exercice de cette profession.

(eda/ra)