Eglises d'Asie

Un projet de loi anti-conversion inquiète les chrétiens du royaume himalayen

Publié le 25/08/2010




Fin juillet, le gouvernement du Bhoutan a soumis au Parlement un projet de loi visant à interdire toute « utilisation de la contrainte ou d’une quelconque forme de séduction » dans le but de faire changer de religion un citoyen bhoutanais. Ce projet qui vise ouvertement la communauté chrétienne, laquelle n’est pas officiellement reconnue par le royaume bouddhiste, punirait d’un à trois ans de prison les contrevenants. Selon Kuensel, …

… l’organe de presse du gouvernement, la proposition de loi s’appuie sur l’article 463 du code pénal bhoutanais qui déclare « coupable de prosélytisme [toute personne] ayant usé de coercition ou de tout autre moyen, afin de convertir un individu d’adhérer à une autre foi ou croyance que la sienne » (1). Le président du Conseil législatif, Kuenlay Tshering, a déclaré espérer que cette loi soit votée lors de la prochaine session d’hiver.

C’est la définition floue du délit de conversion « illégale » qui inquiète le plus la petite communauté chrétienne de l’Etat himalayen, déjà en butte à de nombreuses et croissantes discriminations. Les autorités arrêtent les chrétiens sur la base de simples allégations et de dénonciations sans preuves, rapporte un pasteur qui a désiré conserver l’anonymat. « Dans la pratique, il y a toujours eu une loi anti-conversion, mais maintenant elle sera officiellement mise noir sur blanc. Cela nous paraît clairement une tentative pour freiner la croissance de l’Eglise au Bhoutan », s’inquiète un autre responsable chrétien, qui réside à Timphu, la capitale. Les chrétiens craignent une augmentation des violences à leur égard ainsi que l’impossibilité pour eux de poursuivre leur aide aux plus démunis, qui risquerait d’être interprétée comme une tentative de corruption.

 

La liberté religieuse est cependant inscrite dans la nouvelle constitution de l’Etat, promulguée en 2008 (article 7). Mais sont toujours interdits au Bhoutan, le prosélytisme, l’entrée de missionnaires ou de religieux, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes, ainsi que la pratique du culte en dehors de la sphère privée (2). Pour tenter d’expliquer ce paradoxe, le quotidien national Bhutan Observer rapporte les propos du ministre de l’intérieur bhoutanais, Lyonpo Minjur Dorji : « Il n’y a absolument aucun problème si vous naissez chrétiens… La constitution vous protège. Mais il est tout à fait illégal de chercher à convertir […]. Si nous avons des preuves de prosélytisme dans notre pays, nous nous devons de prendre des mesures immédiates » (3).

 

Au Bhoutan, seul pays où le bouddhisme sous sa forme tantrique Vajrayana, (lamaïsme) est religion d’Etat, vie sociale, politique et religieuse sont intimement liées. Lyonpo Minjur Dorji, ministre de l’Intérieur, est également ministre de la culture, une fonction qui comprend implicitement « les cultes », et son bureau se trouve au monastère de Thimphu, le Tashichho Dzong. Si le temps où la religion chrétienne était totalement bannie du territoire est aujourd’hui révolu, le christianisme est toujours considéré comme une menace pour la « cohésion nationale » et reste soumis à une politique protectionniste sévère (4), qui s’est accentuée avec l’accession au trône en 2008 de Jigme Khesar Namgyel. Pour le jeune souverain d’une trentaine d’années, il convient plus que jamais de contrer les « influences néfastes » de l’Occident et de la modernité dont le christianisme apparaît comme l’un des éléments les plus dangereux. Un point de vue partagé par l’ensemble de la population qui montre une hostilité de plus en plus marquée envers les chrétiens. Les profanations de sépultures chrétiennes (la loi bhoutanaise ne prévoyant pas la possibilité pour les chrétiens d’inhumer leurs morts dans des cimetières, ceux-ci sont enterrés généralement dans la forêt) se sont multipliées ces derniers mois, parallèlement à l’augmentation du trafic de crânes et d’os provenant de tombes de chrétiens et utilisés pour certains rituels bouddhistes tantriques (5).

Aujourd’hui, selon les statistiques officielles, plus de 75 % des 680 000 bhoutanais sont bouddhistes, répartis principalement dans les régions de l’ouest et de l’est, 22 % sont hindous – la plupart d’origine népalaise – et occupent la partie méridionale du pays, les chrétiens se partageant avec le reste de la population un pourcentage non déterminé. Les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant « souterraines », il n’existe pas de statistiques précises les concernant. Selon des sources ecclésiastiques, essentiellement protestantes, les chrétiens seraient entre 3 000 et 6 000, toutes confessions confondues, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. La Bible a été traduite récemment en dzongkha, la langue nationale, attestant ainsi le développement d’une église indigène.

Le Global Council of Indian Christians (GCIC), une ONG qui milite contre les violences contre les chrétiens et qui craint une reproduction « bhoutanaise » des lois anti-conversions indiennes et des persécutions qui les ont accompagnées, a appelé en juillet dernier le dalaï lama à prendre position contre ce projet de loi qui ne « respecte pas la voie de la tolérance enseignée par le Bouddha » (6).