Eglises d'Asie

Création d’un mouvement de jeunes étudiants chrétiens à Timphu

Publié le 15/10/2013




Ils sont chrétiens mais ne le clament pas sur les toits. Pourtant la création d’une branche du Student Christian Mouvement (SCM), ce réseau d’étudiants chrétiens d’obédience protestante, qui essaime aujourd’hui largement en Asie, est une grande première dans le royaume où le bouddhisme vajrayana est religion d’Etat. 

Si la liberté de religion est bien inscrite dans la Constitution bhoutanaise promulguée en 2008, les chrétiens sont en réalité l’objet d’une forte stigmatisation, considérés par la population comme « l’avant-garde de l’Occident » et donc une menace certaine pour « l’identité nationale bhoutanaise », qui ne fait qu’un avec le bouddhisme.

Le prosélytisme, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes sont prohibés. L’entrée des missionnaires sur le territoire est interdite et le culte chrétien doit être pratiqué au sein de la sphère privée. Les chrétiens n’ont pas le droit d’avoir des cimetières pour inhumer leurs morts, ce qui conduit à des troubles interreligieux récurrents.

Depuis 2011, une loi anti-conversion, visant tout particulièrement la communauté chrétienne, punit de trois ans de prison ferme toute « tentative de conversion par la force ou par quelque autre moyen que ce soit ». Les dénonciations et les plaintes contre les chrétiens se sont multipliées ainsi que les profanations de sépultures. La méfiance envers la communauté chrétienne est également entretenue par la conviction, largement diffusée par les organismes d’Etat et les médias locaux, de la pratique de conversions forcées.

Les quelques rares ONG, protestantes pour la plupart (telle Open Doors), qui œuvrent discrètement au Bhoutan, rapportent les persécutions incessantes que subissent les nouveaux convertis et le quotidien caché des Eglises souterraines.

Le lancement cet été à Timphu, capitale du pays, par le SCMI (Student Christian Mouvement of India) d’une antenne bhoutanaise du mouvement, est devenu effectif ce mois-ci, avec la mise en place de différentes activités par la quinzaine de jeunes qui le constituent.

La création du Bhutan Student Movement ( le terme « chrétien » a été omis pour rester dans le cadre de la loi qui interdit tout prosélytisme) a été officialisée lors d’un séminaire de formation aux droits de l’homme organisé à Thimphu par le SCMI, sur le thème « Connais tes droits – Sois responsable ». Cette session, une grande première également, faisait suite au rassemblement de la South Asia School of Human Rights (SASHR) qui s’était tenu en Inde quelques jours auparavant.

Pendant cinq jours, les jeunes étudiants chrétiens ont suivis des cours intensifs entrecoupés de temps de prière, encadrés par des intervenants indiens et bhoutanais, sous l’égide de la Karibu Foundation, une association protestante norvégienne très investie dans le développement des SCM.

Le séminaire a débuté par une célébration religieuse préparée par les jeunes du futur Bhutan Student Movement (BSM), avant de se poursuivre par des sessions comprenant études de la Bible et cours sur les droits de l’homme, ainsi que la projection d’un film sur le combat mené par les « tribals » (aborigènes) en Inde pour la reconnaissance de leurs droits. Les cours et les ateliers étaient dispensés par des missionnaires en poste dans des régions proches du Bhoutan (comme le Rév. Chimi Dorji, pasteur dans le Nord-Est de l’Inde) ou des laïcs engagés dans la défense des droits de l’homme.

Dorji Wangdi, responsable de la protection de l’enfance pour l’UNICEF au Bhoutan, a dirigé les ateliers sur les différences hommes/femmes, tandis que Sangeeta Pradhan, de la très réputée Ugyen Academy à Punaka au nord du pays, a donné des conférences sur la place de la femme dans la Bible et dans la société d’aujourd’hui. Sonam Rinzin, ingénieur au sein de la Royal Insurance Corporation of Bhutan, qui était également présent à la session de la SASHR en Inde, a fait un tour d’horizon des différences d’application des droits de l’homme selon les pays.

Le séminaire s’est achevé par une déclaration commune du groupe sur son engagement à promouvoir les droits de l’homme et la tolérance religieuse, un texte qui est actuellement en train d’être traduit en dzongkha, le dialecte local.

Sur leur page Facebook, créée lors du séminaire marquant la naissance de leur mouvement, les membres du tout nouveau Bhutan Student Movement (BSM) affichent leurs convictions, n’hésitant pas à déclarer : « Notre mission est de partager notre foi et notre espérance avec tous, pour la vérité, rien que la Vérité. » En bandeau, une dizaine de jeunes posent dans les montagnes en brandissant fièrement la banderole du BSM.

Les jeunes administrateurs de la page du BSM ne cachent pas non plus leur foi chrétienne et partagent sur leur réseau, des prières, des photos pieuses, de la musique pop et des images glanées sur le net, très inspirées de l’univers moderne et un peu kitsch de la jeunesse sud-coréenne.

Le 13 octobre, toujours sur Facebook, mais de façon plus discrète cette fois, ils ont relayé la campagne internationale contre les violences envers les femmes et les enfants lancée par la fédération-mère des CSM, la World Student Christian Federation Asia Pacific.

Selon les statistiques officielles (recensement de 2005), 75 % des 700 000 Bhoutanais sont bouddhistes, 22 % hindous – la plupart d’origine népalaise –, le reste de la population se partageant entre chrétiens et autres confessions. Des sources locales, essentiellement protestantes, annoncent un nombre de chrétiens oscillant entre 3 000 et 15 000, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. Des chiffres difficiles à vérifier, les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant essentiellement « souterraines » et non déclarées.

(eda/msb)