Eglises d'Asie – Indonésie
Aceh : dans une province où la charia est appliquée, les autorités ont fermé trois églises chrétiennes
Publié le 09/05/2012
Dans la province d’Aceh, à la pointe nord-ouest de Sumatra, les trois lieux de culte fermés se situent dans la pointe sud-ouest de la province, non loin de la frontière administrative séparant Nanggroe Aceh Darussalam, le nom complet de la province d’Aceh, et la province de Sumatra-Nord. Ils se trouvent tous trois dans le district de Singkil, à savoir la chapelle catholique de Napagaluh, l’église paroissiale catholique Saint-Paul de Lae Balno, et le temple protestant de Pakpak Dairi. Selon les médias locaux, les autorités du district de Singkil ont expliqué que les trois lieux de culte étaient dépourvus de permis de construire en bonne et due forme.
Officiellement, la raison invoquée pour la fermeture des lieux de culte est un manquement aux obligations créées par le décret de 2006. Reprenant un décret de 1969, ce décret de 2006 est extrêmement contraignant pour toute communauté religieuse désirant construire ou agrandir un lieu de culte. Il suppose notamment que la communauté en question doit compter un minimum de 90 fidèles et, pour obtenir un permis de construire, doit avoir l’accord d’au moins 60 personnes habitant le voisinage du futur lieu de culte et n’appartenant pas à la religion à laquelle sera rattaché le lieu de culte envisagé. Concrètement, une communauté religieuse minoritaire rencontre les plus grandes difficultés à obtenir de la communauté religieuse majoritaire un tel accord. Dans un pays comme l’Indonésie, où les musulmans représentent 85 % de la population et les chrétiens 10 % de la population, les communautés chrétiennes se voient très souvent dans l’incapacité d’édifier les bâtiments nécessaires à l’exercice du culte. Dans la province d’Aceh, musulmane à 99 %, où l’islam se pratique sous une forme rigoriste, les quelques centaines de chrétiens, catholiques et protestants confondus, qui y vivent sont dans une situation délicate.
Les trois lieux de culte visés par l’ordre de fermeture étaient cependant implantés de longue date. Dans le district de Singkil, proche du Sumatra-Nord, province où les catholiques comptent pour 8,5 % de la population, la chapelle de Napagaluh avait été construite en 1974 et, selon des sources ecclésiastiques locales, les services religieux qui y étaient menés chaque semaine se déroulaient sans difficulté ni tension avec le voisinage.
Le 1er mai, lorsque des représentants des autorités, accompagnés de membres des forces de l’ordre, sont venus signifier la fermeture des lieux de culte, des militants du Front des défenseurs de l’islam étaient présents. Leur présence laisse à penser que les militants islamistes ne sont pas étrangers à la décision des autorités provinciales. Selon l’agence AsiaNews, le Singkil Muslim Forum dénonçait depuis quelque temps la « prolifération » d’églises chrétiennes dans la région, allant jusqu’à dénombrer 27 « lieux de prière » chrétiens, alors même qu’un accord conclu entre musulmans et chrétiens en 2001 aurait dû limiter la présence chrétienne dans le district à une église et quatre lieux de prière.
Du côté du diocèse catholique de Sibolga, dont le territoire comprend la province d’Aceh, on se refuse à tout commentaire sur la fermeture des églises. Il est simplement souligné que cette affaire n’a pas de causes sociales ou religieuses, mais politiques. Le contexte dans lequel se déroulent ces fermetures est très particulier, indique-t-on. Lors des élections qui viennent d’avoir lieu à Aceh en avril, les Acehnais ont élu au poste de gouverneur et vice-gouverneur une nouvelle équipe. Avec 55 % des voix, Zaini Abdullah et Muzakir Manaf l’ont clairement emporté sur l’équipe sortante, au pouvoir depuis 2007, qui n’a réuni que 29 % des suffrages. La campagne électorale a toutefois été marquée par des violences, des menaces et des coups de feu.
La province d’Aceh a été le théâtre jusqu’en 2005 d’une guérilla meurtrière opposant le GAM, mouvement sécessionniste, et l’armée indonésienne. En 2004, les côtes d’Aceh ont été ravagées par le tsunami de 2004, catastrophe qui a été suivie d’un afflux soudain d’ONG nationales et internationales de toutes sortes. Depuis, les institutions de la province ne sont pas encore pleinement stabilisées. Par ailleurs, du fait du statut d’autonomie particulier mis en place pour Aceh en 1999 et 2001, la charia est appliquée dans la province, la question de son application aux seuls musulmans ou à tous les habitants d’Aceh restant en suspens.
Dans ce contexte, la victoire de Zaini Abdullah aux élections d’avril dernier signifie peut-être une extension du domaine de la charia. Ancien ministre des Affaires étrangères du GAM, un temps exilé en Suède, Zaini Abdullah a fait campagne sur la réconciliation entre Acehnais et pour le développement économique d’Aceh, une des provinces les plus pauvres du pays. Mais il a aussi porté l’accent sur l’application de la charia à l’ensemble de la population de la province.
Interviewé au lendemain de sa victoire électorale par le Jakarta Post (2), il tenait les propos suivants en réponse à une question sur l’application de la charia à Aceh : « Je n’ai jamais manqué une prière, même quand je vivais à l’étranger. Pour les Acehnais, la religion est comme le lait qui vous a nourri depuis votre plus tendre enfance. Aucun Acehnais ne brisera jamais les liens qui l’unissent à la religion musulmane. Mais, selon moi, la religion et la charia ne sont pas une menace. Ce qui est important est de ramener la province à la gloire du temps passé, à l’époque du [sultan] Iskandar Muda [1583-1636]. A cette époque, toutes les affaires étaient fondées sur le Coran et les hadith [propos et enseignements que la tradition attribue à Mahomet]. C’est comme cela que le royaume est devenu prospère. Iskandar Muda avait noué des relations de qualité avec toutes sortes de gens, à Aceh comme à l’étranger, qu’ils soient musulmans ou non-musulmans. Et c’est exactement ce que je compte reproduire. Je souhaite appliquer entièrement la charia, pas uniquement de manière partielle, comme cela a été le cas jusqu’à aujourd’hui. Cela ne peut se faire qu’en usant de prévention et d’action. Je veux que tous les jeunes Acehnais puissent bénéficier du meilleur enseignement religieux qui soit afin qu’ils deviennent de bons musulmans. »