Eglises d'Asie

L’Eglise demande des comptes au gouvernement pour les assassinats de leaders paysans

Publié le 19/05/2014




L’Eglise catholique aux Philippines, soutenue par plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, réclame de toute urgence « une enquête impartiale » sur les assassinats de plusieurs leaders paysans ces derniers mois, dont celui de Menelao Barcia le 2 mai dernier, et demande la fin du harcèlement incessant que subissent … 

… tous ceux qui militent pour l’application de la réforme agraire.

Mgr Broderick Pabillo, président de la Commission épiscopale pour l’Action sociale, la Justice et la Paix (CBCP-NASSA), a signé une déclaration au nom de l’Eglise catholique le 10 mai dernier. Il y demande au président ‘Noy Noy’ Aquino de prendre « des mesures immédiates » pour régler « une situation qui s’envenime » dans l’hacienda Dolores, à Porac, et de faire appliquer ses promesses sur la réforme agraire (CARP), c’est-à-dire la redistribution des terres aux paysans qui la cultivent.

L’évêque auxiliaire de Manille est engagé de longue date dans la lutte pour l’application de la réforme agraire. « Près de deux millions d’hectares de terres appartenant à l’Etat ont été vendus par le gouvernement aux paysans pauvres alors que ces terres devaient leur être distribuées gratuitement, dénonçait-il déjà en septembre dernier. Pire encore, par diverses manœuvres, une grande partie de ces terres ont été reprises aux paysans qui les cultivaient pour être vendues ou louées à des grands propriétaires ou à des sociétés privées. »

Menelao ‘Melon’ Barcia a été tué le 2 mai dernier, devenant la troisième victime en six mois du conflit qui oppose les petits paysans aux grands propriétaires terriens sur l’application de la réforme agraire. L’hacienda Dolores s’étend sur des milliers d’hectares à Porac (province de Pampanga), sur l’île de Luçon (Luzon), située dans la partie nord de l’archipel philippin. Depuis des mois, aux côtés de 300 paysans et militants, Barcia réclamait la redistribution de 761 hectares de l’hacienda au titre de la CARP, et ce « malgré les menaces et intimidations permanentes des propriétaires terriens ».

Menelao Barcia, âgé de 57 ans, était membre du conseil de village (barangay), et l’un des responsables du mouvement Alliance of United People of Hacienda Dolores (Aniban). Le 2 mai, vers 22 heures, alors qu’il ramenait sa femme de son travail en voiture, il a été abattu par des assaillants non identifiés roulant à moto. Garcia a été tué sur le coup, tandis que son épouse était transportée à l’hôpital dans un état grave. Elle vient il y a peu d’être opérée des membres inférieurs.

La Conférence épiscopale « condamne fermement l’assassinat brutal et insensé du leader paysan Menelao Barcia – le deuxième meurtre dans l’hacienda Dolores – », et dénonce « un acte ignoble d’intimidation destiné à décourager l’action des militants de la réforme agraire ».

La fréquence de ces assassinats démontre « l’impunité dont jouissent les responsables, s’indigne encore le prélat. Melon Garcia et Armando Padino (tué en janvier 2014) se battaient pour un bout de terrain qu’ils exploitaient depuis très longtemps ; leur mort ne fait que refléter l’incapacité du gouvernement philippin à protéger les paysans sans terres des grands propriétaires terrains riches et politiquement influents. »

Rappelant que l’Eglise catholique aux Philippines « s’est toujours tenue aux côtés des petits paysans et des peuples aborigènes dans leur juste combat pour leurs droits », Mgr Pabillo a réaffirmé son soutien à l’archidiocèse de San Fernando, de la province de Pampanga, qui réclame que Manille « applique la loi et protège les droits des paysans et des aborigènes aetas (1) ».

« Nous pressons le ministère de la Justice et la Commission des droits de l’homme de mener de toute urgence une enquête approfondie afin d’identifier les coupables et leurs commanditaires et les faire comparaître devant la justice », conclut la déclaration épiscopale.

Un appel qui a été relayé par de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme ainsi que par des mouvements de soutien aux populations indigènes. Un « appel pour une action immédiate au nom des droits de l’homme » a ainsi été lancé le lendemain 11 mai par l’organisation Karapatan et Human Rights Philippines.

Demandant « justice pour le meurtre de Menelao « Boy » Barcia ainsi que pour les violations des droits des paysans de l’Hacienda Dolores, à Porac, Pampanga », la déclaration en ligne de Karapatan revient sur les commanditaires de l’attaque du militant. « Les témoins du meurtre ont peur de parler par crainte de représailles, mais les paysans de l’Hacienda Dolores pensent que les auteurs du crime sont les milices de la compagnie du « Triple L » (Leonardo-Lachenal-Leonio Holdings Inc. NDLR), l’entreprise qui a accaparé illégalement les terres des paysans. »

Selon les ONG de défense des droits de l’homme, dont Asian Human Rights Commission (AHRC), 350 paysans et environ 1 000 familles ont déjà été expulsés de leurs terres, qu’ils cultivent depuis des générations, certains depuis 1835.

Karapatan explique que Menelao Barcia enquêtait sur les accusations portées à l’encontre du chef de village, Antonio Tolentino, arrêté le 16 avril dernier à l’Hacienda Dolores par des miliciens de la LLL et des policiers du district. Le chef du barangay est actuellement détenu à la prison du district d’Angeles City pour « actes préjudiciables à l’encontre du service public ».

« Deux jours plus tard, rapporte Karapatan, le 18 avril, les policiers, accompagnés du personnel de sécurité de la « triple L » sont retournés à l’Hacienda Dolores pour menacer les membres de la famille de Tolentino. »

La déclaration de l’ONG se poursuit avec d’autres exemples de violences exercées envers les paysans de l’Hacienda Dolores par les forces de l’ordre et les milices armées de la LLL. Le 12 janvier dernier, trois paysans membres d’Aniban étaient blessés par balles par les gardes de la Triple L Company, qui les empêchaient d’accéder à leurs cultures. Gravement blessés, ils étaient emmenés à l’hôpital dans un état critique. Arman Padino, 33 ans, devait décéder peu après. Suite à ce grave incident, un appel aux Nations Unies pour violation des droits de l’homme a été lancé par l’Asian Human Rights Commission le 14 mars dernier.

L’organisation termine en appelant tous les « défenseurs des droits de l’homme » à réagir en envoyant des courriers aux différents responsables du gouvernement central, afin d’exiger :

– que soit menée une enquête sur l’exécution extrajudiciaire de Menelao Barcia ;
– que soient immédiatement libérés Antonio Tolentino ainsi que tous les autres membres d’Aniban et les paysans arrêtés;
– que soit mise en place une commission d’enquête indépendante composée de représentants des groupes de défense des droits de l’homme, de l’Eglise, du gouvernement local, ainsi que de la Commission des droits de l’homme, afin d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et l’accaparement des terres à l’Hacienda Dolores, par la société LLL ;
– que le gouvernement central cesse d’étiqueter les défenseurs des droits de l’homme comme des « membres des organisations communistes » ou des « ennemis de l’Etat » ;
– la fin de l’Oplan Bayanihan, programme militaire antiterroriste du gouvernement philippin qui « atteint des victimes innocentes et des civils non armés » ;
– le respect par Manille de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que de tous les principes s’y rattachant.

(eda/msb)