Eglises d'Asie

Maharashtra : une quarantaine de paysans se sont suicidés en moins d’un mois

Publié le 22/03/2014




Au moins 38 paysans se sont suicidés dans le Maharashtra en moins d’un mois, suite aux conditions climatiques désastreuses dont des pluies de grêle, a annoncé The Hindu le 19 mars. La plupart d’entre eux se sont empoisonnés avec leurs propres pesticides.L’Etat du Maharashtra, qui fait régulièrement la Une des journaux indiens pour avoir le taux de suicide de paysans le plus élevé de cette région du monde, …

… doit faire face à une recrudescence brutale du phénomène, après plusieurs épisodes climatiques qui ont anéanti les récoltes.

Le cataclysme a affecté 28 districts sur 35, essentiellement dans les régions du Vidarbha et du Marathawada, rapporte encore le quotidien indien, détruisant les cultures de blé, de sorgho ainsi que les plantations de cannes à sucre, de grenades, de mangues, d’oranges, de citrons ou encore de raisin. L’Etat a demandé au gouvernement central une aide de 600 millions d’euros.

Le Département des Aides et de la Réhabilitation a lancé de son côté une enquête « afin de voir si les suicides étaient dûs à l’endettement suite au désastre, ou s’ils étaient liés à d’autres raisons ». Mais force est de reconnaître, a précisé l’institution, que « tous les cas ont été signalés après le 22 février, date à laquelle la grêle s’est abattue sur la région ».

La vague de suicides semble cependant n’en être qu’à ses débuts, le nombre de morts rapportées ayant considérablement augmenté ces derniers jours, laissant supposer que « plus d’une quarantaine de paysans se seraient ôté la vie ce mois-ci », ont déclaré les autorités le 20 mars dernier.

Des chiffres à revoir probablement à la hausse. En juillet 2013, les autorités de l’Etat avaient admis que le taux de suicide avait augmenté de façon drastique, donnant le chiffre de 1 166 paysans qui se seraient donné la mort en 2012. Un chiffre bien en deçà de la réalité, révélait peu près The Hindu, le 29 juillet 2013. Selon le quotidien, le National Crime Records Bureau (NCRB), dépendant du ministère fédéral de l’Intérieur et seul organisme à collecter ces données au niveau national, avait fourni le chiffre de 3 786 suicides de paysans au Maharashtra en 2012.

A la veille des élections générales indiennes, la publication de ces statistiques a déjà eu un impact désastreux pour le Parti du Congrès au pouvoir. Narendra Modi, le candidat du Bharatya Janata Party (BJP) au poste de Premier ministre indien, a profité de l’occasion pour se rendre dans le Vidarbha la semaine dernière, et assurer les victimes de son soutien.

« Des dizaines de paysans qui se suicident, c’est quelque chose de terrible et qui arrive malheureusement avec une régularité alarmante. Nous ne devons pas les abandonner à ler sort », a déclaré Mgr Thomas Dabre, évêque catholique de Pune (Poona) à l’agence AsiaNews.

« Il devient urgent et essentiel, a poursuivi le prélat, que le gouvernement accorde une véritable attention à ces paysans en s’impliquant véritablement et en les aidant, comme l’exige son devoir. » Mais, a ajouté Mgr Dabre, « les problèmes des paysans ne peuvent être résolus par de simples aides économiques ponctuelles : les organismes d’Etat, les différentes organisations, les ONG et les associations religieuses doivent se pencher sur le désespoir des paysans en intervenant également dans le domaine social et spirituel. »

L’Eglise du Maharashtra, qui lutte depuis des années pour que les autorités viennent en aide aux petits cultivateurs, surendettés et tributaires du moindre aléa climatique, tente également de combattre le mal à la racine en organisant régulièrement des campagnes de sensibilisation et de prévention du suicide.

Mgr Dabre, avant de devenir évêque de Pune, coordonnait déjà l’action sociale de l’Eglise dans l’Etat, en particulier dans le Vidarbha. Il demandait régulièrement au gouvernement d’aller au-delà de la prise de mesures provisoires lors des catastrophes naturelles, en s’engageant dans une politique de long terme.

En 2010, il avait notamment dénoncé la mise en place par le Maharashtra d’une politique de recouvrement forcé des dettes, « violant les droits fondamentaux des paysans » et les acculant au désespoir, une fois « livrés à la merci des usuriers locaux.».

« C’est honteux qu’en dépit de ces statistiques effarantes, il y ait une quasi-absence de services d’aide psychologique en milieu rural et de sensibilisation de la population à ces problèmes », a déploré l’évêque.

Selon l’Institut Tata des sciences sociales de Bombay, plus de 150 000 cultivateurs dont 32 000 au Maharahstra se seraient suicidés ces dix dernières années, écrasés par le poids de leurs dettes. En sus du surendettement, cause majeure des suicides, l’institut pointe d’autres facteurs dont l’augmentation du coût des intrants, la chute des prix des produits agricoles, mais surtout l’absence totale de politique de l’Etat en faveur des petits agriculteurs, qu’il s’agisse des domaines économique, social ou médical.

Le 19 mars dernier, le ministre-président du Maharashtra, Prithviraj Chavan, a demandé aux « victimes des dernières calamités climatiques » de « ne rien faire qui puisse mettre leur vie en danger sous le coup d’un stress émotionnel ». Mais, constate Balkrishna Hedge, qui travaille pour une ONG locale, « les paysans n’ont plus aucune confiance dans le gouvernement », qui, disent-ils, ne donne de « secours financiers qu’aux familles des paysans décédés, et ne fait rien le reste du temps ».

Kishore Tiwari, qui dirige le Vidarbha Jan Andolan Samiti, une association qui se bat pour les droits des paysans du Vidarbha, confirme que l’Etat n’accorde jamais d’aide aux petits agriculteurs, hormis lors des pics de suicides les plus médiatisés. Ainsi, rapporte-t-il, après les récoltes désastreuses il y a quelques années du coton Bt – un coton transgénique – dans le Vidarbha, l’Etat avait refusé de maintenir les aides, l’eau et l’électricité qui auraient permis aux paysans ruinés de survivre jusqu’à la prochaine récolte, déclenchant alors une nouvelle vague de suicides.

Selon lui, l’absence de volonté des politiques est à l’origine de tout : « Les ministres dépensent des millions afin d’attirer les investisseurs dans la région ‘avantageuse’ du Vidarbha, et les partis d’opposition font la même chose. Résultat : alors que deux événements destinés aux investisseurs étrangers ont lieu à Nagpur ce mois-ci sur le thème de « l’Agro Vision », personne n’a envisagé d’aller voir les paysans touchés par la crise ! », s’indigne-t-il.

Quant à Mgr Dabre, il vient de lancer un appel à Caritas India, lui demandant de pallier les défaillances de l’Etat. « Il faut verser rapidement une contribution significative aux familles de paysans qui se sont suicidés. Leurs veuves se retrouvent aujourd’hui chargées de famille, vulnérables à l’exploitation et soumises au harcèlement de prêteurs sur gages corrompus. »

(eda/msb)