Eglises d'Asie

Privé de Constitution, le pays menace de sombrer dans le chaos

Publié le 28/05/2012




L’Assemblée constituante ayant échoué à rendre la Constitution du pays avant l’expiration de la date butoir du 27 mai, le Premier ministre népalais a annoncé hier soir sa dissolution et la tenue d’élections pour le 22 novembre prochain. Malgré les violents affrontements qui ont marqué les dernières heures de la Constituante …

… et le désaveu de sa politique par les différents partis de sa coalition, le Premier ministre maoïste affirme qu’il assurera le gouvernement provisoire du pays, à la grande inquiétude des chrétiens ainsi que des minorités ethniques et religieuses.

Le délai de la dernière chance n’a pas permis à l’Assemblée constituante de rendre la Constitution pour laquelle elle avait été élue quatre ans plus tôt (1). En ce jour férié national du lundi 28 mai qui célèbre, comble de l’ironie, le cinquième anniversaire de la naissance de la République du Népal, le pays himalayen doit faire face à la perspective inédite d’une vacance du pouvoir. Malgré les importants effectifs de policiers et de militaires déployés dans les rues de la capitale, Katmandou a été aujourd’hui le théâtre de manifestations de foules en colère, brûlant des effigies du Premier ministre et demandant sa démission.

Baburam Bhattarai, qui s’était engagé personnellement à faire aboutir la mission de la Constituante, a assisté aujourd’hui à l’éclatement définitif de son gouvernement de coalition mis en place le 5 mai dernier, avec les démissions successives des différents membres des partis qui le composaient. Après le Congrès népalais, ce sont les ministres du parti communiste UML (Unified Marxist Leninist ) qui ont quitté le gouvernement ce matin, suivis des membres de l’United Democratic Madhesi Front,  pourtant hier encore l’allié principal des maoïstes à l’Assemblée.

Dimanche soir, à l’approche de l’expiration du délai imposé à la Constituante, de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des milliers de manifestants qui tentaient de pénétrer dans le Parlement, ont fait plusieurs dizaines de blessés. Scandant des slogans fustigeant les parlementaires, menaçant de « les réduire en chair à pâté », différents groupes d’opposants, formés de partisans du Congrès, de membres des minorités ethniques ou  encore d’hindouistes, réclamaient que l’Assemblée tranche enfin la question litigieuse de la création d’Etats fédérés en fonction de l’appartenance ethnique. Alors que les maoïstes, majoritaires à l’Assemblée, demandaient la création de quatorze Etats définis selon leur ethnie principale, leurs opposants craignaient que cette décision n’accentue les troubles interethniques et religieux comme cela est actuellement le cas dans la Far Western Region, une entité créée selon ces mêmes critères.

Un autre point de désaccord subsistait également, concernant le caractère séculier du pays et la question de l’éventuelle promulgation de lois anti-conversion, contre lesquelles les chrétiens et les différentes minorités religieuses s’étaient fortement mobilisées ces derniers mois. Dimanche 27 mai, rapporte l’agence AsiaNews, les catholiques ont organisé une veillée spéciale pour « la Constitution, la paix et l’harmonie » à la St Xavier High School, institution tenue par les jésuites à Lalitpur, près de la capitale. L’Eglise catholique, qui célébrait ce même jour la fête de la Pentecôte, a lancé un appel à l’unité et à la solidarité entre les différentes communautés, espérant que la crise constitutionnelle se profilant ne ferait pas renaître les discriminations envers les minorités religieuses et la limitation de leur droit de culte.

Peu après minuit, le Premier ministre népalais a annoncé à la nation lors d’une intervention télévisée que la Constituante avait échoué en raison du litige sur la création d’Etats fédérés et qu’un scrutin était prévu le 22 novembre prochain afin d’élire une nouvelle Assemblée. Baburam Bhattarai, qui a présenté des excuses au pays, tout en attribuant la responsabilité de l’échec de la Constituante à « l’action des partis réactionnaires », a également déclaré qu’il dirigerait un gouvernement provisoire jusqu’aux prochaines élections.

« Nous n’avons pas d’autre solution que de recourir au peuple et élire une nouvelle Assemblée qui achèvera la Constitution », a affirmé le Premier ministre maoïste, rappelant que le mandat de cette assemblée avait déjà été prorogé quatre fois et que la Cour suprême avait décidé qu’une nouvelle prorogation serait illégale. Le Conseil des ministres réuni en urgence, a-t-il poursuivi, s’est prononcé en faveur de nouvelles élections plutôt que de décréter l’état d’urgence afin de maintenir le parlement en place pendant six mois.

Cette déclaration a déclenché les foudres des alliés de la coalition gouvernementale, qui ont remis leur démission à l’ancien chef de la guérilla maoïste, l’accusant de vouloir se maintenir au pouvoir à la faveur de nouvelles élections. « Le Premier ministre a fait soudainement cette proposition, sans même nous consulter », a déclaré Ishwar Pokharel, du parti communiste UML, ajoutant que « le gouvernement n’avait aucune légitimité constitutionnelle ou politique pour ordonner de nouvelles élections ». Une opinion partagée par Ram Chandra Poudel, à la tête du Parti du Congrès, qui a déclaré que « la proposition des maoïstes allait à l’encontre de la Constitution provisoire » et qu’il y avait certainement d’autres solutions pour sortir le pays de la crise. Quant au président Ram Baran Yadav, qui s’est contenté de qualifier la dissolution de l’Assemblée de « malheureuse et regrettable », il doit s’exprimer prochainement sur la crise que s’apprête à traverser le pays, désormais sans Constitution, ni Parlement, ni même gouvernement légitimement mandaté. Selon des sources proches du pouvoir, le président s’apprêterait cependant à donner raison à son Premier ministre.

« La décision unilatérale du Premier ministre d’organiser de nouvelles élections en autorisant la dissolution de l’Assemblée constituante – qui est la plus représentative [du peuple népalais] – n’a pour seul but que de confisquer le pouvoir à son profit », ont affirmé aujourd’hui les partis démissionnaires dans une déclaration commune. « Baburam Bhattarai a mis fin à la politique du consensus et créé une situation dans laquelle les droits démocratiques du peuple ont été totalement annihilés », ont conclu les leaders du parti communiste CPN-UML, du Rastriya Janata Party, du Madhesi Peoples’ Rights Forum Nepal et du Madhesi Peoples’ Rights Forum Democratic.