Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – L’Eglise catholique aux Philippines : une Eglise-sœur pour l’Eglise en Chine

Publié le 19/12/2014




Leur nombre n’est pas connu avec exactitude mais leur réalité est une certitude : entre 300 et 600 prêtres, religieux, religieuses, séminaristes et laïcs en mission d’Eglise, venus de Chine populaire, étudient à Manille. Au-delà de leur diversité, très réelle, ils forment une communauté qui témoigne de la place particulière donnée …

… par l’Eglise en Chine à celle qui est aux Philippines ; une Eglise-sœur répondant, par l’abondance de ses centres de formation, aux besoins des catholiques chinois en ce domaine.

Si l’importance numérique de cette communauté chinoise à Manille s’est affirmée ces dix ou quinze dernières années, l’idée de faire appel à l’Eglise qui est aux Philippines pour la formation des cadres de l’Eglise en Chine est ancienne. Les papes Pie XII puis Paul VI l’avaient déjà formulée, en confiant à l’archevêque de Manille la mission de développer une relation de fraternité avec l’Eglise en Chine. Rome voyait un avantage évident dans la proximité géographique de l’archipel philippin avec la Chine, et estimait également que l’existence d’une importante communauté sino-philippine à Manille pouvait être un atout dans le développement de relations fraternelles.

Après la naissance de la République populaire de Chine en 1949, la prise du pouvoir par le Parti communiste, et l’expulsion des missionnaires étrangers entre 1949 et 1952, une partie non négligeable du clergé chinois prit la route de l’exil, vers Taiwan en premier lieu, mais également vers Manille. Par la suite, tous les papes ont continué à considérer que les Philippines avaient une place de premier plan à tenir dans les relations avec la Chine. Lorsque cette dernière commença à s’ouvrir à la fin des années 1970 et à la faveur des réformes de Deng Xiaoping, le pape Jean-Paul II reprit cette idée, signifiant à l’archevêque de Manille que l’une de ses tâches était de veiller à ce que l’Eglise en Chine ait voix au chapitre. Les évêques de Chine continentale ne sont en effet pas présents au sein de la FABC (Fédération des Conférences épiscopales d’Asie).

Le cardinal Sin, archevêque de Manille de 1974 à 2003, a répondu à l’appel du Saint-Siège. A l’époque, il était encore impossible de faire venir des prêtres ou des religieuses de Chine à Manille. Il fonda donc un institut missionnaire, la Lorenzo Ruiz Mission Society (LRMS), avec l’idée qu’il serait un jour possible d’envoyer des missionnaires philippins en Chine. Si la LRMS compte aujourd’hui une quarantaine de prêtres, leur présence en Chine est restée modeste : dans l’impossibilité de s’installer en Chine en tant que missionnaires, sinon pour y effectuer de courts séjours, certains d’entre eux sont envoyés à Taiwan, où la liberté religieuse est entière.

Avec les années 1980 et l’ouverture de la Chine, des prêtres et des religieuses du continent commencèrent à arriver à Manille, envoyés par leurs évêques ou supérieurs religieux, appelés par des congrégations internationales qui reprenaient contact avec la Chine. Le cardinal Gaudencio Rosales, archevêque de Manille de 2003 à 2011, fut alerté par le fait que certains de ces étudiants vivaient dans un très grand isolement et devaient affronter parfois des situations matérielles et spirituelles difficiles. Il leur demanda de faire en sorte de ne pas vivre seuls de manière à préserver un équilibre de vie. Il exigea que les séminaristes chinois ne soient acceptés dans les institutions de formation de Manille que s’il leur était proposé un habitat communautaire. Prenant la succession du cardinal Rosales en octobre 2011, le nouvel archevêque de Manille, Luis Antonio Tagle, réalisa l’importance numérique qu’avait prise cette communauté des étudiants chinois lorsqu’invité à l’occasion du Nouvel An lunaire, il se trouva face à quelques centaines d’étudiants prêtres, religieuses ou séminaristes chinois du continent.

Parallèlement, les universités pontificales, qui sont au nombre de six à Manille, ainsi que les autres institutions catholiques de formation ont été, elles aussi, amenées à prendre conscience de l’importance de ce nouveau public et de ses besoins spécifiques. Il est devenu clair que si elles voulaient améliorer le suivi spirituel et humain de leurs étudiants chinois, elles avaient besoin de mieux les connaître et les comprendre.

C’est pour cette raison qu’en septembre 2012, Mgr Tagle, élevé peu après à la dignité cardinalice, a invité un prêtre français, le P. Jacques Leclerc, à assurer une direction spirituelle et un accompagnement à tous ceux d’entre ces étudiants chinois qui le souhaiteraient.

Agé de 65 ans, prêtre de la Mission de France, le P. Leclerc connaît bien la Chine pour avoir passé, de 1990 à 2010, une vingtaine d’années. Il définit en ces termes la mission qui lui a été confiée : « Rendre, en langue chinoise, un service d’accueil et d’accompagnement spirituel et humain à tous ceux qui le souhaitent ; être au service de l’Eglise en Chine de l’extérieur du pays ».

Il insiste sur la dimension à la fois visible et discrète de sa présence. Visible car il vit dans une maison (appelée « maison de disciples », 门徒子家) proche ou facilement accessible depuis les universités catholiques de la ville, et que sa porte est ouverte. Discrète car « jamais [il] ne lui viendrait à l’idée de demander à [ses] visiteurs leur appartenance à une communauté « officielle » ou « souterraine » de l’Eglise en Chine ». Il accueille ainsi des prêtres diocésains ou affiliés à l’une ou l’autre congrégation internationale ; et il en va de même pour les religieuses, les séminaristes et les laïcs envoyés en formation à Manille.

Interrogé par Eglises d’Asie sur les spécificités de ses visiteurs chinois, il répond en distinguer trois :

1) La totalité ou presque d’entre eux sortent pour la première fois de leur pays lorsqu’ils arrivent aux Philippines ; issus de milieux ruraux et pauvres, ils n’ont pas l’expérience que peut avoir la jeunesse de Pékin, Shanghai ou Canton, et passent par conséquent par un temps d’adaptation plus ou moins long, en particulier pour l’apprentissage de l’anglais. A cet égard, le choc culturel est riche de remises en cause lorsque les étudiants chinois réalisent que le reste du monde existe indépendamment de la Chine et que cette dernière est parfois critiquée à l’étranger.

2.) Ils sont issus d’une Eglise qui a été fermée sur elle-même pendant plusieurs décennies et pour laquelle le Concile Vatican II, s’il a été mis en place de manière formelle, reste en partie à découvrir. Pour beaucoup de ces jeunes en formation à Manille, la foi est le plus souvent une réalité reçue de la famille dans la tradition chinoise de la transmission du savoir ; et si elle peut avoir été consolidée par les épreuves vécues, elle reste marquée par un fort ritualisme.

Et le prêtre accompagnateur de ces jeunes de citer ici l’un d’entre eux : « J’ai appris les dogmes par cœur. Nous répétons les pratiques rituelles apprises des prêtres, de nos parents et anciens. Etre catholique, c’est refaire ce que les anciens font, à l’église, à la maison… récitant les prières et refaisant les gestes appris. Arrivé ici, par les études et la rencontre d’autres catholiques non chinois, je découvre que je dois approfondir la foi que j’ai reçue. Je dois ‘arranger’ (sic) tout cela. Je ne dis pas que les anciens, au pays, se trompent en ne faisant que répéter. En Chine, c’est comme cela qu’on apprend, depuis toujours : par cœur, en répétant et refaisant. Quand les anciens font cela, fidèlement, toute leur vie, appliquant les règles et refaisant les gestes sans question, c’est bien. Ce qu’ils font, c’est un vrai culte au Dieu de Jésus Christ. Mais maintenant, les choses changent. Les jeunes n’apprennent plus de la même façon. Ils veulent approfondir et comprendre. Avant, nous ne concevions qu’une seule formulation de la vérité. Il ne peut pas y avoir plusieurs vérités dignes de foi. Maintenant, je comprends qu’il y a plusieurs manières de chercher cette unique vérité et de l’exprimer. »

3.) Enfin, en arrivant aux Philippines, ces jeunes découvrent un catholicisme très différent du leur, où l’Eglise est omniprésente et influente dans la société et la politique. Le contraste est grand avec la réalité qu’ils vivent en Chine.

Face à un contexte aussi nouveau pour eux, ces jeunes chinois sont donc amenés « à vivre une réappropriation des tenants de leur foi », explique le prêtre ‘fidei donum’, qui cite à cet égard ce que lui a dit l’un de ces étudiants : « Je dois me réapproprier tout ce en quoi je crois, non pas pour le rejeter mais pour l’interroger. » Cette démarche les amène également « à revisiter les liens qui existent entre leur être catholique et leur être chinois » – démarche qui peut se révéler délicate tant « l’universalisme catholique remet en cause la centralité que revêt pour eux la culture chinoise ».

Quant à l’unité de ces étudiants entre eux, le P. Leclerc note qu’elle n’est pas immédiate tant les histoires personnelles, les parcours ecclésiaux, les expériences de formation sont divers. Cependant il constate que, contrairement à ce qui peut se voir en Chine continentale où les concélébrations entre membres du clergé attachés aux communautés « officielles » et « souterraines » peuvent être difficiles, au contraire, à Manille, « l’Eucharistie est vécue comme un lieu d’unité ». Une unité entre eux, sans distinction, et une unité avec l’Eglise locale des Philippines qui les accueille. « L’unité de l’Eglise est un don, un don que l’on reçoit notamment autour de la table eucharistique », note-t-il encore. Cette attitude choisie par l’Eglise aux Philippines d’accueillir tous les prêtres, religieux et religieuses, séminaristes et jeunes laïcs, sans faire de distinction entre communautés « souterraines » et « officielles », souligne le prêtre français, devrait éveiller l’attention de certaines institutions de l’Eglise dans d’autres pays, qui pratiquent une distinction qui peut être blessante pour les jeunes étudiants chinois envoyés par leurs communautés d’Eglise « officielles ». L’Eglise-sœur aux Philippines, à l’instar des institutions romaines, contribue à refaire l’unité d’une communauté catholique en Chine qui, si elle est encore divisée, n’en est pas moins une.

A l’approche de la visite du pape aux Philippines (qui aura lieu du 15 au 19 janvier 2015), tant le P. Leclerc que d’autres personnes proches de la communauté des étudiants chinois de Manille, refusent de dévoiler si le pape François témoignera d’une manière ou d’une autre sa sollicitude envers eux. Mais, selon les observateurs, il semble difficile d’envisager que le pape ne conforte pas le rôle de la communauté catholique des Philippines dans sa mission d’Eglise-sœur de l’Eglise en Chine.

(eda/ra)