Eglises d'Asie – Inde
Projet minier en Orissa : les droits des aborigènes l’ont emporté
Publié le 14/01/2014
Dans ces collines de l’Orissa recouvertes par la jungle, où ils pratiquent la chasse, la cueillette et une agriculture de subsistance depuis des millénaires, ils vénèrent comme une divinité la montagne Niyamgiri d’où ils disent « tirer toute vie », et y célèbrent de nombreux rituels considérés comme vitaux pour leur communauté.
Le 10 janvier dernier, les autorités indiennes ont annulé le projet minier et de construction d’une raffinerie de 650 millions d’euros par Vedanta, a annoncé l’ONG Survival International, « en raison du refus opposé par les aborigènes lors d’une consultation générale ordonnée par la Cour suprême », lequel refus vient d’être entériné par le ministère de l’Environnement et des Forêts.
L’été dernier, malgré les pressions exercées par le groupe minier et le gouvernement de l’Orissa, les douze villages dongria kondh affectés par le projet minier avaient rejeté massivement l’installation de Vedanta sur leur site sacré. Mais ce tout premier « référendum environnemental » de l’Inde devait être accepté et validé par le ministère de l’Environnement, dont la décision était attendue avec inquiétude et impatience.
La victoire de la petite communauté indigène de quelque 8 000 individus sur une puissante multinationale – dont le projet était en outre soutenu par l’Etat de l’Orissa ainsi que par le gouvernement fédéral – ne manquera pas, soulignent déjà les médias indiens, d’avoir des répercussions sur d’autres batailles juridiques qui opposent de plus en plus fréquemment des populations autochtones à des entreprises internationales, comme l’affaire Posco, qui défraye la chronique, en Orissa également.
L’opposition des aborigènes au projet de la firme Sterlite India (filiale du groupe britannique Vedanta, détenu majoritairement par le milliardaire indien Anil Agarwal) ne laissait pourtant guère présager une issue favorable, dans ce qui semblait un véritable « combat de David contre Goliath ».
Dès la première phase du projet, de nombreuses organisations écologistes, mais aussi des ONG de défense des droits de l’homme comme Amnesty International, s’étaient élevées contre l’installation du complexe minier, dénonçant des conséquences irréversibles sur l’environnement et sur le mode de vie des autochtones.
Le conflit s’était encore durci en décembre 2008 lorsque le ministère de l’Environnement et des Forêts avait autorisé Vedanta à commencer l’exploitation des gisements de bauxite de Niyamgiri afin d’alimenter son usine de Lanjigarh située au pied des montagnes. Fruit d’un accord entre la multinationale et la compagnie d’Etat Orissa Mining Corporation (OMC), le projet prévoyait l’exploitation du minerai pour les 25 années à venir dans une gigantesque mine à ciel ouvert de 670 hectares, avec un investissement de 650 millions d’euros.
Les Dongria Kondh, assistés des ONG Survival et Amnesty, saisissaient alors la Cour suprême, dénonçant le fait qu’ils n’avaient pas été consultés et s’opposaient à une exploitation minière qui « détruirait leur mode de vie, leur environnement et leur lieu de culte ». Mais la plus haute instance judiciaire de l’Inde statuait en 2009 en faveur de la compagnie industrielle. Les adivasi (‘tribals’) portaient à nouveau plainte pour « violation du droit des peuples indigènes ».
Rapidement, la communauté internationale se mobilisait pour les Dongria Kondh dont le combat lui rappelait celui de la tribu Na’vi du film Avatar de James Cameron, qui remportait alors un succès mondial. Des ONG de défense des droits de l’homme, des associations écologistes, des Eglises et des communautés chrétiennes, soutenues par des personnalités de renom, se lancaient dans un intense lobbying, tandis que Survival portait plainte auprès de l’OCDE.
Cette série d’action déclenchait en 2009 une succession de défection des principaux soutiens occidentaux de Vedanta, dont l’Eglise d’Angleterre (anglicane) qui décidait de vendre toutes ses actions dans l’entreprise pour « raisons éthiques », entraînant le retrait de nombreux investisseurs (2). Plusieurs gouvernements s’engagaient à leur tour aux côtés des aborigènes, comme la Norvège et le Royaume-Uni.
En août 2010, peu après la publication d’un rapport d’experts avertissant des risques de « pollution irréversible de l’écosystème » et d’« extinction des Dongria Kondh », le ministère fédéral de l’Environnement revenait sur sa décision et bloquait la licence du projet.
Vedanta et l’OMC faisaient appel de la décision en février 2011 tandis que les Dongria Kondh demandaient que la Cour statue selon le principe du « consentement préalable », reconnu par la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies ( 2007) (3). Dans l’attente de la décision de la Cour suprême, les manifestations et protestations se succédaient et la raffinerie de bauxite de Vedanta était contrainte de fermer en décembre 2012, faute de minerai pour l’alimenter.
Le 18 avril 2013, la Cour suprême statuait « par un verdict sans précédent » en faveur des Dongria Kondh, suspendant le projet minier durant cinq mois, le temps de laisser aux gram sabha (assemblées de villages (1)) des Dongria Kondh de « décider de leur avenir ». Pour la première fois, la Cour reconnaîssait le droit des adivasi de Niyamgiri à « vénérer leur montagne sacrée » ainsi que l’obligation du gouvernement de « protéger et préserver » leurs droits religieux et culturels.
Le dernier épisode de la saga du peuple des montagnes de Niyamgiri s’est achevé ce 10 janvier dernier avec la décision du ministère de l’Environnement de rejeter le projet de Vedanta.
« Une heureuse issue qui a prouvé que le plus fort ne l’emportait pas toujours sur le plus faible », a commenté ce 14 janvier, Stephen Corry, directeur de Survival International, ajoutant que « la détermination des Dongria, associée au soutien d’une grande partie de l’opinion publique, avait créé un précédent salutaire pour les droits tribaux en Inde ».
(eda/msb)