Eglises d'Asie – Philippines
Le pape aux jeunes philippins : « Soyez courageux, n’ayez pas peur de pleurer ! »
Publié le 18/01/2015
… les questions de six jeunes Philippins, dont celui, bouleversant, de deux anciens enfants des rues. En réponse à la question de la souffrance, à la question de savoir pourquoi Dieu permettait que des enfants vivent les souffrances qui sont celles des enfants des rues, le pape a exhorté les 24 000 jeunes réunis devant lui à savoir « pleurer » pour permettre à leur cœur de s’ouvrir. « Soyez courageux, n’ayez pas peur de pleurer ! », leur a-t-il lancé.
A l’abri d’une estrade, alors que la pluie tombait sans discontinuer sur les terrains de sport de l’université où les jeunes s’étaient rassemblés pour l’écouter, le pape a écouté les témoignages de trois jeunes âgés de 14 à 29 ans, avant d’entendre, trois autres jeunes lui poser trois questions. Le premier de ces témoignages a été donné par Jun Chura, 14 ans, un adolescent aujourd’hui aidé par la Fondation ANAK-TnK, qui a raconté l’enfer de la rue, sans rien cacher des misères et des épreuves que des adultes sans scrupule faisaient vivre à ces enfants.
Bien qu’elle n’ait pas été désignée pour s’adresser au pape, Glycelle, une frêle petite fille de 12 ans, qui se trouvait à ses côtés, en tant qu’enfant aidé par la même fondation, a demandé au Saint-Père comment Dieu pouvait permettre que des enfants soient délaissés par leurs parents, qu’ils soient victimes de la drogue et de la prostitution. En posant sa question, elle n’a pas pu s’empêcher de fondre en larmes, avant d’être longuement consolée par le pape.
Pour lui répondre, le pape a, comme il l’a fait à plusieurs reprises lors de ce voyage, délaissé le discours qui était préparé et a improvisé en espagnol, ses propos étant immédiatement traduits en anglais. « Le cœur de ta question n’a pas de réponse », a commencé le pape, avant d’interroger sur le pourquoi de la souffrance des enfants. Le pape François a poursuivi en dénonçant « une compassion mondaine, qui ne sert à rien et ne fait aucun bien si elle consiste uniquement à donner une pièce de monnaie » à celui qui est dans la rue. « Si le Christ avait fait montre de cette compassion-là, a-t-il continué, Il serait retourné à son Père avec deux ou trois disciples, pas plus. » Ce qui manque aujourd’hui dans le monde d’aujourd’hui, c’est la capacité de pleurer. Or, ce sont les marginaux, les petits et les méprisés qui pleurent. Ceux qui vivent dans le confort sont incapables de pleurer, a-t-il affirmé, avant de dire : « Seules certaines réalités de la vie sont visibles lorsque nos yeux sont purifiés par les larmes»
«Est-ce que j’ai appris à pleurer lorsqu’un enfant souffre, est victime d’abus ? » , a-t-il ajouté. «Celui qui pleure est celui qui cherche quelque chose de plus ; apprenons à pleurer comme [Glycelle] a pleuré aujourd’hui ! » Et de conclure par ces mots : « Si vous n’apprenez pas à pleurer, vous ne serez pas de bons chrétiens », et de lancer « un défi » aux jeunes réunis devant lui : « Soyez courageux : n’ayez pas peur de pleurer ! »
Puis, improvisant toujours, le pape a répondu à la question d’un jeune étudiant en droit civil de Santo Tomas qui lui demandait la nature du véritable amour, lui et les jeunes des Philippines étant abreuvés mais pas rassasiés par les images diffusées de manière toujours plus intense par une société hyper connectée. Le Saint-Père a expliqué que le fait d’être hyper informés n’était pas « négatif » en soi, mais que le danger était « de nous transformer en musées riches mais qui ne savent pas quoi faire de leurs richesses ». « Nous n’avons pas besoin de jeunes musées, mais de jeunes sages », a lancé le pape, affirmant que « ce qui était le plus important à apprendre à l’université et de la vie [était] d’apprendre à aimer ». Il a continué en invitant les jeunes « à aimer et à se laisser aimer », ainsi qu’« à se laisser étonner par l’amour de Dieu ». Ne soyons pas comme un ordinateur ! Un ordinateur ne s’étonne pas, a-t-il lancé, donnant en exemple saint François (d’Assise) « qui a pris le risque de tout quitter, est mort les mains vides, mais le cœur plein ».
Enfin, au troisième jeune, un jeune ingénieur venu en aide aux victimes du typhon Yolanda et qui lui demandait comment les jeunes pouvaient devenir de « véritables agents de la miséricorde et de la compassion », le pape a répondu en invitant chacun à « donner » mais surtout à s’interroger sur « ce que qu’il permettait aux autres de lui donner ». Apprendre à recevoir avec humilité de ceux à qui nous donnons, voilà qui n’est pas facile à comprendre, a développé le pape, avant d’affirmer : « Laissez-vous évangéliser par les pauvres ! »
Le pape a conclu en revenant brièvement aux trois points du discours qui avait été préparé pour cette rencontre et dans lequel il lançait aux jeunes un appel à relever « le défi de l’intégrité », à montrer leur « préoccupation pour l’environnement », ainsi qu’à prendre « soin des pauvres ». « La réalité est supérieure aux idées », a-t-il alors commenté, montrant les papiers qu’il avait entre les mains.
Au tout début de son intervention, le pape avait prié et fait prier les jeunes pour la jeune femme de 27 ans qui, la veille, avait trouvé la mort à Tacloban, lors de l’écroulement d’un échafaudage, alors qu’elle était venue assister à la messe célébrée pour les survivants du typhon Yolanda (1).
Le pape avait aussi noté que les trois témoins choisis pour s’exprimer devant lui étaient tous trois de sexe masculin. « Parfois, nous sommes un petit peu trop machistes et nous ne donnons pas assez de place aux femmes », a-t-il affirmé, formulant le vœu que « lorsque le prochain pape viendra à Manille, il y aura plus de femmes pour témoigner ». Les femmes sont capables de poser des questions que nous, les hommes, ne sommes pas capables de comprendre, a-t-il aussi assuré.
Accueilli dans cette université dominicaine quatre fois centenaires (qui est l’une des six universités pontificales que compte Manille), le pape avait commencé la matinée par une rencontre avec des responsables religieux, représentatifs des minorités non catholiques des Philippines. Il avait ainsi salué un protestant, un musulman, un juif, ainsi qu’un bouddhiste et un hindou.
(eda/ra)