Eglises d'Asie – Inde
Une manifestation contre les attaques antichrétiennes violemment réprimée à Delhi
Publié le 05/02/2015
Depuis ce matin, les images de la répression policière de la manifestation organisée en protestation contre le silence des autorités face aux violences antichrétiennes passent en boucle sur les chaînes de télévision et les sites de vidéos sur le Net. On y voit des centaines de chrétiens manifestant pacifiquement et en silence devant la cathédrale du Sacré-Coeur de Delhi, portant des pancartes sur lesquelles on peut lire « Arrêtez de nous attaquer ! », ou encore « Nous sommes toujours un pays laïc ». Certains d’entre eux sont agenouillés devant le sanctuaire, récitant leur chapelet ou portant de grands crucifix.
C’est alors que, soudain, la violence se déchaîne, les policiers trainant de force les manifestants, « les prêtres, les religieuses, les femmes et les enfants pour les jeter de force dans des bus » parqués un peu plus loin, laissant sacs et chaussures dispersés sur la route, agressant également les journalistes qui couvrent l’événement. Une femme âgée, qui gisait sur la route, a été emmenée de force par quatre policières qui l’ont hissée violement dans l’un des bus, rapporte encore la chaine de télévision indienne NDTV ce 5 février.
Selon la police, la manifestation était illégale et c’est la raison pour laquelle « les manifestants ont été placés en détention ». Les forces de l’ordre « n’ont fait que leur devoir de protection des membres du gouvernement », s’est notamment justifié le responsable de la police locale Mukesh Kumar Meena, expliquant que « les manifestants n’avaient pas la permission de marcher vers la résidence du ministre de l’Intérieur », tout en admettant néanmoins qu’il n’y avait aucune interdiction à manifester devant la cathédrale, c’est-à-dire là où se trouvaient les chrétiens lorsque la police a chargé la foule.
« Quelle sorte de justice est-ce là ? », s’est indigné auprès de NDTV le P. Dominic Emmanuel, porte-parole de l’archidiocèse catholique de Delhi, qui a été également embarqué de force par la police, avant d’être relâché quelques heures plus tard. « Honte à la police ! Notre Premier ministre parle de tout sauf de ce problème (les attaques d’églises et les conversions forcées), pourquoi ? », a-t-il poursuivi, rappelant que la manifestation était pacifique et que rien ne justifiait une telle violence de la part des forces de l’ordre.
Les chrétiens avaient annoncé leur intention de marcher en silence vers la résidence du ministre de l’Intérieur Rajnath Singh, afin de dénoncer l’inaction du gouvernement face à la recrudescence des attaques, en particulier à Delhi où, depuis décembre dernier, cinq attaques se sont produites à l’encontre d’églises chrétiennes (incendies criminels, messes perturbées par des jets de pierre, autels brisés, statues renversées) sans aucune réaction des autorités ou de la police.
Ce n’est que plusieurs heures après les incidents de la matinée, les arrestations, puis la remise en liberté des responsables chrétiens, que le ministre de l’Intérieur a accepté de rencontrer une délégation des protestataires. A l’issue de cette brève rencontre, le P. Dominic Emmanuel a déclaré aux journalistes que « la responsabilité du gouvernement du BJP avait été très clairement pointée du doigt », bien que celui-ci se soit engagé à accroître la surveillance des églises et à faire aboutir les enquêtes sur les récentes attaques dans la capitale indienne.
De son côté, Rajnath Singh a préféré twitter la courte déclaration suivante : « J’ai assuré [le P. Emmanuel] que le présent système politique ne tolérerait jamais aucune discrimination de caste, de couleur, de langue ou de religion ».
Lors de cette rencontre, les représentants de la communauté chrétienne se sont également plaints de ce que la police n’avait cessé de minimiser la gravité des attaques d’églises, y compris celles qui s’étaient produites à New-Delhi ces deux derniers mois. Au sujet de la dernière en date, celle de l’église Sainte-Alphonsa, vandalisée le lundi 2 février, les policiers s’étaient ainsi contentés de parler de tentative de vol. Le ministre de l’Intérieur s’est engagé aujourd’hui à requalifier l’incident en « incitation à la violence communautariste ».
Une déclaration symbolique mais nécessaire, estime John Dayal, secrétaire général du All India Christian Council et membre du Conseil pour l’Intégration nationale au sein du gouvernement indien. « Le dernier acte de vandalisme à Sainte-Alphonsa (1) était très inquiétant, a-t-il commenté aujourd’hui. Rien de ce qui avait une quelconque valeur marchande n’a été touché, mais les assaillants avaient délibérément vandalisé l’autel et profané les hosties. »
Ces actes antichrétiens commis à Delhi ne sont cependant qu’une infime partie des violences perpétrées par les hindouistes du Sangh Parivar dans le pays, ont rappelé les leaders chrétiens lors de la manifestation de ce matin.
Il y a quelques jours seulement, le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Bombay, s’était inquiété publiquement de l’absence de réaction des pouvoirs publics au sujet des campagnes de « gahr wapsi » (‘retour à la maison’), ces conversions de masse menées par les hindouistes auprès des communautés chrétiennes et musulmanes pauvres, lesquelles ont culminé à Noël dernier. « Je crains que le silence du gouvernement quant à la participation active de ses membres et de ses députés à ces actions communautaristes signifie qu’il soutient cette politique », a t-il confié le 1er février dernier au Times of India. « Les délégations de l’Eglise qui ont rencontré le Premier ministre pour l’entretenir de ces questions ne sont d’ailleurs pas revenues rassurées quant à l’avenir », a-t-il ajouté.
Le 3 février, au lendemain de l’attaque de l’église Sainte-Alphonsa, le nonce apostolique en Inde, Mgr Salvatore Pennachio, est à son tour sorti du silence pour appeler la communauté chrétienne à ne pas céder à la panique, mais également pour l’inciter à poursuivre son combat contre les discriminations et la promotion du dialogue. Le représentant du Saint-Siège a incité les 140 évêques indiens, réunis en assemblée plénière à Bangalore, « à lutter contre toutes les formes d’injustices et à agir pour que tous les fidèles aient les mêmes droits et les mêmes chances ».
La Commission « Justice, paix et développement » de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) s’est dit quant à elle « consternée par le silence du gouvernement », n’ayant jamais reçu de réponse à sa lettre adressée fin janvier au Premier ministre Narendra Modi, l’appelant à préserver « la nature laïque de la Constitution indienne » ainsi qu’à réagir face à l’augmentation des violences exercées à l’encontre des minorités religieuses. La protection des chrétiens et autres minorités est d’autant plus urgente que des élections locales sont prévues le 7 février prochain, s’inquiète-t-elle aujourd’hui.
(eda/msb)