Eglises d'Asie

La momie d’un lama mort il y a 200 ans déclarée « en méditation » par les bouddhistes

Publié le 10/02/2015




Depuis quelques jours, la découverte de la dépouille d’un lama tibétain momifiée en position du lotus agite le monde scientifique et religieux.Selon les adeptes du bouddhisme tibétain, le moine retrouvé dans une grotte, enveloppé de peaux de bêtes, et dont l’état de conservation du corps étonne les scientifiques, serait en « méditation très profonde ».

Ses restes ont été découverts le 27 janvier dernier dans le district de Songino Khairkhan, au centre nord de la Mongolie, près de la capitale Oulan-Bator, rapporte The Telegraph du 5 février dernier. Selon la tradition du bouddhisme tibétain, ce moine se trouverait dans un état rare de méditation appelé « tukdam ». Cela signifie qu’il « pourrait être devenu un Bouddha », a déclaré le 2 février au Siberian Times Barry Kerzin, moine bouddhiste et professeur à l’Institut mongol de l’art bouddhique.

Un avis partagé par Ganhugiyn Purevbata, fondateur de l’Institut mongol en question et professeur à l’Université bouddhiste d’Oulan-Bator. Il fait notamment remarquer que la main gauche du moine est « en position ouverte, tandis que la droite symbolise le sermon du Sutra du Lotus ». Cela prouve que « ce moine n’est pas mort, mais est toujours dans une méditation très profonde, selon la tradition antique des lamas bouddhistes », conclut-il.

« J’ai eu le privilège de prendre soin de moines qui étaient en état de tukdam », poursuit Barry Kerzin, lequel est également un médecin proche du dalaï lama. « Si une personne est capable de rester dans cet état pendant plus de trois semaines, son corps rétrécit progressivement et, à la fin, il ne reste que ses cheveux, ses ongles et ses vêtements, explique-t-il encore. En général, les gens qui l’entourent peuvent alors voir un arc-en-ciel briller pendant plusieurs jours dans le ciel ; cela signifie qu’il a trouvé un ‘corps arc en ciel’, correspondant à l’état le plus élevé et proche de celui de Bouddha. »

Cependant, la momie a été pour l’heure soustraite à la vénération des fidèles par les autorités, qui ont fait arrêter son « découvreur » pour vol et recel. En effet, selon les dernières informations, la dépouille aurait été trouvée dans une autre région du pays, dans les grottes de Kobdsk, avant d’être cachée à Oulan-Bator. La police locale a déclaré avoir intercepté la momie alors qu’elle allait être vendue au marché noir. Le suspect, âgé de 45 ans, risque une amende allant jusqu’à 40 000 euros ainsi qu’une peine pouvant aller de cinq à douze ans de détention selon le Code pénal en vigueur .

La dépouille a été, quant à elle, emmenée au centre national d’expertise médico-légale de la capitale. Pour le moment, les premières analyses n’ont permis que de déterminer l’âge du moine momifié, qui serait décédé il y a deux cents ans.

Bien que l’identité de ce moine demeure encore inconnue, il se murmure qu’il s’agirait du maître spirituel du hambo lama Dashi-Dorzho Itigilov, moine de la branche bouddhiste tibétaine de Russie, lui-même retrouvé en 2002 momifié dans cette même position du lotus et dans le même état de conservation surprenant (1). Les restes du hambo lama bouriate sont désormais conservés dans le monastère d’Ivolginsk, près du lac Baïkal ; ils y sont vénérés et exposés quelques jours par an, vêtus de leurs habits sacerdotaux.

L’actuel dalaï lama, Tenzin Gyatso, avait déclaré à l’époque que Dashi-Doorzho Itigilov se trouvait bien en état de méditation tukdam, signifiant qu’il était en passe de devenir un Bouddha réincarné. Pour le peuple bouddhiste bouriate, le lama est revenu, conformément à sa promesse, à un moment où le bouddhisme est en train de renaître en Russie, après les terribles persécutions que le maître avait également annoncées.

A l’époque où la découverte de la momie du lama Itigilov avait fait sensation, Vladislav L. Kozeltsev, « expert » du centre de technologies bio-médicales responsable du corps de Lénine (décédé en 1924), avait avancé que, bien que le sel présent dans le cercueil ne pouvait suffire à expliquer à lui seul la préservation du lama, certains facteurs génétiques pouvaient être à l’origine de ce phénomène. « Itigilov pourrait souffrir d’un défaut du gène à l’origine de la décomposition de la structure cellulaire du corps après sa mort », avait-il avancé, tandis que d’autres spécialistes faisaient état dans le corps du lama bouriate de quantités anormales de brome, découvertes dans les tissus et les muscles.

Quels que soient les résultats qui seront livrés prochainement par le centre médico-légal d’Oulan-Bator concernant la momie du maître présumé d’Itigilov, le phénomène fascine d’autant plus qu’il n’est pas si exceptionnel dans la tradition du bouddhisme Mahayana (branche tantrique du bouddhisme).

De nombreux cas de moines momifiés selon le même processus ont en effet été rapportés, aussi bien en Chine, qu’au Tibet, en Sibérie ou même au Japon, où la pratique du nyujo (‘entrer dans l’immobilité’) amenait, par la mortification et le jeûne, plusieurs maîtres à se momifier vivants. Ces moines, qui appartenaient à la branche Shugendo du courant de l’école ésotérique du bouddhisme Shingon (2), se faisaient parfois enterrer vivants afin d’être certains de mourir des suites de leur ascèse, en pleine méditation. Cette pratique, assimilée à un suicide, a été interdite en 1879 (3).

Dans le bouddhisme, cette forme de « mort volontaire » n’est cependant pas considérée comme un suicide, mais comme le fait qu’un être qui, ayant déjà éteint en lui tout désir, peut en toute lucidité passer dans le nirvana par le processus de la mort. Un maître de haut niveau spirituel est en théorie libre de choisir le moment de sa mort, une autre forme de mort volontaire étant le sacrifice par compassion visant au salut des êtres vivants, comme le démontrent les nombreuses auto-immolations qui se produisent actuellement au Tibet.

Seuls les maîtres les plus avancés, selon la tradition bouddhiste, peuvent tomber dans cet état particulier avant la mort, un moment particulièrement critique où se décide la destinée de l’esprit qui est brutalement confronté à la « claire lumière primordiale ». Si, grâce à une vie spirituelle très élevée durant sa dernière existence, l’esprit du défunt parvient à reconnaître et affronter cette lumière, il pourra enfin se libérer du samsara (cycle des renaissances), faute de quoi sa conscience s’estompera totalement avant d’effectuer les étapes qui le mèneront à sa nouvelle réincarnation (4).

Le bouddhisme mongol est une branche du bouddhisme tibétain vajrayana, fortement métissé de chamanisme local. Implanté depuis des siècles dans le pays, il est devenu religion d’Etat de l’empire mongol au XIIIe siècle après la visite du lama tibétain Sakya Pakya. Après une quasi-éradication, commune à toutes les religions, sous le régime totalitaire stalinien qui s’est emparé de la Mongolie dans les années 1920, le bouddhisme renaît aujourd’hui et est reconnu comme étant la spiritualité de plus de la moitié des Mongols.

(eda/msb)