Eglises d'Asie – Philippines
Les évêques catholiques négocient avec les sénateurs au sujet de la réforme agraire
Publié le 25/03/2010
… malgré une forte mobilisation des plus hauts responsables de l’Eglise catholique (2), la loi sur la réforme agraire n’avait pas été reconduite par le Congrès philippin (formé de la Chambre des représentants et du Sénat).
La réforme agraire aux Philippines (Comprehensive Agrarian Reform Program, CARP) a connu depuis son lancement, en 1988, de multiples modifications et aménagements, qui ont été autant d’occasions de batailles juridiques et politiques. Conçue dans l’élan du « People Power » qui, en 1986 avait mis fin à la dictature du président Marcos Marcos, la réforme agraire devait redistribuer des terres arables, à hauteur de 10,3 millions d’hectares, à quelque quatre millions de foyers de paysans sans terres. En fixant un seuil maximum de possession de terres agricoles pour les propriétaires, l’Etat s’autorisait à acheter les terrains surnuméraires et à les redistribuer aux bénéficiaires de la réforme (3). Après différents aménagements au gré des gouvernements, le CARP a vu son mandat de dix ans renouvelé par deux fois, le dernier ayant expiré en décembre 2008.
A l’heure du bilan, ses opposants comme ses partisans ont été contraints d’admettre que la réforme agraire n’avait pas atteint son but. Se heurtant à la résistance des propriétaires terriens, à la faiblesse des budgets qui lui étaient consacrés et à de multiples contournements – comme la requalification de terres arables afin d’éviter qu’elles soient redistribuées –, la loi n’a pas été pleinement appliquée.
Parmi les propositions soumises au Congrès philippin en décembre dernier, la Genuine Agrarian Reform Bill (GARB) était soutenue par bon nombre d’organisations paysannes, de tendance progressiste, qui ne voulaient pas d’un renouvellement du CARP, considérant que celui-ci avait renforcé le pouvoir des grands propriétaires fonciers (4). L’ensemble de l’Eglise catholique défendait quant à elle une reconduction du CARP, mais avec des aménagements, dont sa prolongation pour dix années supplémentaires l’investissement de 147 milliards de pesos (3 milliards de dollars) pour son application et l’aide aux paysans bénéficiaires de la réforme.
Aucun de ces projets n’a toutefois été retenu par le Congrès, qui a préféré voter une résolution conjointe du Sénat et de la Chambre, qui a pris effet le 23 janvier dernier, rallongeant de six mois le programme de redistribution des terres en cours, mais sans dégager les fonds qui auraient permis au gouvernement d’acquérir de nouvelles terres.
C’est dans ce contexte que Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille et président de la Commission épiscopale pour l’Action sociale, la Justice et la Paix, a invité les évêques et les tenants du projet à une réunion à huis clos avec les membres du Comité pour la réforme agraire du Sénat. Lors de cette rencontre, qui a duré près de quatre heures, les évêques ont demandé aux sénateurs de rétablir les dispositions de la réforme agraire de 1998 et d’en rajouter de nouvelles afin de renforcer la loi et d’en combler les lacunes. Selon le secrétariat national des évêques pour l’Action sociale, la Justice et la Paix (5), les sénateurs et les évêques ont été d’accord pour créer un comité consultatif, dirigé par le sénateur Gregorio Honasan, afin de rédiger une version « présentable » de ce projet de réforme agraire amélioré.
Les évêques y seront représentés par Christian Monsod, un avocat catholique connu pour sa participation à la Commission d’élaboration de la Constitution des Philippines de 1986, constitution qui porte dans son texte la redistribution des terres.
Les évêques avaient invité l’avocat à la réunion afin qu’il explique le lien entre réforme agraire et développement économique. A partir d’études réalisées par les Nations Unies et d’autres organismes internationaux, Christian Monsod a souligné le fait qu’aux Philippines, 70 % des familles pauvres vivaient en zone rurale, et essentiellement dans le secteur agricole (66 %). Durant la discussion, Christian Monsod a affirmé aux sénateurs que donner priorité au financement de la réforme agraire ne devrait pas poser de difficultés, étant donné que, dans leurs rapports, les Nations Unies et d’autres organismes internationaux expliquent que la réforme agraire est garante de « la sécurité alimentaire du pays ».
A l’issue de la réunion, Mgr Teodoro Bacani, évêque émérite de Novaliches, a rapporté que la réponse des sénateurs avait été qu’il leur fallait s’assurer du fait qu’avant de procéder à de nouvelles acquisitions de terres, tous les terrains acquis dans le cadre de la réforme avaient bien été redistribués. Le prélat a ajouté que les sénateurs n’étaient pas opposés à étendre et à améliorer la réforme agraire soutenue par l’Eglise et les autres partisans du projet. Il a déclaré qu’il était « très heureux que les sénateurs aient écouté et apprécié les idées » présentées par les leaders paysans du Batangas, province située au sud de Manille, et par ceux de l’île de Negros, qui étaient également présents à la rencontre du 16 mars.