Eglises d'Asie

Conséquences du massacre de Mamasapano : un président affaibli, une Eglise divisée

Publié le 26/02/2015




L’opération de police anti-terroriste menée il y a un mois dans le Sud philippin, qui s’est soldée par la mort de 44 policiers d’élite, 18 membres de la rébellion musulmane et cinq civils, provoque des réactions en chaîne. Outre l’arrêt de l’étude du processus de paix par le Congrès, les appels à la démission du président Aquino …

… se multiplient. Au sein de l’Eglise, des voix discordantes se font entendre.

Le 25 janvier dernier, les commandos d’élite de la police nationale philippine investissaient une bourgade isolée de Mindanao pour y abattre un Malaisien, artificier présumé de la Jemaah Islamiyah dont la tête était mise à prix par les Etats-Unis. L’opération était un quasi-succès, un autre terroriste recherché par les Etats-Unis leur échappant, mais elle a tourné au fiasco lorsque les commandos, dans leur retraite, sont tombés en embuscade sur des hommes du BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), mouvement dissident du MILF (Front moro de libération islamique) avec qui Manille négocie un accord de paix. L’opération de police a alors tourné au carnage, 44 commandos étant tués – dont certains, blessés, ont été achevés à terre (une vidéo postée sur Internet le montrera plus tard) – ainsi que 18 rebelles.

Sans compter son lourd bilan en vies humaines, l’opération a soulevé une tempête politique. Au fil des révélations, les Philippins ont appris que ni le chef de la police nationale ni le haut commandement militaire n’avaient été informés de l’opération, pas plus que les responsables du MILF – qui, aux termes de l’accord signé en mars dernier, auraient dû être mis au courant du passage de troupes armées sur le territoire qu’ils contrôlent. Des rumeurs de coup d’Etat ont circulé avec insistance à Manille, le président Aquino se voyant reproché son attitude et sa responsabilité dans cette opération. Le 6 février dernier, le chef de l’exécutif a tenté de reprendre la main en s’adressant à la télévision à ses concitoyens ; il a annoncé avoir accepté la démission d’un très proche conseiller, le général de police Alan Purisima, qui aurait planifié et organisé le raid hors de toute structure hiérarchique. Mais cela n’a pas suffi à ramener le calme : tout ce que la scène politique locale compte d’opposants à Aquino a redoublé d’attaques.

Dans ce contexte volatile, l’Eglise catholique, très présente dans la vie politique du pays, se divise.

Un certain nombre d’évêques – et parmi eux des ‘poids lourds’ de l’épiscopat – ont apporté leur soutien à un groupe fondé en août 2014, le Conseil national pour le changement (NTC, National Transformation Council). Ce dernier se définit comme un « groupe collégial » réunissant diverses personnalités civiles et religieuses (protestantes et catholiques) visant à obtenir la démission du président Aquino afin de mettre en place un « gouvernement par intérim » ayant pour mission de donner aux « pauvres » une garantie quant à leur participation à l’exercice du pouvoir. Particulièrement actifs et présents dans les médias pour dénoncer le massacre de Mamasapano, les membres du Conseil se défendent de « préparer un coup d’Etat » – comme le leur a pourtant reproché la secrétaire à la Justice, Leila De Lima – et peuvent se targuer du soutien de plusieurs évêques.

Le plus visible d’entre eux est Mgr Ramon Arguelles, archevêque de Lipa, qui a récemment déclaré que le raid sanglant du 25 janvier n’était qu’une illustration de plus de l’incapacité de l’Administration Aquino à répondre aux attentes du peuple philippin. « Nous demandons [au président Aquino] de se démettre car nous estimons qu’il n’est plus en position d’assumer les fonctions qui sont les siennes du fait de ce qu’il a fait et de ce qu’il a failli à accomplir », a notamment déclaré l’archevêque. Parmi les autres évêques qui affichent leur soutien au NTC, se trouvent le cardinal Ricardo Vidal, archevêque émérite de Cebu, Mgr Fernando Capalla, archevêque émérite de Davao, Mgr Romulo de la Cruz, archevêque de Zamboanga, Mgr Jose Palma, l’actuel archevêque de Cebu, ou bien encore les évêques de Navaland et de Butuan.

D’autres évêques adoptent un discours résolument différent. Mettant en garde contre le risque de voir capoter les négociations de paix avec la rébellion musulmane, ils appellent les Philippins à « entendre Mindanao » et le désir des populations du Sud philippin à vivre en paix. Ils dénoncent en particulier l’arrêt des débats parlementaires au sujet de la Loi fondamentale pour le Bangsamoro, arrêt consécutif au massacre de Mamasapano. Dans un communiqué daté du 25 février, le cardinal Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato (à Mindanao), écrit : « Aujourd’hui, précisément du fait de ce qui s’est passé à Mamasapano, le chemin [vers la justice et la paix] ne doit pas être abandonné. Entendez ce que vous dit Mindanao : le processus de paix ne doit pas être mis en danger. (…) Transformez les usines à guerre de Mindanao en usines de prospérité. Laissez ceux qui, au nord comme au sud, sont aux responsabilités, cheminer ensemble, humblement, calmement et avec sagesse devant le Dieu de la Paix. »

Le message du cardinal est contresigné par des évêques tels que Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, Mgr Romulo Valles, archevêque de Davao, ou bien encore le P. Antonio Moreno, supérieur des jésuites de la province des Philippines, mais aussi des universitaires catholiques et un ensemble de responsables des communautés moro et aborigènes de Mindanao.

Face à ces divisions rendues évidentes, la Conférence épiscopale a publié un communiqué le 16 février, demandant la recherche de la justice et de la vérité sur ce qui a rendu possible le massacre de Mamasapano, tout en offrant l’aide de l’Eglise pour que se poursuive le processus de paix en cours à Mindanao. Le 24 février, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Socrates Villegas, a demandé une « Oratio Imperata », une ‘prière obligatoire’ dite en cas de danger grave et imminent. La situation dans le pays appelle l’ensemble des évêques « à se tourner vers le Seigneur dans une humble supplication pour rassembler notre peuple dans la prière », a expliqué Mgr Villegas. « Alors que la nation continue de pleurer la tragédie de Mamasapano et que la famille des nations est menacée par la guerre et la terreur répandues par des groupes extrémistes, notre meilleure contribution à la nation et au monde est d’encourager notre peuple à prier », a-t-il précisé.

Ce mercredi 25 février était célébrée le 29ème anniversaire des événements (« People Power ») qui, en 1986, virent tomber sans effusion de sang le dictateur Ferdinand Marcos. Au sanctuaire marial d’EDSA, haut lieu des événements de 1986, le président Aquino, en présence du cardinal Antonio Tagle, archevêque de Manille, a assuré les Philippins qu’il ne céderait pas face « aux ennemis de la paix » et qu’il gardait sa confiance au MILF comme « partenaire » pour négocier la paix à Mindanao.

Selon l’analyste Earl Parreno, de l’Institut pour la réforme électorale et politique, « Aquino parie gros et joue ce qui lui reste de capital politique » en s’engageant ainsi pour les négociations avec le MILF. Au cas où les deux Chambres du Congrès vident de sa substance la Loi fondamentale pour le Bangsamoro, les rebelles refuseront la paix. Si le Congrès vote la loi telle que les rebelles la souhaitent, Aquino s’expose à un retour de flamme de la part de l’opinion publique. « Je ne vois pas de situation gagnant-gagnant ici », conclut l’analyste philippin au micro de VOA (Voice of America).

(eda/ra)