Eglises d'Asie

Le BJP interdit la viande bovine dans l’Etat du Maharashtra

Publié le 07/03/2015




Le parti hindouiste de Narendra Modi poursuit sa transformation du pays en « terre hindoue ». Le Maharashtra, l’un des plus importants Etats de l’Inde, ayant pour capitale la mégapole de Bombay (Mumbai), vient de faire interdire la viande bovine sur son territoire, une grande première dans le pays.

Désormais, toute personne « trouvée en possession de viande de boeuf ou essayant de la vendre » encourt une peine de cinq ans de prison ainsi qu’une amende de 10 000 roupies (environ 145 euros).

Cette nouvelle mesure a provoqué une onde de choc dans l’ensemble du pays où les nationalistes hindous réclament qu’elle soit adoptée par tous les Etats de l’Union. La polémique enfle sur les réseaux sociaux où le hashtag #BeefBan s’est retrouvé numéro 1 des tendances de ces trois derniers jours.

Le Maharashtra fournit aujourd’hui plus de 25 % du marché de viande bovine en Inde et les conséquences de l’interdiction dans l’Etat risquent de se faire sentir dans tout le pays. L’Inde est à l’heure actuelle l’un des tout premiers exportateurs de viande bovine dans le monde (avec le Brésil et l’Australie), le 5e en tant que producteur, et classé au 7e rang mondial pour ce qui est de la consommation locale ; avec 4 milliards de dollars, les exportations de viande bovine constituent le premier poste des exportations de produits agricoles de l’Union indienne.

Lundi dernier, le président de l’Union indienne, Pranab Mukherjee, a promulgué la Maharashtra Animal Preservation (Amendment) Bill (MAPB), une loi restée en suspens depuis vingt ans (1), étendant l’interdiction de la mise à mort et de la consommation de la vache – animal sacré de l’hindouisme – à tous les bovins (bœufs, veaux, taureaux). La mesure a été qualifiée de « rêve devenu réalité » par le ministre-président du Maharashtra, membre du BJP, Devendra Fadnavis.

Dès le lendemain, mardi 3 mars, le Vishwa Hindu Parishad (VHP), parti extrémiste de la mouvance du BJP, a déposé une pétition devant la Haute Cour de Bombay et obtenu un décret de mise en application immédiate de la loi.« Si nous avions attendu cinq ou six jours, le temps que la loi soit appliquée, des milliers de bovins auraient été abattus », a expliqué au Times of India Vyankatesh Abdeo, secrétaire général du VHP.

Depuis la publication du décret, des centaines d’interventions « commando » menées dans tout l’Etat par des membres du VHP ont forcé plusieurs abattoirs du Maharashtra à arrêter leur activité. « Les militants du VHP sont venus mardi tard dans la nuit à l’abattoir et nous ont ordonné de tout arrêter en nous montrant la copie de l’ordonnance de la Haute Cour », rapporte Mohammed Ali Quereshi, directeur de Deonar, considéré comme le plus grand abattoir de toute l’Asie et situé dans la banlieue de Bombay.

Cet important homme d’affaires de la communauté musulmane, laquelle contrôle la quasi-totalité du marché de la viande bovine (une activité considérée comme « impure » par les hindous, tout comme celle du commerce du cuir ou du transport du bétail), s’inquiète des graves conséquences économiques de la nouvelle loi. « Des milliers de personnes vont perdre leur emploi », s’alarme t-il. « Pour la seule ville de Bombay, il y a plus de 900 boucheries, avec ou sans licence officielle, chacune d’entre elles employant au moins quatre personnes, et par association, des milliers d’autres pour le transport du bétail », explique encore celui qui est également président de la Mumbai Suburban Beef Dealers Association. Quant aux éleveurs, ils devront désormais entretenir des troupeaux en attendant qu’ils décèdent de mort naturelle, conclut-il.

Outre la mise au chomâge de toute une partie de la population, l’application de la MAPB risque de faire monter le prix des autres viandes, en particulier celle de buffle, dont l’abattage reste autorisé avec une dispense spéciale de l’Etat. Sa viande est cependant considérée comme étant de qualité inférieure et elle ne représente que 25 % du marché de la viande bovine dans l’Etat.

« De quel droit l’Etat devrait-il nous dire ce que nous devons manger ?, s’indigne Amrish Arora, restaurateur à Bombay. C’est vraiment une loi stupide et extrémiste et qui va faire beaucoup de mal ! » Un avis qui semble largement partagé dans la capitale de l’Etat, vitrine de l’Inde moderne et cosmopolite, où quelque 90 tonnes de viande de bœuf sont consommées par jour.

La même colère semble animer les gérants des hôtels de luxe qui craignent de voir disparaître leur clientèle étrangère, et les porte-paroles des communautés les plus pauvres qui rappellent que la viande bovine coûte trois fois moins cher que celle de mouton. « L’interdiction de la viande de bœuf va priver de nourriture un grand nombre de gens qui n’ont pas les moyens d’acheter autre chose, s’inquiète Gurbaxish Singh Kohli, vice-president de l’Hotel and Restaurant Association (HRAWI). Allons nous dire à tous ces gens de manger du poulet – qu’ils ne peuvent se payer – [sous prétexte] que certains individus imposent leur choix aux autres ? »

De même, les leaders musulmans se demandent d’ores et déjà comment ils pourront sacrifier un animal pour le Bakri Id (Aïd el-Kebir), le mouton, trop onéreux, étant habituellement en Inde remplacé par un un buffle ou un bœuf.

Parmi les nombreuses protestations qui ont accompagné la mise en application de la MAPB se sont également élevées les voix des chrétiens. « La religion est un sujet personnel et le gouvernement ne doit pas imposer ses diktats dans ce domaine », a déclaré au Times of India, Gordon D’souza, président du Bombay Catholic Sabha. Au nom de l’organisation catholique, rattachée à l’archidiocèse de Bombay, il a tenu à souligner combien l’interdiction de la viande bovine allait affecter « les plus pauvres de l’Etat, et en particulier les basses castes et les intouchables ».

(eda/msb)